- Speaker #0
Virage, saison 2, épisode 10, un podcast de la Caisse des dépôts. Avec l'entrée en vigueur de la CSRD, Corporate Sustainability Reporting Directive, en janvier 2024, l'Union européenne semble enfin disposer... de la brique de transparence et de redevabilité, lui permettant de piloter et d'atteindre les objectifs du Green Deal. Cet élan se heurte pourtant à certaines critiques, notamment de la part de dirigeants d'entreprises qui la jugent trop complexe, trop chère, trop bureaucratique ou encore trop rigide dans le sillage de ses réserves. La directive Omnibus, qui sera votée en octobre 2025 et qui vise à simplifier la CSRD, menace de la vider d'une partie de sa substance. Avec Yona Kamelgarn, responsable performance extra-financière au groupe Caisse des dépôts, nous essaierons de comprendre ce que va changer la CSRD du point de vue de l'entreprise Caisse des dépôts, qui publiera son premier rapport dans quelques jours, mais également du point de vue de l'acteur financier Caisse des dépôts. Bonjour Yona.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Alors, la transparence sur la durabilité des entreprises, ce n'est pas un sujet nouveau depuis 2014, notamment la NFRD, Non Financial Reporting Directive était en vigueur déjà en Europe. Alors pourquoi une nouvelle directive était-elle nécessaire et qu'apporte-t-elle concrètement à l'objectif de transparence par rapport aux obligations préexistantes ?
- Speaker #1
Il existait effectivement déjà une directive en matière de reporting de durabilité, mais qui ne s'appliquait qu'aux grandes entreprises qui émettaient des titres sur des marchés de plus de 500 salariés. Cette directive et le reporting qu'elle demandait n'étaient pas normés. Chaque entreprise pouvait publier ce qu'elle voulait sur les sujets en mettant souvent plutôt l'accent sur ce qu'elle faisait en bien et en définissant elle-même les indicateurs sur lesquels elle acceptait de communiquer. Et donc justement, ce que permet la CSRD et ce qu'a visé la CSRD, c'était de proposer une normalisation des informations publiées par les entreprises avec une connectivité comptable, c'est-à-dire les informations que doivent publier les entreprises doivent être reportées sur l'ensemble des activités de l'entreprise, l'ensemble de son périmètre financier donc, et intégrer en plus l'ensemble de la chaîne de valeur. Par exemple, une entreprise qui utilise du plastique, elle a bien dû s'approvisionner pour faire du plastique. Mais ça, elle est censée reporter et expliquer qu'elle a ce risque-là dans sa chaîne de valeur.
- Speaker #0
Alors, j'évoquais en introduction les critiques et le spectre de la directive Omnibus. Quelle est la nature du risque de dilution qui irait avec cette directive ? Et que doit-on absolument préserver de la CSRD pour éviter ce risque ?
- Speaker #1
La directive Omnibus prévoit trois choses. Elle prévoit un allègement des seuils d'assujettissement, ce qui restreint très fortement le nombre d'entreprises qui vont être assujetties. Initialement, c'était plus de 55 000 entreprises européennes. On pourrait être à 10 000, voire beaucoup moins. Le deuxième sujet, c'est qu'elle prévoit un report de l'assujettissement pour les entreprises qui n'étaient pas assujetties dès la première année. Et le troisième élément, c'est l'allègement des normes elles-mêmes, donc l'allègement des informations obligatoires à publier par les entreprises. Alors, clairement, oui. il y a des simplifications à faire, mais sans réduire l'ambition. Et quand on dit ça, qu'est-ce que ça veut dire ? J'aimerais vous donner un peu une analogie avec la comptabilité. Sans comptabilité, comment les entreprises qui investissent, comment les analystes qui regardent, pourraient mettre en place les analyses de manière un peu fiable ? Comment l'entreprise elle-même pourrait piloter son activité et se dire « Ah oui, là, mon activité, elle marche, elle ne marche pas » .
- Speaker #0
À l'heure où on enregistre cette conversation, la Caisse des dépôts s'apprête à publier son... propre rapport de durabilité. Comment est-ce que vous avez approché ce sujet et comment raconteriez-vous votre cheminement dans la préparation de ce rapport ?
- Speaker #1
On a pris la CSRD en regardant deux choses. Le premier enjeu, c'était de se mettre en conformité de réglementaire et de publier notre premier rapport de durabilité dans les temps. Mais on a aussi regardé dans le même temps ce que pouvait nous apporter stratégiquement la CSRD pour... accélérer nos pratiques en matière de durabilité, donc environnement, social et gouvernance. Et c'est les deux choses qu'on a menées de front, de façon à faire en sorte que la CSRD ne soit pas juste un exercice de reporting, le reporting n'est pas une fin en soi, mais bien un exercice au service de l'enjeu de fond qui est de transformer nos modèles et d'accélérer sur la transformation de nos modèles.
- Speaker #0
Est-ce que vous pensez qu'à l'image de ce que vous avez vécu vous, la CSRD va jouer un rôle de catalyseur dans les entreprises qui vont y être confrontées, c'est-à-dire mettre en mouvement des politiques RSE qui jusque-là étaient des intentions mais qui avaient du mal à se concrétiser.
- Speaker #1
Si les entreprises se contentent de cocher des cases, effectivement, ça va être un fardeau. Elles vont faire quelque chose qui sera dénué de sens et il ne va rien se passer. Par contre, si elles l'utilisent comme une opportunité pour essayer de se challenger en interne et essayer de mettre en place une dynamique ou d'accélérer une dynamique existante pour mieux prendre en compte la durabilité, là, il peut se passer quelque chose qui va dans le bon sens. Et puis après, si on regarde le texte de la CSRD lui-même, on a en fait un véritable mode apparatoire. sur la manière dont une entreprise peut, si elle veut bien faire, suivre les sujets de durabilité. Première étape, faire son analyse d'impact, risque et opportunité. C'est ce qui, dans la CSRD, s'appelle l'analyse de double matérialité. Qu'est-ce qui a un impact ? Qu'est-ce qui a un risque ? Qu'est-ce qui a une opportunité ? Deuxième étape, mettre en place une gouvernance pour traiter ces impacts, risques et opportunités. Troisième sujet, définir la manière dont on va traiter ces sujets et se dire quels sont les grands engagements que je prends, comment je me projette. à moyen et long terme sur les difficultés et les défis auxquels je vais être confrontée. Et puis, quatrième étape, comment concrètement on va implémenter les plans d'action pour venir réaliser les engagements. Et en fait, la CSRD, en étant une obligation de transparence, donne l'ensemble de ce cheminement-là et donne aussi ce cadre pour mettre en place cette amélioration continue qui permet de s'auto-challenger et évidemment que les autres se challengent.
- Speaker #0
En parcourant ce chemin, justement, au sein de la Caisse des dépôts, en préparant ce rapport, est-ce qu'il y a des sujets précis sur lesquels vous avez mis en branle ou accéléré, peut-être ?
- Speaker #1
2024-2025 ont été des années qui ont été très riches. La CSRD a eu un rôle d'accélérateur pour des nouvelles ambitions qu'on a voulu prendre et leur opérationnalisation. On a mis en place un plan de transition climat dans un calendrier accéléré grâce à la CSRD. On l'aurait fait sans doute, mais pas avec cette temporalité. Un plan de transition climat, c'est un plan d'action dans lequel on indique et on se fixe des objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur l'ensemble de ces activités. On indique quels vont être les leviers qu'on va mobiliser pour atteindre les objectifs qu'on s'est fixés, quel coût ce plan d'action va représenter et comment on va le financer. Après, il y en aurait d'autres. On a mis en place, on a renforcé nos lignes directrices sur la rémunération des dirigeants. On a mis en place des ambitions communes. sur les sujets ressources humaines. C'est vraiment aussi grâce à la CSRD qu'on a eu ce tremplin et ce levier pour accélérer sur ce genre de projet.
- Speaker #0
Vous venez d'évoquer le rôle d'acteur financier du groupe Caisse des dépôts. Est-ce que les données issues des rapports CSRD des autres entreprises vont faire évoluer la façon dont vous fléchez vos investissements, dont vous dialoguez avec les entreprises sur la base des informations qu'elles transmettront ?
- Speaker #1
En tant qu'investisseur et en tant que financier, On a besoin d'informations sur les entreprises pour pouvoir analyser leurs performances. Et la CSRD met à disposition une information qui devrait être davantage normalisée que ce qu'on a eu jusqu'à présent et donc qui devrait nous permettre d'avoir des données plus fiables, plus robustes, sur des périmètres plus complets. Il nous est arrivé dans des rapports précédents d'avoir des données d'entreprises qui publiaient, par exemple, sur leurs émissions de gaz à effet de serre, des données qui ne couvraient que 40% de leurs périmètres, sans doute sur les activités sur lesquelles elles étaient les plus vertueuses en plus. Dans ces contextes, on n'a pas une information fiable pour prendre des décisions. Donc, avoir une information normée, complète, ça permet aussi d'avoir un langage commun avec elles quand on les engage. Quand on fait du dialogue actionnarial, c'est-à-dire qu'on va rencontrer en bilatéral leurs dirigeants ou leurs experts pour les interroger sur leurs pratiques et les challenger sur comment elles pourraient s'améliorer, on a une grille commune, officielle, sur laquelle on peut parcourir les éléments et on peut avoir justement ce langage commun. Un dernier élément, la CSRD a renforcé cette connectivité entre le financier et le non-financier. En regardant une approche où on regarde en premier les impacts, risques et opportunités, on force les entreprises à indiquer quels sont leurs enjeux et quels sont les défis qui vont se poser pour elles pour assurer la résilience de leur modèle. Si je prends par exemple une entreprise automobile, aujourd'hui il y a un sujet, notamment si elle fait un virage vers l'électrique, il y a un sujet sur les matières. premières et les terres rares. Est-ce que ce sujet est identifié par l'entreprise ? Comment elle pense se mettre en capacité d'y répondre ? Quelle chaîne d'approvisionnement elle pense pouvoir avoir ? Autre sujet, si vous prenez une entreprise de grande distribution qui vend 10 objets en plastique, ils ont été fabriqués quelque part ? Où ils ont été fabriqués ? Dans quelles conditions ils ont été fabriqués ? Aujourd'hui, il y a une autre réglementation qui, en France, est déjà applicable pour les très grandes sociétés de plus de 5000 salariés qui s'appellent la DEU. devoir de vigilance. Et donc, si une entreprise a recours à des sous-traitants qui ont des conditions de travail de leurs propres collaborateurs, qui sont déplorables d'un point de vue des droits humains, cette entreprise peut être challengée juridiquement, c'est-à-dire attaquée en justice, si elle n'a pas mis en place toute une procédure d'analyse suffisante de sa chaîne de valeur. Et dans ce cadre-là, on a un intérêt assez fort à dire, avant même d'en arriver là, regardez votre chaîne de valeur. On ne va pas vous rendre responsable de manquements que vous n'auriez pas pu voir, mais on va vous rendre responsable si au moins vous n'avez pas essayé. d'analyser les conditions dans lesquelles vos sous-traitants travaillent.
- Speaker #0
Est-ce que vous avez le sentiment que les acteurs économiques, les entreprises, envisagent cette transparence repensée comme une opportunité ou encore comme une contrainte ? Est-ce que c'est bien saisi comme une opportunité de s'inscrire dans l'avenir par les entreprises ? Ou alors est-ce qu'il y a de la résistance ?
- Speaker #1
J'ai l'impression qu'il y a deux types d'entreprises. Il y a les entreprises qui ont commencé à faire leur bascule, qui vont repenser leur modèle pour intégrer les contraintes. des défis planétaires auxquels on est confrontés, sur les ressources, sur le changement climatique, etc. Et puis, il y a d'autres entreprises pour qui le sujet paraît plus loin et qui ne sont pas encore entrées dans ce moule. C'est souvent celles qui disent que c'est une charge. Et là, moi, je m'inquiète pour elles, en fait. Parce que, quelles que soient les entreprises aujourd'hui, dans les modèles économiques de toute activité humaine, on dépend de ressources, on dépend de la biodiversité, de manière directe ou indirecte. Et si ces éléments-là, dans lesquels on dépend très fortement, ne sont pas pris en compte, à terme, sa chaîne d'approvisionnement va être mise en défaut.
- Speaker #0
La CSRD, et on le sent bien dans la façon dont vous racontez votre propre cheminement et ce que vous observez chez les autres, ça sollicite et ça interroge la capacité de conduite du changement dans les organisations. Au-delà des prises de conscience des uns et des autres, la résistance au changement est-elle finalement le plus grand défi à relever pour les entreprises ? d'aujourd'hui et de demain ? Et si oui, comment est-ce qu'on peut combattre cette inertie qui perdure chez certains ?
- Speaker #1
Le sujet n'est ni purement un sujet technique, puisque les solutions technologiques qu'on nous a, ni purement un sujet financier, puisque des investisseurs comme la Caisse des Pôles, on aimerait bien financer plus de projets de verdissement de l'économie. Donc si ce n'est ni un sujet purement technique, ni un sujet purement financier, qu'est-ce que c'est ? Certes, un sujet économique, et c'est aussi un sujet humain. On a une certaine façon de faire. et on a du mal à faire autrement. Alors, là-dessus, quelles peuvent être les solutions ? Déjà, le rôle des instances de gouvernance au plus haut niveau pour donner l'impulsion, pour dire oui, on y va, on change de cap, et ce changement de cap, on l'assume, et c'est une bonne chose. Ensuite, le fait que cet élément, ça ne peut pas être le fruit que d'une direction RSE toute seule dans son coin. Si le projet n'est pas un projet d'entreprise partagé à tous les niveaux sur lequel l'ensemble des collaborateurs portent également... Les sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance liés à son activité, là non plus, on ne va pas avancer. Et puis le troisième sujet, c'est le sujet de la redevabilité. On ne peut plus se contenter de dire et de faire des belles promesses. On ne peut plus se contenter de mettre en avant les super beaux projets qu'on a faits sur une toute petite partie de l'activité. On ne peut plus se contenter de dire, si, si, on va le faire, on a des beaux engagements. On arrive à un moment où on doit pouvoir faire la preuve effective que ce qu'on a dit. que les engagements qu'on a voulu prendre, que les beaux principes qu'on a mis en avant, concrètement, ça a porté des fruits et qu'effectivement, on arrivait à réduire les impacts.
- Speaker #0
Est-ce que vous avez un conseil lecture pour ceux qui voudraient en savoir plus sur ce monde, pas forcément uniquement du reporting, mais ce verdissement de l'économie, cette conduite du changement que vous nous avez décrit ?
- Speaker #1
Pour les courageux et les curieux, je vous conseillerais quand même d'aller voir un rapport de durabilité pour que vous fassiez vous-même votre propre opinion. Pour ceux qui ont un esprit ludique, je vous conseillerais plutôt un jeu vidéo qui s'appelle Oxygen Not Included. Ce jeu vidéo se passe dans une colonie sur une météorite, donc un univers fermé. Et l'objectif, c'est de faire prospérer la colonie, sachant que les ressources sont finies et tous les déchets, toutes les pollutions qui sont émises restent concentrées à l'endroit où elles ont été émises. Et pourtant... à la fin de la partie, on peut arriver à faire prospérer sa conémonie si on a réussi à faire en sorte que pour toute activité, ce qui sort d'une activité puisse être utilisé par une autre. Ça, je trouve que c'est une belle métaphore sur le défi qui nous attend.
- Speaker #0
Merci beaucoup Yona Kamelgarn. Je rappelle que vous êtes responsable performance extra-financière au groupe Caisse des dépôts. Virage est un podcast de la Caisse des dépôts et nous nous retrouvons très vite pour de nouveaux virages. Au revoir.