- Speaker #0
Virage, saison 2, épisode 5, un podcast de la Caisse des dépôts. Dans son étude « Agriculture bio, quels débouchés pour sauver la filière » publiée en janvier 2024, la Fondation pour la nature et l'homme pointait du doigt l'essoufflement de la dynamique de conversion des terres agricoles et alertait sur le retard pris au regard des objectifs du plan Ambition Bio 2030. En cause, l'insuffisance de débouchés pour le bio. Restauration collective, restauration commerciale, grande distribution, comment stimuler la demande pour redonner du souffle à l'offre ? C'est ce que nous allons explorer avec Thomas Utayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la Fondation pour la nature et l'homme. Bonjour Thomas. Bonjour. Alors pour commencer, si vous voulez bien, faisons un petit point sur les enjeux. Pourquoi est-ce qu'il est, selon vous, urgent d'organiser cette transition agricole en France et de mettre la vitalité de l'agriculture biologique en son cœur ?
- Speaker #1
Ces dernières décennies, l'agriculture s'est progressivement industrialisée. Après la Première Guerre mondiale, il a fallu nourrir les gens. Et donc on a vu l'essor progressif de pesticides et d'engrais de synthèse, l'amélioration génétique, notamment pour les animaux, et puis la motorisation avec l'essor des tracteurs. Mais cette intensification de l'agriculture, elle a eu des conséquences délétères sur l'environnement. On a eu des dégradations progressives des sols. Aujourd'hui, en Europe, 60% des sols sont identifiés comme mal en point. On a eu un usage de la ressource en eau toujours plus intensif. Et puis, la biodiversité, elle s'est malheureusement érodée au fil des années. La question qui se pose aussi, c'est l'enjeu de souveraineté. Il faut savoir qu'en France, on importe près des trois quarts de nos engrais azotés de synthèse. Et puis on importe aussi du gaz pour produire nous-mêmes ces engrais de synthèse. Le dernier point à avoir en tête, c'est du côté des agriculteurs. Cette intensification de l'agriculture, malheureusement, elle a conduit aussi à amoindrir le revenu des agriculteurs et notamment des éleveurs. Si je prends juste l'exemple des élevages bovins, près d'un quart des éleveurs sont rémunérés en dessous du seuil de pauvreté. Dans cette agriculture qu'on peut considérer à bout de souffle, une des solutions, c'est l'agriculture biologique. L'agriculture biologique, qu'est-ce que c'est ? c'est de se passer des pesticides et des engrais de synthèse. Et c'est aussi respecter le bien-être animal. Et c'est donc une des voies empruntées pour sortir de ce modèle.
- Speaker #0
Alors, j'évoquais en introduction un essoufflement de cette agriculture biologique. Quel est l'état de la crise que traverse la filière bio et comment est-ce qu'on peut l'expliquer ?
- Speaker #1
Du côté des consommateurs, aujourd'hui, le panier de consommation des Français, il comporte près de 6% de produits biologiques. C'était un peu plus en 2021. Donc, on a déjà une érosion de l'achat de produits bio. Ça, c'est dû à quoi ? C'est dû au prix assez élevé des produits biologiques en comparaison des produits conventionnels. De l'autre côté, on a aussi des consommateurs qui ne comprennent même plus ce qu'est la bio. Ils font souvent face à ce qu'on appelle une jungle des labels. Et donc, on a le produit bio qui se trouve au milieu de beaucoup de labels et de marques privées. Et donc, ça, c'est très difficile en termes de lisibilité. Donc, le consommateur, finalement, ne sait même plus pourquoi il faudrait acheter bio. La question qui se pose, c'est comment redonner une vraie lisibilité par, par exemple, des campagnes de communication, que ce soit de l'État, par exemple l'agence bio. Le financement de l'agence bio a un petit peu augmenté sur ces campagnes de communication, mais c'est toujours largement insuffisant. Et il faudrait en fait mettre un peu le pied à l'étrier pour éduquer les consommateurs et leur donner les clés de lecture pour comprendre ce qu'est véritablement la bio et quels en sont les bénéfices. Du côté des producteurs, vu qu'on a moins de débouchés, l'agriculture biologique, c'est aussi une prise de risque. C'est une prise de risque pourquoi ? Parce que d'une part, l'agriculture biologique, c'est souvent moins de rendement à l'hectare. Et puis, c'est aussi plus de travail à l'hectare. Donc, c'est pour ça qu'on se retrouve très souvent avec des produits bio qui sont plus chers. En 2023, on a comparé à 2022 près de 30% de surface en conversion en moins. Donc, on est dans une situation assez compliquée.
- Speaker #0
Comment est-ce qu'on redonne un élan positif à cette transition agricole en mettant encore une fois l'agriculture biologique au cœur du réacteur ?
- Speaker #1
Alors c'est vrai qu'on est en retard, puisque l'État s'était fixé comme objectif d'atteindre 15% des surfaces en bio en France d'ici 2022. On est plutôt en dessous de 11%. Mais on a quand même des politiques publiques sur la table. La première qu'on a, c'est la stratégie nationale bas carbone, qui a d'ailleurs été publiée très récemment. Dedans, on retrouve plein de grands domaines d'activité dont l'agriculture fait partie. Elle a comme objectif cette agriculture de réduire entre moins 45 à 50% ses émissions d'ici 2050. Mais on a des objectifs plus court terme en 2030. Et là, on retrouve un objectif qui correspond à celui du plan Ambition Bio, c'est-à-dire doubler nos surfaces bio d'ici 2030. On est sur un objectif de 21%. Il faut avoir comme image un semi-marathon de 21 km et on a 6 ans pour doubler nos surfaces bio. Donc, c'est considérable. À côté de la stratégie nationale bas carbone, on a aussi un plan Eco-Phyto. C'est notre plan de réduction d'usage d'épicité en France. Et malheureusement, il a été assez mal mené récemment. Avec la crise agricole et beaucoup de revendications, on a un plan de réduction des PCC qui a été amoindri. La troisième politique, c'est la loi EGalim. La loi EGalim, qu'est-ce que c'est ? C'est la loi sur l'alimentation, c'est la loi sur l'équilibre des relations commerciales pour l'alimentation durable. Et cette loi EGalim, elle a pour objectif d'imposer à la restauration collective publique 20% de produits bio dans son offre de restauration. Malheureusement, aujourd'hui, on a une restauration collective qui est à la traîne, puisqu'on a seulement atteint 7%. Elle est tirée par le bas par certains secteurs qui ont du mal, notamment le secteur hospitalier qui a 2 à 3 % de bio dans son offre de restauration. D'ailleurs, dans le cadre du projet de loi de finances de cette année, à la Fondation, on a proposé un amendement pour aider le secteur hospitalier à introduire davantage de produits durables et notamment de produits bio dans son offre de restauration en bonifiant une notation qui lui est attribuée chaque année. Ce qu'il faut avoir en tête, c'est cet accompagnement technique et financier qui leur permettra justement de booster, on va dire la part de produits bio dans leur offre de restauration.
- Speaker #0
Dans l'étude que vous avez publiée, toujours agriculture bio, quel débouché pour sauver la filière, vous mentionnez le fait que même si on atteint ces 20% d'approvisionnement bio dans la restauration collective, ça ne suffira pas à atteindre les objectifs que vous avez évoqués.
- Speaker #1
Alors si on atteint 20% de bio dans la restauration collective, on va pouvoir grappiller quelques petits pourcentages de surface bio supplémentaire. Donc ce n'est pas suffisant puisqu'on s'est dit que notre objectif, c'était le semi-marathon. C'était les 21%, les 21 kilomètres. Donc pour y arriver, il faut embarquer d'autres secteurs d'activité, et notamment la restauration commerciale, c'est-à-dire les cafés, les bars, les restaurants. C'est un sujet qui n'est pas évident, puisque aujourd'hui la restauration commerciale, c'est 1% de produits bio dans son offre de restauration. Donc comment embarquer la restauration commerciale ? C'est la grande question. Alors un levier, c'est la formation initiale et continue des cuisiniers. Donc comment ils peuvent prendre le sujet de la bio et l'introduire dans leur manière de composer leur menu ? C'est ça tout l'enjeu. Le deuxième enjeu, c'est d'imaginer, par exemple, des crédits d'impôt. Des crédits d'impôt pour les restaurants qui jouent le jeu. Ça, ça pourrait être envisageable et c'est des choses à analyser. Donc l'idée, ce serait de les accompagner.
- Speaker #0
On progresse dans notre semi-marathon, après la restauration collective et la restauration commerciale. On en est où ? Est-ce que si on met la restauration commerciale au même pas que la restauration collective, c'est-à-dire 20% d'approvisionnement en agriculture biologique, est-ce qu'on est à notre objectif ?
- Speaker #1
On ne l'est toujours pas. Donc là, il manque un secteur qui est majeur, c'est celui de la distribution, les grandes et moyennes surfaces. Aujourd'hui, le panier de consommation des Français, il est composé à moins de 6% de produits bio. Si on met 2% de plus, déjà, on a un impact considérable sur l'assolement bio en France. Donc c'est là où effectivement ça va se jouer. C'est la consommation à domicile.
- Speaker #0
Comment on peut organiser ce virage-là auprès de la distribution et la grande distribution ?
- Speaker #1
Aujourd'hui, on voit beaucoup de distributeurs qui nous disent qu'ils font beaucoup d'efforts sur la bio. La question est déjà de savoir qu'est-ce qu'ils font vraiment. Et nous, à la Fondation pour la Nature et l'Homme, on commence un travail là-dessus pour essayer de comprendre un petit peu ces stratégies de promotion de la bio. Un des problèmes de la bio, c'est son surcoût, qu'on juge parfois trop important par rapport à des produits dits conventionnels. Et à un moment, il faut se dire les choses, pour les ménages les plus modestes en particulier, c'est très compliqué d'acheter des produits biologiques. Maintenant, pourquoi ce prix est élevé ? La première chose qu'il faut avoir en tête, c'est ce qu'on appelle la répartition de la valeur. Aujourd'hui, la répartition de la valeur, c'est comment l'argent se répartit dans une filière entre tous les maillons économiques du producteur, du transformateur et du distributeur. Nous, à la Fondation, on a étudié la répartition de la valeur dans le secteur de l'élevage bovin-lait et bovin-viande. Et on s'est rendu compte que le secteur de l'aval arrive à dégager des bénéfices, plusieurs dizaines, voire centaines de millions d'euros. Mais en contrepartie, on a des agriculteurs qui n'arrivent même pas à vivre d'un SMIC horaire. Et c'est pour ça qu'aujourd'hui, on connaît une crise agricole, on en a connu début 2024 avec les manifestations et probablement sont annoncées de nouvelles manifestations ces prochaines semaines. L'enjeu de la rémunération, il est central. Il va falloir creuser l'enjeu des marges, et donc des marges nettes, et de comprendre si... on a des produits biologiques effectivement qui ont un surcoût trop important et qui pourraient être réduits.
- Speaker #0
Du côté des collectivités locales, est-ce qu'elles peuvent contribuer à cette nouvelle dynamique, à ce changement de braquet, à ce virage en faveur de la transition agricole ? Et quels peuvent être les effets de cette transformation dans la dynamique des territoires ?
- Speaker #1
On a aujourd'hui plusieurs collectivités qui mettent en place ce qu'on appelle des PAT, des programmes alimentaires territoriaux. C'est la mise en dynamique de plusieurs acteurs, que ce soit les élus, les services, les gestionnaires de restauration, les convives, les restaurateurs, de manière à travailler sur une alimentation plus durable au sein d'un territoire donné. Nous, à la Fondation, avec Restoco, on a mis en place un outil qui s'appelle Mon Resto Responsable. Et cet outil, il agrège aujourd'hui plus de 2000 restaurants. L'idée, c'est le partage de bonnes pratiques, c'est-à-dire d'avoir des acteurs qui soient en mesure de se partager toutes les techniques, mais aussi toutes les bonnes idées pour rendre leur approvisionnement et leur offre alimentaire beaucoup plus responsable. Pour recomposer un menu dans une cantine scolaire, par exemple, il y a l'idée de proposer moins et mieux de viande. On aura en parallèle beaucoup plus de légumineuses, beaucoup plus de légumes bio. Et de l'autre côté, on va par exemple agir sur le gaspillage alimentaire. L'outil Mon Resto Responsable, aujourd'hui, il accompagne certains PAT, une douzaine, pour par exemple proposer des circuits courts et de proximité, c'est-à-dire réduire la distance entre le producteur et le consommateur et puis faire en sorte d'avoir un approvisionnement local avec des agriculteurs engagés et notamment en faveur de la bio.
- Speaker #0
Si on a envie de continuer à comprendre ce que vous avez évoqué, est-ce qu'il y a un livre que vous conseilleriez de lire pour explorer encore ?
- Speaker #1
Alors le premier bouquin que je peux conseiller... c'est l'histoire des agricultures du monde de Mazoyer et de Roudard qui est passionnant c'est l'épopée de l'agriculture, c'est-à-dire comment l'agriculture a évolué au fil des siècles et le deuxième livre que je peux vous conseiller c'est Les apprentis sorciers de l'azote, c'est un des sujets clés pour comprendre l'agriculture biologique qui a pour vocation justement à se passer d'engrais azotés de synthèse.
- Speaker #0
Merci beaucoup Thomas Utayakumar d'avoir partagé votre vision de l'agriculture biologique et de la nécessité de la transition agricole Virage est un podcast de la Caisse des dépôts et on se retrouve très vite pour de nouveaux virages.
- Speaker #1
Avec plaisir.