- Speaker #0
Virage, saison 2, épisode 9, un podcast de la Caisse des dépôts. En 2025, les plus de 65 ans représentent 21% de la population. Si on allonge le regard jusqu'à 2070, les prévisions montent entre 28% et 30% selon les scénarios. Dans quelle mesure le vieillissement de notre population impacte-t-il l'économie de notre pays et l'organisation globale de notre société ? Avec Kevin Genna, responsable de la modélisation à la chaire TDTE pour Transition démographique, Transition économique, nous nous demandons si, au milieu des défis posés par l'inéluctable changement de structure de notre population, nous pouvons cultiver l'opportunité de mieux vieillir. Bonjour Kevin.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Merci beaucoup d'avoir accepté l'invitation de Virage. Alors avant d'évoquer les conséquences et les adaptations que requiert ce vieillissement que j'évoquais, intéressons-nous peut-être aux causes du phénomène. Pourquoi sommes-nous de plus en plus vieux ? J'évoquais en introduction l'âge de 65 ans qui est le point de référence pour mesurer le vieillissement de la population. Pourquoi cet âge qui semble peut-être tôt quand on parle d'entrée en dépendance ?
- Speaker #1
C'est un peu l'âge un peu charnière où on change de vie. On passe d'une vie d'activité à une vie de retraite, de retraité. C'est souvent ce qu'on appelle le troisième âge. Et après, pourquoi on a ce vieillissement de la population aujourd'hui ? Souvent, on parle de vieillissement de deux manières. La première manière, c'est de parler de vieillissement par le haut, le plus classique. Un vieillissement par le haut parce que c'est une hausse de l'espérance de vie. Si on prend les chiffres, par exemple, pour la France, on est passé d'à peu près 70 ans d'espérance de vie à la naissance en 1960 à aujourd'hui plus de... 82 ans en 2024. Donc, on a gagné 12 années d'espérance de vie en 65 ans. Ensuite, il y a un second effet de ce vieillissement par le haut qui est le baby boom. Et du coup, aujourd'hui, il y a une part des plus de 60 ans qui est plus forte. Et après, il y a un autre effet qui est le vieillissement par le bas qui est plus lié à la baisse de la natalité. Pour avoir une population qui se stabilise, il faut qu'on atteigne le seuil de renouvellement des populations, qui est autour de 2,05 ou 2,1 enfants par femme. On est aujourd'hui à 1,... 62 enfants par femme. L'indice conjugal de fécondité, le plus faible enregistré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ça veut dire qu'on a moins de naissances, moins de jeunes relativement aux personnes âgées. Donc en fait, le vieillissement, il est double. Il est à la fois absolu, puisque les personnes vieillissent, elles deviennent de plus en plus vieilles et l'expérience de vie augmente, ce qui est une très bonne chose, et en même temps, il est relatif, puisque si on a moins de naissances, on a moins de jeunes.
- Speaker #0
Alors, on vieillit donc ? Ce qui, comme vous le disiez, dans une certaine mesure, peut être interprété comme une très bonne nouvelle. Si on considère ce vieillissement par le haut, on vit plus longtemps. Alors pourquoi et dans quelle mesure ce vieillissement est vu et vécu comme une menace qui pèse sur notre équilibre de société ?
- Speaker #1
En effet, on vit plus vieux. On n'est pas sans savoir que le fonctionnement de la retraite en France, c'est un système par répartition. C'est-à-dire que ce sont les actifs, ce sont les plus jeunes qui payent les retraites des personnes plus âgées. Et si elles viennent être de plus en plus nombreuses, ces personnes âgées, le poids des retraites sera de plus en plus fort sur les actifs. Le second point, c'est la conséquence sur les structures, donc plus précisément les logements, puisque quand on va vieillir, il faut que le logement soit adapté. Le troisième point, c'est la conséquence sur les seniors, sur les personnes âgées elles-mêmes, c'est-à-dire la dégradation physiologique et la dépendance qui va en découler et la nécessité de rentrer dans des résidences qui sont médicalisées ou non, ou d'avoir en tout cas accès à des soins médicaux ou infirmiers de manière assez soutenue. L'âge d'entrée en dépendance ou en perte d'autonomie se situe autour de 85 ans aujourd'hui. Et le problème de la perte d'autonomie, c'est que ça coûte cher. Juste pour vous donner des chiffres, par exemple, si on prend en compte uniquement l'APA, l'allocation pour l'autonomie, c'est une allocation qu'on vous donne quand vous atteignez un certain seuil de dépendance. La dépendance se calcule avec ce qu'on appelle les GIR, les groupes iso-ressources. Quand vous n'avez pas de GIR, vous êtes... totalement autonomes, et à partir du GIR 6, vous êtes en perte d'autonomie. Et donc l'APA, c'est une aide de l'État qui est versée par les départements en fonction de votre GIR. Donc ça commence autour des 1 000 euros pour le GIR 4, et ça monte jusqu'à 2 000 euros d'aide par mois pour les GIR 1.
- Speaker #0
Alors qu'est-ce qu'on peut faire de votre point de vue ? Quelle est la bonne direction à prendre pour nous adapter à cette nouvelle donne ? Par exemple, pour soulager le poids de la perte d'autonomie ?
- Speaker #1
La perte d'autonomie, une fois qu'elle est là, elle ne se soigne pas. on ne revient pas en arrière avec des médicaments. Donc il faut trouver des moyens de prévenir cette perte d'autonomie. Et il y a un concept qui revient assez souvent pour prévenir un petit peu la perte d'autonomie, c'est ce qu'on appelle les activités socialisées. Ce sont des activités qui sont légèrement contraignantes. Vous avez besoin de vous engager un minimum. Globalement, c'est en très grande majorité du bénévolat. Donc, c'est des activités qui ont un caractère social et qui demandent de s'activer un petit peu. Donc, en exemple, on peut très bien avoir le plus courant. Le plus courant, c'est les bénévoles dans les associations sportives. Donc, que ce soit le trésorier du club de sport local, que ce soit la personne qui aide aux inscriptions dans le club de danse local aussi, ou une personne qui aide à la collecte ou à la distribution de nourriture au Resto du Coeur, ça rentre dans les activités socialisées. Et nous, ce qu'on a montré dans une étude qui date de 2021, c'est que les activités socialisées permettent de repousser l'âge d'entrée en dépendance. Il permet aussi de corriger certaines inégalités. Donc, par exemple, pour ceux qui ont l'espérance de vie la plus forte, l'activité socialisée permet de repousser de deux ans l'âge d'entrée en dépendance. Pour ceux qui ont une espérance de vie un peu plus faible, ça permet de repousser l'âge d'entrée en dépendance de trois ans.
- Speaker #0
Vos travaux relèvent que tout le monde n'est pas logé à la même enseigne concernant ce bien vieillir et les inégalités se creusent. Pendant la vie active, on pense évidemment à cette notion de pénibilité. Alors, est-ce que pour bien vieillir, on doit commencer à préparer le bien vieillir avant d'être vieux ?
- Speaker #1
C'est sûr que quand on est cadre, on va passer une bonne partie de sa vie assis derrière un bureau, etc. La perte d'autonomie, elle ne frappe pas forcément tout de suite, puisqu'on est très peu mis en stress physique, etc. Si on prend l'opposé le plus banal qu'on puisse imaginer, c'est un ouvrier en bâtiment qui va toute sa vie porter des sacs de ciment de 20, 30, 40 kilos sur les épaules, lui, à 55 ans, s'il fait ça toute sa vie, il est fort à parier qu'il aura le dos un peu cassé. Donc c'est un peu ces inégalités-là qu'il faut peut-être anticiper. Et quand on parle d'anticiper à 40, 45 ans, c'est vraiment cette idée que le maçon, la personne qui travaille dans le bâtiment, à partir de 40, 45 ans, réfléchisse peut-être à lui faire quelque chose de moins physique.
- Speaker #0
Concrètement, comment ça se passe ? Qui est moteur ? Est-ce que demain, quelqu'un... si je suis dans une carrière pénible, va venir me voir à un moment, vous parliez de 40-45 ans, et va me proposer d'élargir mon champ de compétences pour préparer mon après-vie active. Est-ce que c'est comme ça que ça se passe aujourd'hui ? Ou alors est-ce que ça doit se passer comme ça demain ? Et si oui, comment on met ça en place ?
- Speaker #1
Les pouvoirs publics aujourd'hui s'emparent du sujet, et on veut faire passer ça par la médecine du travail, avoir une sorte de bilan de compétences, de bilan un petit peu de carrière, autour de 50 ans pour discuter un peu de cette pénibilité du travail, ou potentiellement par France Travail aujourd'hui, qui pourraient réorienter vers des formations. Aujourd'hui, on a aussi un gros problème de formation en France. On dépense deux fois moins en formation par habitant et par point de PIB que la Suède, par exemple. Et ce qui est assez remarquable, c'est que les formations déclinent avec l'âge. Et peut-être que là aussi, on peut mobiliser plusieurs acteurs. J'ai parlé de FranceTravail, j'ai parlé de la médecine du travail, on peut parler du CPF pour ces questions de formation et de préparation à l'après-retraite.
- Speaker #0
Est-ce qu'on sait estimer, dans quelle mesure, une gestion des activités socialisées plus soutenue ? A travers notamment des actions comme celles que vous évoquIez, permettraient de soulager la problématique économique ?
- Speaker #1
Aujourd'hui, l'APA, c'est 6 milliards d'euros environ pour 2,5 millions de personnes. Si on réduit une partie de ces dépendants, si on augmente de 2 à 3 ans l'âge d'entrée en dépendance, on peut dire qu'on réduit peut-être de 200, 300, 400 000 personnes. Si on fait une grande fourchette, on passe de 2,5 millions à 2 millions. Donc on pourrait économiser dans les 1 milliard d'APA à peu près si on repoussait l'âge d'entrée en dépendance.
- Speaker #0
L'EHPAD a été pendant de nombreuses années une promesse du bien vieillir. Est-ce que vous pensez que ces structures sont encore le maillon fort du bien vieillir ? Ou alors est-ce qu'on va vers un autre horizon ?
- Speaker #1
Il y a un chiffre qu'il faut mettre en regard avec ça, c'est qu'il y a plus de 85% de la population française qui veut vieillir chez soi. Donc l'EHPAD, ça n'a pas l'air d'être l'eldorado tant attendu. C'est pour ça qu'on parle aujourd'hui au sein du gouvernement, ils parlent de virage domiciliaire. Et en même temps, ça traduit une certaine réalité. Aujourd'hui, les chiffres qu'on a, et la DREES a les mêmes chiffres, c'est qu'en 2019, on avait 2,5 millions de personnes en perte d'autonomie, donc GIR 1, 2, 3, 4 et on avait 600 000 places d'EHPAD. Donc ça veut dire qu'il y a 1,9 million de personnes qui ne sont pas en EHPAD. Donc le vieillissement, a priori, il sera plutôt contraint d'être fait à domicile, parce qu'on va avoir une augmentation de la dépendance, et les places en EHPAD ne vont pas augmenter de la même manière que la dépendance. Donc, on va avoir une sorte de scission pour les personnes dépendantes, entre le maintien à domicile qui va être possible, parce que ça ne va pas être possible pour tout le monde, et les EHPAD qui sont un peu là en dernier recours pour les personnes les plus lourdement dépendantes.
- Speaker #0
Qu'est-ce qu'on a comme typologie de structure, d'initiative, d'idée qui peuvent permettre aux gens qui vieillissent, si ce n'est d'être totalement chez eux comme ils l'ont toujours été, au moins d'avoir le sentiment de rester chez eux ?
- Speaker #1
Entre l'EHPAD et le domicile, il y a... pléthore de solutions qui existent aujourd'hui et il n'y a pas de solution dominante. Donc on peut penser, il y en a peut-être une qui sort un petit peu du lot parce que c'est du service public, c'est les résidences autonomies. Pour les résidences autonomies, on a un cahier des charges qui est très précis pour ce que c'est une résidence autonomie. Et c'est quelque chose qui n'est pas du domicile pur. Ce n'est pas non plus de l'EHPAD médicalisé comme on le connaît, mais on a un chez soi, on a un appartement qui est le sien. Et on a accès à certains services qui sont définis par le cahier des charges du public. On a la contrepartie privée, ce qu'on appelle les résidences services seniors. Et il existe autant de modèles que de résidences. Donc aujourd'hui, sur les résidences autonomies, on est à peu près à 100 000 places. Sur les résidences de service senior, on estime qu'on est autour des 100 000 places aussi. Et après, il y a d'autres choses. On peut penser à des colocations intergénérationnelles. Donc, l'idée d'avoir des personnes âgées qui vivent avec des personnes moins âgées. Du côté de l'EHPAD, il y a aussi des initiatives qui sont prises pour les transformer. L'idée, en fait, c'est de ramener un peu de sociabilisation. Donc, il y a un EHPAD qui le fait très bien. C'est l'EHPAD de Kersalik, en Bretagne, qui, lui, n'a aucun problème de recrutement. Toutes les personnes qui travaillent là-bas sont très heureuses de travailler là-bas. Tous les résidents sont extrêmement heureux. Et donc, il y a plusieurs initiatives qui se posent comme ça. Il y en a plusieurs qui théorisent ça sur les questions intergénérationnelles. C'est en fait comment on ramène des gens, comment on ramène une vie au sein de l'EHPAD. En fait, c'est l'idée de ramener la maison dans l'EHPAD. Donc, ça peut être des lieux de sociabilisation, que ce soit des restaurants, des bars ou ce genre de choses-là. Ça existe déjà dans certains EHPAD qui sont dans des villes de petite taille. qui n'a plus de commerce, du coup, on met par exemple un petit bar au milieu de l'EHPAD et ça oblige les gens à venir. Et en fait, il y a des lieux de sociabilisation qui se passent. Il y a d'autres idées qui ont été mises en place. C'est d'avoir quelque chose de très, très intergénérationnel. C'est d'avoir des crèches, en fait, au même niveau, au même endroit que les EHPAD, puisque du coup, on a vraiment cette idée des nouveaux-nés et des personnes qui sont tout en haut de la pyramide des âges. Et donc, d'avoir un petit peu ces échanges très intergénérationnels et d'avoir des enfants sur site. Il y a certaines études qui montrent que ça aide beaucoup les personnes âgées être plus heureuse, ça remet un petit peu de gaieté dans la journée de ces personnes.
- Speaker #0
On vous a demandé, Kevin, de venir avec un livre, en tout cas une recommandation de lecture, pour nos auditeurs qui aimeraient approfondir leur connaissance sur le sujet du vieillissement ou du bien vieillir, après vous avoir entendu. Qu'est-ce que vous nous conseilleriez ?
- Speaker #1
Je pense que ce qui résume un petit peu cette question de qu'est-ce qui porte ce vieillissement, pourquoi ce vieillissement, et quels sont les challenges futurs, c'est le livre de Maxime Bailly, qui s'appelle Le Grand Vieillissement, qui fait bien le panorama de ce vieillissement et de tout ce qui est lié à ça, le fait que les baby-boomers sont entrés en retraite, vont entrer en dépendance, qu'il y a peut-être un début, un amorcement de la besoins-nétalité et tous les enjeux qui vont arriver avec.
- Speaker #0
Merci beaucoup, Kevin Genna. Merci à vous. Je rappelle que vous êtes responsable de la modélisation à la chaire TDTE pour Transition démographique, Transition économique. Virage est un podcast de la Caisse des dépôts et on se retrouve très vite pour de nouveaux virages.