- Speaker #0
Bonjour, je m'appelle Pauline Maria, bienvenue dans Virage. Le podcast est sur la vie et ses tournants qui nous font rire, parfois pleurer, mais qui toujours nous inspirent. Bonjour Camille.
- Speaker #1
Bonjour Pauline.
- Speaker #0
Comment ça va ?
- Speaker #1
Ça va et toi ?
- Speaker #0
Ça va très bien, je suis très contente qu'on puisse enregistrer un épisode ensemble pour parler de ton histoire. Une histoire très personnelle puisque tu viens me parler d'une date qui a un petit peu tout changé. Dans ta vie, le 8 octobre 2022, tu étais victime d'un très grave accident. Tu étais en voiture avec ton mari et je crois ton frère et ta belle-sœur.
- Speaker #1
C'est ça, oui.
- Speaker #0
Qui étaient à l'arrière. Lors de cet accident, vous avez été percuté de plein fouet par une voiture qui roulait très très vite. Le conducteur a perdu la vie. Il était tout seul dans la voiture.
- Speaker #1
Il était avec un passager.
- Speaker #0
Il était avec un passager.
- Speaker #1
Oui, qui a été gravement blessé mais qui est toujours en vie.
- Speaker #0
Et lors de cet accident, tu es la seule qui physiquement n'a pas eu de graves blessures, mais pour autant, tu viens nous parler aujourd'hui du chemin et de la blessure plutôt psychologique que ça a causé chez toi.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Est-ce que tu peux m'en dire plus sur cette journée, comment elle avait commencé, où t'en étais dans ta vie, dans ta tête et ce que vous alliez faire ce jour-là, s'il te plaît ?
- Speaker #1
Alors, c'est une journée, enfin nous sommes partis en début de soirée. pour rejoindre la Normandie où j'allais fêter mon anniversaire en famille. C'est un accident qui est arrivé assez tard, vers minuit, minuit dix. Il nous restait très peu de kilomètres avant d'atteindre la destination. Et nous avons été percutés effectivement de plein fouet par un véhicule qui a changé de trajectoire au dernier moment, que nous n'avons pas pu éviter, et qui roulait un peu plus vite que la norme. Nous avons fait plusieurs tonneaux et nous avons atterri sur le côté dans un grand fossé. Et effectivement, j'ai pu sortir la première du véhicule. À ce moment-là, dans ma vie, j'étais en burn-out professionnel, parce que j'ai travaillé plus de dix ans dans le droit des entreprises en difficulté. Et j'étais aussi dans une période de ma vie personnelle un peu délicate, puisque j'étais en parcours PMA, après trois fausses couches. Et je venais justement d'entamer un parcours un peu plus... Déjà un parcours de résilience avec mon mari pour se retrouver. On a rattrapé un peu les mois qu'on venait de passer qui avaient été très compliqués. On n'avait pas de suivi psychologique déjà à ce moment-là au niveau de la PMA. C'est un accident qui a fini d'achever une période un peu charnière de ma vie. Et on a été transportés dans un autre monde du jour au lendemain. C'était une situation un petit peu d'horreur parce que l'ambiance dans la voiture était très festive. On n'était pas fatigué, on plaisantait. et on faisait surtout attention aux animaux, tu sais, qui pouvaient traverser la route. Donc on était vraiment en éveil. Et c'est vrai qu'en une demi-seconde, ta vie bascule. Et c'est d'autant plus compliqué quand tu n'es pas responsable de l'accident. Quand tu vis ça de manière totalement injuste, ça complique un peu le chemin. Même si on n'a jamais eu de colère, de ressentiment, on a eu... plutôt un sentiment d'injustice qui, je pense, est classique. C'est pourquoi moi ? Pourquoi après la BMA, alors que ça commençait à aller mieux, pourquoi maintenant ? C'est arrivé à un moment où, de toute façon, je n'étais pas spécialement alignée dans ma vie. Alors cet accident a rajouté évidemment d'autres blessures psychiques, des blessures qui sont très graves et que j'ai toujours aujourd'hui, qui étaient totalement méconnues pour moi parce que découvrir le monde médical de cette manière-là, même si j'avais eu un avant-goût avec la PMA, découvrir le monde de la réanimation, ça a été un vrai traumatisme. Aujourd'hui encore, c'est ce qui m'a le plus perturbée, parce que c'est un microcosme, c'est un service qui est assez caché dans l'hôpital, où il ne faut montrer pas de blanche pour entrer, c'est très intimiste, et puis c'est un service qui est extrêmement tendu, où il y a beaucoup de décès. Et ça a été difficile pour moi, je parle pour moi, parce que Il a fallu que je me reprenne tout de suite. Alors j'avais beaucoup de contusions, j'avais un état un peu de sidération parce que j'ai vécu à ce moment-là, lors de l'accident, un épisode de mort imminente. Je me suis vue mourir, j'ai vu un halo d'une certaine couleur un peu lumineuse et tout ça. Et je me suis vue au-dessus de moi quand je suis sortie du véhicule. Donc j'ai eu un énorme stress post-traumatique. J'avais des relents un peu d'odeur visuelle. Je me voyais encore, enfin tu vois, je sentais le moteur qui brûlait, j'avais des hallucinations auditives. Et le fait de devoir gérer l'assurance, de devoir appeler le travail de mon mari, de devoir appeler les uns et les autres, gérer les groupes WhatsApp, aller fouiller dans les affaires de mon mari pour trouver ses papiers. Et en fait, on n'a pas le temps de s'apitoyer sur soi, de se rendre compte. On a encore le corps qui a emmagasiné la cinétique. donc tu as des brisures un peu partout au niveau nerveuse, que tu dois tous les jours aller en service de réa, et en plus tu devais mettre la blouse, t'habiller totalement, donc c'était très difficile. Parce que pendant un temps, j'ai entendu plusieurs fois la phrase « mais toi t'as de la chance, t'as rien eu, c'est super, tu vas pouvoir l'aider, mais je comprends pas, oui t'as de bleu, mais t'as rien en fait, tu n'as rien » . Et je l'ai cru. en fait ça, parce que oui je pouvais marcher et on a cette tendance à se dire que si je suis sur mes deux jambes et que je souffre pas physiquement, ce qui est évidemment une grande chance, mais on est totalement détruit à l'intérieur et le fait d'être en pilote automatique on se met en mode déni, dissociation, dépersonnalisation totale, on n'est plus en fait à l'intérieur de nous, on est là on boit parce qu'il faut boire, il faut s'alimenter pour continuer tous les jours à avoir cette énergie et c'est vrai qu'il est resté assez longtemps en réanimation ... Il est resté plus de dix jours.
- Speaker #0
Là, on parle de ton mari.
- Speaker #1
On parle de mon mari qui est resté plus de dix jours en réanimation. Et pendant dix jours, ça a été l'espoir, en fait, l'espérance.
- Speaker #0
Son pronostic vital était engagé.
- Speaker #1
Oui, oui, oui. Il a été longtemps, longtemps engagé. Il a eu plus d'une quinzaine de fractures. Il a été touché vraiment partout, sauf à la tête, cérébralement, ce qui l'a sauvé au niveau de la moelle. Mais le service de réanimation, ça a été là où j'ai commencé à prendre conscience que je n'avais pas rien. Parce que ce sont les médecins de réanimation qui, me voyant venir tous les jours, rester dix minutes parce qu'on n'a pas le droit à plus, m'ont demandé au bout d'un moment, mais vous, vous étiez dans la voiture ? Ou vous l'attendiez à la maison ? Non, moi j'étais dans la voiture, j'ai réussi à sortir, mais j'ai rien. Et c'est les internes qui ont commencé à me dire, mais madame, il faut vous faire accompagner, il faut aller voir un psychiatre, il faut aller faire un scanner, il faut aller voir des médecins. C'est impossible de ne rien avoir. Même si vous n'avez pas de fracture ouverte, vous êtes en état de choc, ce qui est logique. et Tout de suite, en fait, mon côté victime d'accident de la route est tombé, a été mis de côté, et je ne suis plus devenue qu'une aidante. Et ça a été mon rôle, et c'est encore mon rôle aujourd'hui. Ça fait deux ans et demi, et je pense que je le resterai à vie. Même si aujourd'hui mon mari va mieux, il a un handicap qu'il gardera à vie, et une situation dégénérative qui va briser pas mal de ses rêves, dont sa vision de la paternité. Moi, je ne suis plus qu'une aidante. Et aujourd'hui, j'ai décidé de... prendre la parole un peu là-dessus, parce que les réseaux sociaux sont beaucoup décriés, mais ils m'ont donné une grande force dans cette épreuve, parce qu'il y a beaucoup de personnes qui ont vécu des accidents de la route, qui ont vécu des deuils, des maladies, qui ont dû accompagner, pas forcément pour eux, mais qui ont accompagné des gens. Et leur bienveillance m'a beaucoup aidée. Parfois, les gens qu'on côtoie physiquement peuvent être... délicat ou ne peuvent ne pas comprendre parce qu'on n'a pas tous la même carte émotionnelle, on n'a pas tous la même expérience de vie. Et ce qui peut paraître encourageant pour l'un va paraître totalement... va m'enfoncer un peu la tête sous l'eau. Donc c'est parfois difficile de se sentir compris.
- Speaker #0
Oui, surtout que ce que tu me disais quand on avait échangé ensemble, c'est que ton mari a vraiment tout fait pour que tu aies rien. C'est-à-dire que quand il a vu le choc arriver, il a vraiment tout de suite...
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Tourner la voiture.
- Speaker #1
On a eu un millième de seconde pour prendre une décision. Moi, mon réflexe, ça a été de... Je me tenais exactement comme ça et j'ai repositionné mes jambes et je me suis tenue à la poignée de maintien. Ça a été mon réflexe et ça m'a sauvé la vie parce que le... Le tableau de bord, la boîte à gants a tapé dans mes genoux et ça m'a sensibilisé un peu la colonne. Donc j'ai perdu l'usage de mes jambes pendant quelques heures. C'est revenu. Les quelques heures que j'ai passées sans sentir le bas de mon corps a été une sensation déjà très...
- Speaker #0
Oui, c'est long.
- Speaker #1
C'était long. C'était très très long et ça m'avait déjà fait un choc psychique. Et mon mari a vraiment tourné pour absorber au maximum. Et ce qui m'a donné de l'adrénaline pour sortir du véhicule, justement, c'est... Quand on s'est stabilisé, je suis la seule à ne pas avoir perdu connaissance, donc j'ai vraiment le rappel de tout ça. Quand on s'est stabilisé, il y a eu un grand grand silence et j'ai vraiment cru que tout le monde était mort autour de moi. Et c'est vrai que je suis restée immobile à me dire qu'est-ce que je fais, parce que je suis au milieu de nulle part, je suis en pleine campagne, il fait froid, je n'ai aucune idée de où je suis, dans quel sens je suis positionnée. Mon mari était complètement inerte sur le volant. Je me suis dit, il est mort. Et au bout de quelques minutes, il a juste bougé. Et je me suis dit, c'est gagné. Il a bougé, c'est bon pour moi, il est en vie. Et la première chose qu'il m'a dite, c'est, je suis désolée, je ne peux pas t'aider, je suis bloquée sous le moteur. Et d'entendre ça... Pardon,
- Speaker #0
c'est difficile, j'imagine.
- Speaker #1
D'entendre ça, ça m'a... libérée en fait. Je me suis dit t'inquiète pas c'est moi qui vais sortir et comme j'étais en l'air j'ai essayé d'ouvrir ma portière c'était impossible. J'ai su après que je n'aurais jamais réussi à le faire et donc ce qui nous a sauvé aussi la vie c'est qu'on avait un toit en verre et c'était le seul moyen de sortir par là. Donc j'ai vraiment escaladé mon mari et j'avais du poids en plus à cette époque là parce que là j'ai perdu 25 kilos. Donc j'avais du mal à bouger, j'étais en méforme totale après tu vois les hormones de la PMA. Et j'ai réussi à casser le toit avec mon coude et j'ai rampé dans l'herbe. Et c'est cette phrase-là où je me suis dit, mais il est en train de mourir parce qu'il était clairement en train de mourir dans le véhicule. Il avait vraiment une grave hémorragie. La première chose qu'il me dit, c'est je suis désolée. Et je me suis dit, il ne se plaint même pas parce que je pense qu'il était totalement inconscient avec l'adrénaline de ce qu'il ressentait. Et ça a été... Je ne vais pas le laisser tomber. Ça m'a vraiment débloqué quelque chose et ça m'a donné une force physique que je ne pensais pas avoir. Du coup, mon frère a réussi à me rejoindre, qui lui avait le bras totalement démis, il se traînait et tout ça. Et ça a été difficile parce que j'ai eu beaucoup de culpabilité par rapport à ma belle-mère aussi. Le fait que son fils soit en réanimation parce qu'il avait voulu volontairement tout prendre. Je me sentais toute petite, donc ça m'a encore plus... convaincu qu'il ne fallait pas que je me plaigne. Et je me suis dit, jamais j'abandonnerai quelqu'un qui souffre autant et jamais je le quitterai. Et c'est aussi ça qui est important, c'est où est la limite entre est-ce que tu restes avec quelqu'un parce que tu n'as pas le courage maintenant de le quitter ? Est-ce que tu embrasses vraiment volontairement la situation du handicap ? Est-ce que ça change ton regard sur la personne ? Comment reconstruire une situation amoureuse quand tu es aidante, quand la personne elle-même se sent diminuée ? Il ne se sent plus homme au sens farnel du terme. C'est une relation qui est très difficile dans un couple, de regagner quelque chose d'amoureux, de ne pas tomber justement dans... Je n'arrive pas trop à expliquer ça, tu vois.
- Speaker #0
De ne pas tomber dans la cohabitation avec justement le côté où tu te retrouves pratiquement une infirmière, une soignante à son côté et vraiment justement reconstruire une vraie relation, discuter, avoir des conversations.
- Speaker #1
Oui. J'ai été préservée de ça en centre de rééducation parce que je ne faisais pas les soins, parce que lui, dès qu'il a pu, il a essayé de tout faire tout seul. Vraiment, il voulait dépendre de personne. Mais quand il est revenu à la maison, c'est vrai que lui, il se sentait mal parce qu'il y avait le fauteuil. Il a fallu tout aménager autour de ça, ce qui est normal. Il avait un lit médicalisé. On a eu pendant plus d'un an et demi un lit médicalisé à la maison. J'ai dormi dans un lit médicalisé, relevé, donc moi je l'ai fait vraiment... par amour parce que j'aurais pu dormir ailleurs mais on se sentait déjà éloigné dans notre tête que je voulais quand même conserver le fait d'être côte à côte même si pendant un an dormir relevé pour moi ça m'a abîmé les cervicales c'était pas hyper agréable mais c'était quelque chose que j'ai fait vraiment volontairement pour lui dire mais je suis avec toi en fait dedans pas juste la personne qui vit avec moi, qui est dans un lit, où je t'amène le petit déjeuner le matin, c'est je veux vivre ça avec toi, puisque je ne peux pas prendre ta douleur, laisse-moi au moins vivre tout. Donc c'est pour ça aussi, quand je parle du côté chronophage, anxiété, de vouloir le décharger de l'administratif, parce que lui, il demande aussi à faire que ça, mais quelque part, je me sentais utile en fait, en faisant ça, en allant prendre les rendez-vous, en gérant les radios, en gérant tout ce qui est papier. Les relations avec l'avocat, avec les experts, c'est une charge mentale qu'on ne voit pas. Pour les longues maladies, c'est pareil. Pour les deuils, il y a la douleur à gérer en soi. Mais il y a tout ce qu'il y a à faire après. Il y a des décisions.
- Speaker #0
Et on se vit par la paperasse.
- Speaker #1
Oui. Et ça nous empêche de se focaliser sur ce que je ressens moi, la douleur que je ressens moi. Et je pense que ma famille, au début, m'a... m'a forcée à manger matin, midi et soir, à mettre la table, à faire des choses pour continuer à avoir un semblant de vie au début. Ça a été difficile parce que je me sentais forcée de le faire alors que moi j'avais envie de rester allongée dans mon lit et de rien faire, de pleurer, d'attendre juste le lendemain pour pouvoir retourner en réanimation. Et finalement, ça m'a permis aussi d'avoir la force justement de gérer tout ça, de gérer des longues conversations, de gérer des problématiques qu'on n'a pas envie de gérer, les rapports avec la gendarmerie, d'aller faire les... les dépositions, d'organiser la gendarmerie à l'hôpital. C'est des petits détails qui, quand on va bien, c'est déjà pénible, mais ce n'est pas insurmontable. Mais je pense que quand on n'a pas d'énergie, chaque chose est dure. Et c'est ça, je pense, que les gens ne voient pas de l'extérieur, où ils ont un temps limite à nous accorder et que tout est dur pour nous. Tout est dur.
- Speaker #0
Et puis chaque chose, j'imagine, chaque moment où on te demande de re-raconter une énième, où est-ce qu'il s'est passé ce soir-là, te replonge en fait sans cesse dans les circonstances de l'accident et t'empêche d'aller de l'avant.
- Speaker #1
Absolument. C'est vrai que comme on a rencontré beaucoup de spécialistes, on a dû raconter 15 fois la même histoire. 15 fois la même histoire face à des gens qui n'ont pas le même accueil à cette histoire. Il y a des gens qui vont dire « Ah mon Dieu, c'est terrible » , d'autres qui vont dire « Hop, ça va » . C'est bon, vous avez de la chance. Et oui, on a de la chance. On a eu énormément de chance. Mon mari le ressent, il a eu de la chance, mais pour lui, il a du mal à... C'est pas qu'il supporte pas qu'on lui dise ça, c'est que lui, il vit avec la douleur. Et les gens pensent à tort qu'une personne qui est même en fauteuil roulant, elle est en fauteuil roulant, mais tout va bien. Et qu'elle n'a pas de souffrance, que c'est pas dégénératif et tout ça, mais une personne qui est handicapée Et généralement, elle a des souffrances tous les jours. Elle souffre tous les jours de sa vie. Mon mari est debout, mais chaque pas est une douleur énorme. Il souffre en permanence.
- Speaker #0
Parce que finalement, quel a été le diagnostic pour ton mari ? Quelles ont été les choses contre lesquelles il a dû se battre ? Et quel est son état aujourd'hui ?
- Speaker #1
Lui, il a tout pris du côté gauche, parce que le choc s'est fait à gauche. Et la principale problématique, ça a été le fémur qui a été brisé quasiment sur tout le long. Donc il a été opéré pendant 9 heures. le jour de l'opération. Ils lui ont posé une prothèse, je schématise, mais une prothèse de fémur. Il a failli mourir pendant cette opération et il a été touché au niveau du bras. Comme il est gaucher, ça a été très compliqué. La première opération n'ayant pas forcément abouti, un an plus tard, il a dû subir la même opération. Ça a été à peu près 10 heures d'opération pour changer la prothèse, qu'on appelle un clou gamma. On lui a mis un clou gamma beaucoup plus long. Sauf que pendant l'opération, il a... Il a perdu beaucoup d'os, beaucoup de sang et il a failli également mourir d'une très grave anémie. Donc il a été transfusé plusieurs fois. Et aujourd'hui, il a une différence de taille très importante entre les jambes, ce qui fait qu'il portera à vie des chaussures orthopédiques. Mais il y a énormément de choses qu'il ne peut plus faire. Donc il ne pourra pas ni s'agenouiller, ni courir, ni sauter, ni faire de vélo. Et il a des douleurs au niveau de la hanche, du genou, de la cheville. Ce qui fait qu'en tout cas pour le bas du corps, d'ici 10 à 15 ans, il aura des prothèses au niveau de toutes les articulations. Sachant qu'on lui suggère de refaire une opération du fémur où ce serait encore un an d'hospitalisation. Avec aucune garantie que l'os consolide, donc c'est une vraie problématique. Et au niveau du bras, comme le jour de l'accident il n'a pas pu être opéré assez longtemps parce qu'il était trop fragile, on a un peu rafistolé. Il vit en fait avec un bras cassé. qui le fait énormément souffrir. Et sa problématique au niveau du coude est trop compliquée. Donc, en fait, son coude va s'arthroser dans les prochaines années. Il va perdre progressivement l'usage de son bras. Donc, ça, ça a été une nouvelle qu'on a reçue récemment, qui a été assez lourde parce que le bras serre quand même tout le temps. C'est des gestes que nous, en fait, valides, on ne se rend pas compte parce que ce sont des gestes un peu fantômes, un peu...
- Speaker #0
Complètement automatiques.
- Speaker #1
Automatiques, voilà. Et le fait que ce soit un bras dominant... Lui qui est musicien, qui est donc gaucher, et réapprendre à plus de 40 ans à devenir droitier, à faire donc travailler son hémisphère cérébral d'une manière différente, c'est pas un petit travail, il faut réapprendre à écrire de la main droite, et c'est surtout qu'il souffre en fait. Il s'est même posé un jour la question d'amputer carrément le bras, parce que ce serait plus simple, au moins il n'aurait pas de douleur. Donc c'est ça aujourd'hui la problématique, c'est qu'il est sorti d'affaires, donc on est sorti du pronostic vital, mais on gère tout ce qui est handicap et un handicap. invisible en fait. Il a une boiterie que les gens voient. Il y a toujours, tu sais, quand on se gare sur une place handicapée, parce qu'il a du mal avec les escaliers, il a du mal même à se tenir à la rampe, il y a toujours les gens qui guettent quand tu descends de ta voiture. Est-ce que tu as quelque chose que je peux... Voilà, est-ce que je peux juste assimiler, t'assimiler toi un handicapé ? Et donc il voit la petite boiterie et tu vois, tu sens que certains sont un peu soulagé ou soit un peu content en disant c'est bon oui je vois Et même chez nos proches, on oublie parce qu'en fait, ils se plaignent tellement jamais. Et c'est ça que je voudrais dire aussi, c'est qu'en centre de rééducation, on te dit va à ton maximum. Ne joue pas justement à l'handicapé, ne joue pas sur tes faiblesses. Il faut que tu aies un mental de gagnant et tu dois sans arrêt te battre pour ta dignité. Et quand tu sors dehors, les gens, vu que toi, tu appliques ces principes-là, les gens ne le voient pas. Puisque tu ne te plains jamais, que tu t'habilles, tu essayes d'être propre sur toi. que tu essayes de justement travailler ta boiterie pour pas que ça se voit, les gens ne le voient pas. Donc lui se sent entre deux os. Et c'est très difficile de trouver sa place.
- Speaker #0
Pas assez valide, pas assez handicapé. C'est un truc que tu expliques dans ton livre, puisque tu as écrit un livre qui s'appelle Je n'ai rien, dans lequel tu expliques justement ton parcours de résilience. Et je voudrais revenir sur quelque chose dont tu me parlais, puisque tu me disais qu'il était musicien et que donc le fait d'avoir perdu l'usage de son bras. Mais c'est vrai que juste avant l'accident, vous envisagez un parcours de PMA. Je ne sais pas si c'est un projet qui vous tient toujours à cœur. C'est vrai que quand on a des enfants en bas âge, on passe du temps quand même à leur courir après, à être à genoux sur un tapis avec eux pour qu'ils puissent jouer, même les porter, les bercer dans les premiers temps. Globalement, ce n'est pas très compatible avec ce qu'a ton mari aujourd'hui. Quel est le positionnement ? Comment vous, vous vivez les choses par rapport à ça ? Et est-ce que c'est un projet qui est un petit peu reporté ? Voir avorter.
- Speaker #1
C'est un projet qui est pour le moment avorté, je pense que je vais être sincère. Parce que, comme je te le disais, moi je me suis fermée à ça tout de suite. La PMA m'a énormément fait souffrir parce qu'il y avait déjà le fait de ne pas me sentir écoutée quand on fait des fausses couches qui ne sont pas assez avancées aux yeux des gens. Donc pour les gens, ce ne sont même pas des grossesses. Et il y avait tout le parc. parcours, de se sentir comme un numéro, d'aller faire des prises de sang tous les jours, qui était difficile à mettre en place avec un quotidien professionnel, parce qu'on n'est pas forcément écouté non plus par son patron, par ses équipes quand on en parcourt PMA. C'est un autre débat, mais c'est quelque chose qui mériterait aussi d'être mis un peu plus en lumière. L'accident a tout pulvérisé, parce que c'est vrai que mon mari me dit, quand je ne peux pas me gérer moi-même déjà, je ne peux pas gérer un enfant, et c'est surtout que je ne peux pas m'inquiéter si lui est en danger, je ne peux pas agir. Après, les réseaux sociaux, c'est aussi pour ça que je parle un peu plus de l'accident maintenant. Il y a tellement de magnifiques histoires qui montrent que des personnes qui sont lourdement handicapées, qui ont une parentalité à eux, parentalité différente. Et je pense que tout se fait. Et je pense que le regard du handicap est très différent chez un enfant. Parce que moi, je pense sincèrement que quand un enfant est dans une situation, il ne voit pas, lui, la différence. Il apprend la différence quand il va à l'école ou un peu plus tard. Mon mari, au début, c'était ça. C'était comment mon enfant va me regarder. Et dans la rue, on voit aussi beaucoup de gens, beaucoup de papas qui sont en fauteuil motorisé, qui ont trois enfants. Et on voit, en tout cas, ça a l'air de bien se passer. Moi, j'essaye de lui dire qu'on s'adapte. Voilà. Ça,
- Speaker #0
le regard de l'enfant, je pense qu'il n'y a pas de souci à se faire parce qu'effectivement, déjà, les enfants sont très résilients. Parfois, des enfants en bas âge, c'est l'adulte qui va s'inquiéter d'une situation. Et en fait, l'enfant, il est très fort, il est très résilient. Donc là-dessus, l'image que l'enfant aura de son père, ce sera l'image de son père, ce sera son héros, c'est sûr qu'il soit valide ou pas, ça n'a pas d'importance. C'est plutôt pour lui par rapport à comment il se projette en tant que père. Toi aussi, parce que du coup, par la force des choses, forcément tu porterais davantage de choses. Tu vois, si ton bébé a par exemple du reflux ou quoi que ce soit, qu'il a besoin d'être beaucoup bercé, je pense que peut-être qu'au début tu aurais moins de relais. Tu vois, je pense que c'est plutôt au niveau du couple.
- Speaker #1
Oui. Je pense que ça se fait aussi avec la vision que tu as toi de la parentalité. Je vois mon mari, forcément, il s'identifie à ce qu'il a pu vivre avec son père. Il se dit, je ne pourrais pas jouer au foot, je ne pourrais pas faire du vélo, je ne pourrais pas faire de l'acrobranche, ce genre de choses. Pour moi, ce n'est vraiment pas un problème. Je n'ai jamais vécu l'accident comme quelque chose qui allait m'empêcher de devenir maman. Au contraire, je vois ça comme un challenge en me disant, ça n'a pas changé la vision que j'ai de mon mari. Et ça, c'est important parce qu'il avait peur de ça aussi. Mais moi, la vision de la maternité a complètement changé parce qu'aujourd'hui, je n'ai pas envie de repartir dans quelque chose de médical. Ça me fait vraiment très peur parce qu'on oublie aussi que chaque intervention est source de danger, chaque anesthésie est source de danger. Les gens ont tendance à oublier que le corps est résilient aussi, mais jusqu'à un certain point et que ça peut aussi mal se passer pour X raisons. Et moi, je pense que j'ai développé une phobie et un burn-out médical. Ma vision de la maternité, je ne l'ai même pas encore questionnée. Ce que je disais tout à l'heure, j'ai 34 ans, donc je suis jeune, mais je ne suis plus si jeune. Je pense que j'ai une grande douleur par rapport à ça. Parce qu'on m'a enlevé ce choix. Et déjà, la PMA m'avait enlevé, entre guillemets, le choix de devenir maman naturellement. En tout cas, comme on en rêve toutes, c'est-à-dire d'avoir un rapport plein d'amour et que ça se passe comme ça. Et puis voilà, la PMA, c'est différent. C'est est-ce que tu veux vraiment un enfant ? Parce que c'est vrai qu'on dit souvent que les bébés de PMA sont très aimés, très désirés, très aimés. Parce qu'on se bat, c'est vraiment un parcours du combattant. et si déjà le couple survit à la... La PMA, pour moi, il est presque indestructible, même s'il y aurait tant à dire sur la PMA entre l'homme et la femme. C'est très différent. Déjà que la grossesse, j'imagine que c'est très différent pour les deux. Mais voilà, c'est surtout que lui m'a vu souffrir beaucoup et il voulait déjà porter. Et en fait, c'était comme un sablier. Tu vois, le fait d'avoir vu l'accident aussi, même si j'ai souffert à différents niveaux. On a remis les choses un peu à plat suite à ça. Et je sais qu'on n'en parle pas. C'est un sujet un peu tabou entre nous. De mon fait à moi. Parce que je pense que je souffre trop. J'ai trop souffert dernièrement pour penser à un bébé. C'est vrai qu'en centre de rééducation, il y a même une patiente qui m'a dit « tu devrais lui faire un bébé, ça l'occupera pendant son handicap » . Et je lui ai dit que voilà. Les femmes, il y a beaucoup de femmes malheureusement qui ne peuvent pas juste dire « bah oui, je vais lui faire un enfant, c'est comme ça » . C'est très douloureux et c'est très intime surtout.
- Speaker #0
Et puis un bébé n'est jamais un médicament. C'est jamais un passant, c'est jamais quelque chose qu'on fait, c'est même quelqu'un qui vient au monde et à qui on a envie. Donc c'est sûr que tu as raison dans le côté où déjà il faut que toi tu te sentes psychologiquement mieux, parce qu'en fait on ne parle pas assez de santé mentale et de la santé mentale et de la place des aidants, mais en fait de venir, de se retrouver propulsée du jour au lendemain dans le monde des aidants. Il y a une phrase que tu dis à un moment dans ton livre que je trouve très touchante et très marquante. Parce que tu rapportes la phrase que te dit un infirmier en réanimation, qui te dit, de réanimation, il y a deux issues possibles, la mort ou la vie. Et en fait, j'ai presque l'impression que ce choix, il s'est offert à toi aussi, en fait, à un moment donné. Que quand tu vis ce parcours-là, en tout cas, quand on lit ton livre en tant que lectrice, c'est un petit peu l'impression qu'on a de se dire qu'à un moment donné, tu t'es retrouvée un petit peu à la croisée des chemins, en te disant, et si moi aussi, je faisais le choix ? de vivre. Donc toi, ça s'est matérialisé, par exemple, par une envie de, tu l'as dit tout à l'heure, perdre du poids, réapprendre à t'alimenter en donnant des choses saines à ton corps. Et j'ai l'impression qu'en ça, on va faire attention à ce qu'on dit, on ne va pas dire que ça a été quelque chose de positif parce que ça reste une énorme douleur.
- Speaker #1
Oui, mais il faut comprendre.
- Speaker #0
La manière dont tu l'as transformée, tu as choisi, à un moment donné, en tout cas, c'est l'impression que tu me donnes, d'en tirer du positif et d'essayer de... de renaître de tes cendres, de devenir plus forte ?
- Speaker #1
Je pense que c'est un choix qui se pose à nous de manière totalement inconsciente et au bout d'un long moment. Je pense surtout que pendant un an et demi, j'ai été dans un état de déni total et absolu. J'ai eu des crises psychiques très sévères parce que je me suis retrouvée un peu seule du jour au lendemain et je me suis laissée porter par les événements. J'ai fait tout ce qu'il y avait à faire. Je suis allée à tous les rendez-vous où il fallait aller. Je suis allée le voir tous les jours. Peut-être en deux ans et demi, je ne suis pas venue deux fois parce que j'avais deux rendez-vous, tu vois, mais sinon je suis venue tous les jours, passer 30 minutes à une heure et c'est tout. Je suis même allée dormir au centre de rééducation, mais je ne me posais pas de questions par rapport à moi. Je pense qu'à un moment donné, je me suis totalement laissée aller. Et en fait, mon chemin vers la résilience, vers le positif, vers ce choix conscient de dire je vais aller mieux, c'est grâce à mon... Un médecin psychiatre qui m'a dit un jour, dans une situation d'horreur comme ça, par exemple, je fais très attention à ce que je dis, mais quand il y a un attentat ou quelque chose qui bascule en une seconde, ce n'est pas parce que tu n'as pas eu une fracture ou un impact que tu n'es pas traumatisé par ce qui s'est passé. Et le fait qu'on me dise, mais Camille, tu as le droit de souffrir, c'est normal que tu souffres, c'est normal que tu sois traumatisé, parce qu'on m'a fait un peu culpabiliser de ne pas conduire, par exemple. On m'a fait culpabiliser de me dire « mais t'as encore peur tout ce temps après, tu mets encore un bandeau sur les yeux, sur les départementales » . Moi je suis remontée tout de suite en voiture et je leur dis « mais on n'a pas tous la même sensibilité » . Moi j'ai vu le choc, j'ai vu mon mari en réanimation et j'ai vu d'autres patients mourir en réanimation. Comme je le dis aussi, on a eu des équipes de proches, d'aidants. qui arrivent aux mêmes heures et qui repartent aux mêmes heures, et il y en a malheureusement qui décèdent. Donc tout ça, toute la souffrance qu'on voit tous les jours, on l'emmagasine quelque part. Toutes les visions de personnes qui sont vraiment dans des situations de lois handicap, on sait qu'elles vont mourir, de voir ça, ça atteint. Même si on développe des liens avec ces personnes-là, avec les patients, on se crée une nouvelle famille, c'est jamais anodin. D'aller mieux, je pense que c'est avec beaucoup, beaucoup de recul. Quand j'ai vraiment compris en mon moi que lui était sorti d'affaires, que j'ai commencé vraiment à baisser un peu la garde. Ce qui m'a permis aussi de commencer un chemin.
- Speaker #0
De perdre du poids, par exemple, c'était aussi de dire au revoir à ma situation professionnelle, au revoir à la PMA, au revoir à l'accident et en tout cas aux premiers mois qui ont été vraiment très traumatisants. Et de me dire, je vais m'occuper de moi maintenant. Voilà, mon mari me laisse aussi du temps pour moi, il m'aide, moi. C'est vraiment une des personnes qui m'a toujours dit dès le premier jour, mais tu souffres autant que moi. Alors je lui ai toujours dit non, moi je vais bien. Je suis libre de mes mouvements, je peux tout faire, je ne suis pas prisonnière de mon corps. Mais à l'intérieur, j'avais plus rien. D'où ma reconnexion à la nature qui m'a beaucoup aidée. Le fait de sentir, c'est des détails, mais sentir le vent, regarder les oiseaux, retrouver quelque chose qui te crée de l'émotion que tu as totalement perdue. Le fait de se délester d'un kilo, puis de deux kilos, trois kilos, c'est comme si tu disais au revoir à une ancienne version de toi-même. Ça ne vient pas comme ça. Je pense que ça arrive quand tu es prête, en fait, et que toi-même, tu ne te rends pas forcément compte que, bah, aujourd'hui, c'est le jour J, ça y est, je peux commencer. Je pense que le MDR m'a beaucoup, beaucoup aidée aussi.
- Speaker #1
Du coup, le MDR, c'est une pratique qui, à la base, est un petit peu née, corrige-moi si je me trompe, pour aider les soldats quand ils revenaient de la guerre et qu'ils avaient vécu un choc post-traumatique. Et donc, toi, tu as fait appel à cette pratique-là.
- Speaker #0
Oui, je l'ai fait assez tardivement parce que... Au début, on m'a toujours dit que c'était trop chaud, c'était trop présent et j'avais encore tellement de choses à gérer que je n'allais pas m'embarquer dans quelque chose qui pouvait être assez violent pour moi. Et le problème, c'est que j'ai, je pense, attendu trop longtemps parce que mon esprit était tellement embrumé dans la dépersonnalisation. C'est comme si tu étais recroquevillé tout au fond de toi et tu étais complètement comme une petite fille recroquevillée et que tu ne voulais pas revenir dans ta tête. Je suis tombée sur une thérapeute qui m'a beaucoup aidée, qui m'a aidée à aller chercher au fond de moi, délier la boule de nerfs, la boule de nœuds que j'avais à l'intérieur du crâne. Et ce qui est assez intéressant dans cette thérapie, c'est déjà qu'on peut traiter n'importe quel trouble, que ce soit une phobie, que ce soit une sensation où on n'arrive pas à mettre le doigt dessus, un mal-être, un traumatisme qui date d'il y a 20 ans, ce n'est pas forcément un accident de la route, ça peut être n'importe quoi. On pense... que nous, on s'arrête sur des choses bien précises, on va dire, j'ai été choquée par ça. Et en fait, quand on va chercher dans notre subconscient, on s'aperçoit que le choc, il n'est pas là. Il est sur quelque chose qu'on a bien caché, qui est une phrase entendue par un médecin dans un étage particulier. Et en fait, c'est ça qui nous a vraiment fait du mal. Et d'aller chercher de mettre vraiment le doigt sur ce qui a cristallisé cette douleur, ça a été une expérience percutante pour moi. Vraiment, j'ai... J'étais recroquevillée dans mon siège à la fin de la séance, je ne pouvais plus bouger, j'avais les mains comme ça, j'étais bloquée. Parce que ça a tellement été violent pour mon cerveau d'aller ouvrir ça deux ans après en disant « Non mais en fait ça fait deux ans que tu te mens, deux ans que tu te caches, deux ans que tu penses que tu vas bien et en fait t'as même pas été exorcisé, t'es démon et t'as pas voulu revivre la scène. » Et ça m'a fait énormément de bien. Et depuis le MDR j'arrive à monter en tant que passagère. Conduire, je ne peux pas. Je ne veux pas me forcer parce que je pense que quand on a peur sur la route, on devient potentiellement un danger pour les autres aussi. Il faut savoir s'en rendre compte et assumer le fait qu'on a peur. Maintenant, sur les routes départementales, je mets toujours mon bandeau. Je ne suis plus capable de croiser des gens parce que c'est quelque chose qui peut réarriver. C'est aussi ça, ce n'est pas comme si je m'étais pris une poutre qui tombe d'un immeuble où c'est quelque chose d'exceptionnel. Un accident de la route, c'est malheureusement tellement banal. C'est tellement banal, ça peut arriver à n'importe qui. Ce n'est pas forcément la nuit avec quelqu'un qui est alcoolisé. C'est quelqu'un qui peut faire un malaise au volant à 14h. C'est quelqu'un qui peut regarder son téléphone. Ça peut arriver à n'importe qui. Ça ne m'était jamais arrivé avant. De vivre un accident comme ça, un accident mortel.
- Speaker #1
Une intensité, oui.
- Speaker #0
On voit tout ce qui se passe après, comment ça se passe. De voir quelqu'un se faire réanimer, de face à une situation de terreur.
- Speaker #1
Et vous avez tout de suite su que le conducteur de la voiture d'en face n'avait pas survécu ?
- Speaker #0
Oui. Il est mort sur les lieux de l'accident. Des mêmes blessures que mon mari. Ils ont eu quasiment les mêmes choses. C'était quelqu'un qui n'avait pas bu. Donc ça a aussi permis un travail un peu moins dans la colère. Que si c'était quelqu'un, tu vois, qui était...
- Speaker #1
Qui est revenu de soirée, qui avait bu,
- Speaker #0
qui avait consommé des substances.
- Speaker #1
Est-ce que ça rajoute quelque chose ? Alors je ne sais pas, tu ne me dis pas de la colère, mais du coup une émotion un petit peu compliquée à gérer. Quand justement il est mort, est-ce que ça n'aurait pas pu aider que d'avoir des réponses, de pouvoir avoir accès à sa personne ? Est-ce que ça ne change quelque chose ?
- Speaker #0
Je dirais même que ça éteint tout de suite le sentiment de colère. Parce qu'on reste humain et mon mari n'est même pas dans la colère, il n'a jamais été dans la colère. Je pense que ça aurait été différent si l'un de nous quatre était décédé dans l'accident, évidemment. Mais je pense que quand on assiste à ça, on a beau être en colère, mais premier mot, moi ça a été contre le passager qui est venu prendre nos nouvelles. Et c'est vrai que moi j'ai eu un coup de sang. En lui disant restons bien chacun de notre côté de la route parce que là c'est très difficile. Mais en dehors de ça c'est juste triste.
- Speaker #1
Il est venu directement à ta porte pour prendre des notes ?
- Speaker #0
Il est venu de notre côté parce qu'apparemment ce passager dormait pendant le choc. Et quand lui a repris conscience, alors lui il a été gravement blessé mais avec l'adrénaline c'est pareil, il marchait normalement. Et il s'est aperçu que son copain était mort à côté. Donc il est venu de notre côté pour voir si on avait besoin d'aide, comprendre ce qui s'était passé. Mon frère a géré cette partie-là, mais c'est vrai que le fait aussi de voir les gens rouler sur nos débris parce que beaucoup de personnes ne se sont pas arrêtées. Il y a eu beaucoup de délits, non-assistance à personne en danger. Avec l'adrénaline, j'ai fini par me mettre en plein milieu de la route et j'ai arrêté un poids lourd. C'est vrai que j'ai mis ma vie en danger sans même m'en rendre compte. C'est un jeune chauffeur poids lourd qui, par sa hauteur, a vu la situation et s'est arrêté. Et elle est venue tenir compagnie à mon mari qui était en train de mourir dans la voiture. Donc c'est lui qui m'a rassurée parce qu'il m'a dit non, t'inquiète pas, ça va pas prendre feu. Il y a beaucoup de fumée partout, mais c'est normal. Quand t'as pas vécu ce genre de choses, tu vois, il y a du sang partout, il y a du verre partout, il y a quelqu'un avec un corps. C'est particulier quand même. Tu sais plus, moi je respirais très très fort parce que je faisais des choses et je savais plus où j'étais. Je me voyais vraiment de l'extérieur. Il y avait mon mari, il y avait ma belle-sœur qui étaient aussi bloquées dans la voiture. Il y a eu de l'injustice sur la situation, mais pas de colère parce que je pense que quand quelqu'un est décédé, il y a le respect aussi.
- Speaker #1
Bien sûr.
- Speaker #0
Le respect. Et ça, pour moi, c'est important.
- Speaker #1
Et tu parlais tout à l'heure, tu disais, ça a mis le point final sur mon travail. Tu disais aussi que tu étais en burn-out avant l'accident. Oui. Justement, j'avais envie qu'on parle un petit peu de à quel point... Il n'y a pas beaucoup de choses qui sont mises en place pour aider les aidants, notamment dans la plupart des conventions collectives. Et quand tu es dans une entreprise, c'est totalement inconciliable avec le fait d'être aidant. Est-ce que toi, c'est quelque chose que tu as pu vivre ?
- Speaker #0
Non, je n'ai pas vécu ça parce que j'étais déjà plus dans mon travail quand c'est arrivé. Mais c'est vrai que moi j'accompagnais des dirigeants et des employés, des salariés qui rencontraient eux-mêmes ce type de problématique dans leur société. Et il n'y a pas beaucoup de choses qui sont mises en place. Que ce soit pour la maladie même d'un enfant, on voit beaucoup ces situations où des collègues offrent leur RTT à leurs collègues pour qu'ils puissent se disponibiliser un peu plus. Je pense que c'est quelque chose qui devrait être un peu mis en place, qui a été mis un petit peu en lumière pendant les JO. Je pars à la pique et c'est retombé un peu comme un soufflé. Il n'y a pas que ça, il y a la place de l'aidant bien sûr, mais sur le handicap, il y aurait tellement à dire, il y a l'accessibilité. Ça, ça a été une leçon pour moi et je me serais mise des claques toute seule. Je me suis dit comment j'ai pu vivre 34 ans sans me rendre compte qu'il y a une grande partie de la population qui n'a pas accès. Moi, avec ma petite épreuve, ma petite histoire avec mon mari en fauteuil roulant, on se rend compte à quel point c'est juste pas vivable. C'est hallucinant de voir la méchanceté des gens qui ne s'arrêtent pas pour nous laisser passer, les trottoirs qui ne sont pas faits pour rien, les ascenseurs PMR qui marchent une fois sur deux quand ça fonctionne. Il y a plein de choses comme ça. Les pentes dans les pharmacies qui font 90 degrés. En fait, tu sens que les gens ne se sont pas mis dans un fauteuil, n'ont pas essayé par eux-mêmes l'expérience. Et je pense que ce sont des gens qui ne connaissent pas, même de près ou de loin, le handicap. Donc, moi, je n'ai pas connu ça. Je dirais Dieu merci par rapport à mon travail, mais oui, c'était venu dans une situation professionnelle un peu compliquée.
- Speaker #1
Et par rapport à ce que tu disais, le fait que vous êtes dans une période où vous avez besoin de réapprendre à tomber amoureux et à vous recôtoyer, à ne pas être simplement l'aidante et la personne qui a besoin de recevoir des soins. Tu me disais aussi que c'était quelque chose qui a pu un petit peu vous isoler, parce que c'est difficile d'accepter que la vie des autres avance et que ça peut un petit peu créer une espèce de scission entre le couple et les autres. Comment tu te situes par rapport à ça aujourd'hui et est-ce que tu pourrais m'expliquer un petit peu ce sentiment ?
- Speaker #0
Alors c'est quelque chose de très lourd je trouve, le rapport aux autres. Je pense que les gens font de leur mieux. Comme je disais tout à l'heure, on n'a pas tous la même expérience de vie, on n'a pas la même carte émotionnelle, on n'a pas les mêmes mots non plus pour exprimer ce qu'on veut. Je pense que des personnes estiment qu'elles sont au maximum de leur empathie, de leur capacité d'écoute. En ce qui me concerne, ça a été un peu compliqué, parce qu'on était quatre dans la voiture, mais on a eu quatre chocs très très différents les uns des autres, parce que même mon frère et ma belle-sœur n'ont pas eu les mêmes blessures du tout. Mais ils ont pu revivre tout de suite ensemble, à peu de choses près. Il n'y a pas eu cette séparation de corps qui a fait que... Il y a aussi beaucoup de séparations. En fait, en centre de rééducation, on voit que quand l'hospitalisation dure 2, 3, 6 mois, il y a beaucoup de personnes qui se séparent. C'est vraiment une vraie épreuve. Le rapport aux autres, c'est compliqué parce que toi, t'essayes de ne pas te plaindre. En tout cas, t'essayes de ne pas... Être vue comme la personne qui, ben non ça va pas quoi, ça va pas, non j'ai toujours de mauvaises nouvelles donc tu prends beaucoup sur toi. Et les gens ont envie de pas trop montrer leur bonheur non plus parce qu'eux ils avancent dans leur vie, ils partent en vacances, ils font des projets, s'ils veulent aller au restaurant ils y vont. Ils ont une voiture déjà donc ils sont véhiculés, ils ont pas peur de conduire donc ils sont beaucoup plus libres en fait. La difficulté c'est de trouver le bon ratio entre accepter que la vie des autres avance. Et quand même, ne pas te flageller parce que c'est pas que t'es jaloux, t'as de l'envie, parce que tu veux pas, t'as pas envie de la vie des gens, tu vois. C'est un peu comme l'APMA, tu veux ta vie d'avant. Tu veux la vie d'avant et tu dois, toi, être dans ton processus d'accepter qu'on t'a enlevé ça. Et c'est surtout gérer aussi beaucoup la bêtise des uns et des autres et beaucoup de...
- Speaker #1
L'indélicatesse.
- Speaker #0
Merci. L'indélicatesse des gens. On va te dire, c'était pas un grand sportif, de toute façon, vous faisiez pas de ski, vous faisiez pas de vélo, c'est pas grave. Et j'essaie de faire comprendre aux gens que quand bien même tu n'es pas un grand skieur, quand tu as une intégrité physique, qu'on te l'enlève. Et qu'en plus on te l'enlève parce que ce n'est pas de ta faute. Ce n'est pas toi qui es tombé tout seul, qui as pris des risques. On t'oblige à vivre dans cette situation. Il y a un processus d'acceptation. Je ne dis pas que c'est la fin du monde. Et encore, c'est moi qui dis ça. mon mari, lui, il voit les choses différemment, évidemment. Et c'est pour ça, je fais très attention aux mots que j'emploie parce que je ne veux pas...
- Speaker #1
Bien sûr, c'est la partie où c'est son histoire, donc toi tu parles de ta fenêtre.
- Speaker #0
Et même par rapport aux gens qui m'écouteront et qui m'écoutent, je ne veux pas blesser inutilement les gens. Je sais que chaque cas est très difficile et voilà. Mais là,
- Speaker #1
tu parles de tes émotions à toi.
- Speaker #0
Je parle de mes émotions à moi. Des mots à toi. Des mots à moi. J'essaie de les trouver pour être la plus compréhensible possible, mais c'est difficile de voir les gens avancer. Et je pense que les gens n'en ont pas conscience. Il y a deux types de réactions. il y a des gens qui vont. pas te montrer leur bonheur, qu'ils vont pas t'envoyer leurs photos parce qu'ils veulent pas justement te blesser ils vont te dire bah voilà je suis partie en vacances c'était super, si tu veux des photos je t'en enverrai mais je vais pas t'inonder de whatsapp là-dessus, puis il y en a d'autres qui vont te partager leurs photos parce qu'elles vont te dire ça va leur aller faire voyager un petit peu tu vois donc c'est pas très important mais c'est vrai que quand toi t'es bloqué chez toi et que t'as pas de voiture et que tu te sens vraiment très très très isolé que tu peux même pas partir à 20 kilomètres, prendre l'air parce que Merci. tout est compliqué. Même prendre le bus, c'est une escapade. Il faut tout baliser de A à Z. Il ne faut pas qu'il y ait de loupés. C'est hyper anxiogène. Et donc là, tu perds le côté amoureux en plus. Et je pense qu'il faut savoir aussi se refermer l'un et l'autre, recréer une bulle, recréer une coquille en fait, où tu peux recréer des liens. Je ne parle même pas des liens physiques, je parle des liens psychiques et émotionnels.
- Speaker #1
Et comment tu as fait justement ? pour savoir au fond de toi que tu trouverais la force, que vous trouveriez la force de vous réinventer et que l'histoire, quoi qu'il arrive, elle se finirait tous les deux.
- Speaker #0
Parce que dès le premier jour en réanimation, je ne l'ai pas vue comme un handicapé. Je ne l'ai pas traité comme un handicapé. Et je lui ai dit, on va s'en sortir et c'est tout, c'est pas grave. Je parle pas de la souffrance, mais c'est pas grave. Voilà, on va faire avec. Et pendant très très longtemps, on a pensé qu'il ne remarcherait pas. Moi j'ai vécu en fait cette période comme des étapes. Et déjà il fallait le réveiller en réa. Il fallait passer les premières 48 heures. Après il fallait passer, parce que la réa c'est ça, on vit de demi-journée en demi-journée. On a le téléphone en sonnerie jour et nuit. J'appelais trois fois par jour pour dire à une infirmière, dire que lui de bonne, lui de ma part, prendre des nouvelles. Chaque jour de vie était un jour gagné pour moi. Et je me suis dit, c'est pas grave, il est en centre de rééducation, c'est pas grave, ça va bien se passer. Et on n'a jamais perdu ce lien qu'on avait avant parce qu'on était fusionnels. Donc c'est ça aussi, ça a été difficile parce qu'on était tout le temps ensemble. On partage tout, on est très différents l'un et l'autre. Mais ça fait 15 ans qu'on est ensemble et on s'est construit aussi un peu. On a une différence d'âge, mais pour moi, on connecte. psychiquement et c'est assez rare de rencontrer des personnes comme ça et c'est vrai que des fois ça me fait mal au coeur parce que je rencontre beaucoup de couples où ils s'aiment mais ils ont chacun aussi leur vie de leur côté alors après chaque couple est très différent et il faut que chacun soit heureux mais c'est ce que je te disais c'est qu'on parle pas assez du respect qu'on a pour l'autre de la dignité de la résilience du courage on ne dit pas assez à l'autre les qualités qu'on lui reconnaît Les défauts, ça, on le fait très facilement, mais on ne s'arrête jamais à un moment et je dis je te trouve très courageux. En tant qu'être humain, indépendamment de notre relation, il y a un être humain qui se bat, que je respecte. Et on n'a jamais perdu le respect aussi mutuel qu'on a l'un pour l'autre. Et ça, pour moi, c'est ça qui a fait qu'on ne s'est pas séparés. Parce que ça, je ne dis pas que ça a été facile tous les jours, parce qu'il a fallu s'adapter l'un et l'autre. Lui, il ne veut absolument pas passer pour un boulet ou voilà, il veut... pas que je sois son infirmière, il a toujours refusé. Dès que je dois l'aider pour faire des petites broutilles, ça l'énerve profondément. Et je pense que c'est ça aussi, c'est que lui ne m'a pas laissé devenir l'infirmière et ça a beaucoup aidé. Il a toujours essayé de préserver un lien amoureux où dès qu'il a pu faire quelque chose physiquement, m'accompagner quelque part ou à des moments importants pour moi ou me soutenir, il l'a fait. Et on s'est toujours comporté comme on se comportait avant. L'épreuve en elle-même n'a rien changé.
- Speaker #1
Le handicap est resté sur le pas de la porte, quand vous êtes ensemble, vous êtes le couple et il n'y a pas de différence.
- Speaker #0
Je pense qu'il prend beaucoup sur lui, peut-être qu'il prend trop sur lui et que du coup j'ai tendance moi à oublier qu'il est handicapé. Parce qu'il se plaint tellement jamais que je pousse un peu, c'est vrai parfois, parce que j'essaye aussi de le stimuler, de le tirer vers le haut. Par exemple quand il était en fauteuil roulant, je n'avais pas le droit par les médecins de le pousser parce que c'était le conforter dans une situation. pousser, tu sais, le verre un peu plus loin pour qu'il ait... C'est pas très important, mais finalement, mis bout à bout, ça l'a obligé aussi à aller se battre parce que je pense qu'au bout d'un certain temps, quand on est épuisé mentalement et corporellement, on a aussi envie de baisser les bras. On a envie de baisser les bras et on se dit de toute façon, à quoi bon ? Ma femme, je la rendrai plus jamais heureuse. J'ai brisé, moi, tous ces plans de carrière, tous ces plans de maternité. Je me sens coupable. Je suis devenue un boulet pour elle. C'est comme ça qu'il se sent ? Oui. Il a peur de rendre ma vie difficile. Et là, on arrive justement à une situation où moi, j'ai envie de vivre, de commencer à vivre en adaptant ma vie, c'est-à-dire partir en vacances, faire des activités, faire du paddle, faire du surf, des choses que je n'ai jamais faites, faire du golf, des choses bateau, mais lui, en fait, ne peut pas les faire. Et il me dit, oui, des fois, j'ai envie de venir t'accompagner, mais je vais juste te regarder faire. Faire du tango, j'avais très envie de commencer à renouer aussi avec lui parce qu'on renoue corporellement aussi par le toucher, par le fait d'être dans les bras l'un de l'autre, par la danse. Et je me disais que le tango, j'allais bien trouver un prof qui allait comprendre ma situation et qui allait adapter aussi ça. Et ce n'est pas simple parce qu'on se heurte à des choses pas très importantes, mais des choses qui ont une importance quand même. C'est-à-dire qu'on ne peut pas rentrer dans une salle de danse avec n'importe quelle chaussure, par exemple. Oui, mais mon mari, il n'a qu'une seule paire de chaussures. Une paire de chaussures, pour lui, ça coûte de l'argent. Il ne faut pas qu'on lui vole. Ça ne se fait pas en deux secondes. C'est hyper compliqué à faire. Il ne peut pas avoir, tu vois, comme nous, on s'achèterait une paire de tennis à 2 euros. Lui, ce n'est pas possible. Et il se sent diminué, lui, déjà, au niveau de l'individu, mais il sent qu'il m'empêche de vivre, en fait. Et moi, je suis tellement contente, ne serait-ce que d'aller, je ne sais pas, dans l'eau avec lui. Je suis déjà contente, en fait. J'aimerais lui faire comprendre ça si un jour il m'écoute, que mes activités, moi, je vois aucun problème à les adapter. C'est pas grave, je ferai différemment. Il y a toujours une solution. Et je sais pas, j'ai pensé comme ça dès le jour 1, il y a toujours une solution. Il y a toujours une solution. Le handicap, ça peut être extrêmement lourd. Il y a plein d'handicaps différents. Il y a des handicaps invisibles qu'on ne voit jamais. Mais il y a toujours une solution, on peut toujours adapter. C'est important.
- Speaker #1
Et ce n'est pas un hasard puisque du coup, tu as changé complètement de carrière depuis cet accident. Et aujourd'hui, tu as un institut dans lequel tu pratiques le massage Kobido. Et c'est un massage, en fait, tu en as fait ton ouvrage précédent que tu as écrit sur le sujet précisément. Et c'est quelque chose qui est surtout connu pour justement ses vertus anti-âge. Mais en fait, toi, tu l'écris justement dans ton dernier livre. Tu t'en es beaucoup servi sur les soignants. Oui. qui se sont occupés de vous. Et toi, tu y vois tout un tas d'autres vertus, en fait.
- Speaker #0
Oui. Le massage du visage, on connaît, comme tu le dis, pour le côté esthétique, liftant, drainant, oxygénant, tout ça. Ça touche forcément la science du toucher. Et la science du toucher, moi, je l'ai vraiment découverte. durant cette épreuve c'est à dire que quand on ne peut pas communiquer avec quelqu'un on peut le toucher le toucher c'est le dernier sens qu'on garde jusqu'à notre mort on peut perdre la vue louis l'odorat tout ça mais le toucher on ressent la pression en tout cas pour communiquer avec quelqu'un on peut passer énormément d'émotions quand tu presses juste la main et mon mari j'ai pratiqué beaucoup la méditation par le toucher sur lui parce que dans la gestion de la douleur c'est quelque chose qui est aussi beaucoup j'ai voulu faire un livre sur le cobi d'eau évidemment parler de toutes les vertus physiques qu'on a et anti-âge qui sont très intéressantes, mais l'institut dans lequel je me suis formée est en partenariat avec le CNRS où on étudie justement les effets de ce massage très particulier sur les maladies neurodégénératives, donc tout ce qui est Alzheimer, Parkinson, parce que le fait de se faire masser le visage, ça renforce la proprioception qu'on a tendance à perdre si on ne garde pas contact avec soi. Donc ça ne touche pas forcément qu'au toucher, mais plus à l'image qu'on a de soi-même. C'est-à-dire que si on ne prend plus le temps de s'observer dans la glace, si on ne prend pas du tout soin de nous et qu'on perd contact avec soi, donc ça touche à des univers très différents, on se recroqueville un peu au fond de soi et ça ne favorise pas les connexions neuronales qui permettent de lutter contre ces maladies-là. Donc ce n'est pas du tout médical ce que je dis, je dis juste que le fait de se faire manipuler le visage, ça renforce des connexions qui... permettent de renforcer la proprioception. Et ça, c'est très important dans le cadre de ces maladies-là.
- Speaker #1
Et est-ce que tu dirais que c'est important pour toi d'être justement dans le soin et que ça fait partie de ton travail à toi ?
- Speaker #0
Oui. J'ai travaillé avec les soignants parce que quand j'ai découvert la réanimation, j'ai observé le fonctionnement de ce service-là, donc dans plusieurs hôpitaux. Et je me suis dit, je vais leur rendre d'une manière ou d'une autre. Parce que c'est des gens qui n'acceptent pas qu'on leur dise merci. Ils sont même surpris, ça les gêne. Ça leur fait perdre du temps parce qu'ils sont très occupés, ces gens-là. Et ils ne se rendent pas compte, je pense, du travail qu'ils font. Et c'est pareil, après le confinement, la crise sanitaire qu'on a vécue, on a beaucoup parlé de ça et c'est retombé aussi comme un soufflé, malheureusement. Et je voulais rendre ce que j'avais reçu, la gentillesse, toujours un mot gentil, prendre le temps d'être poli, d'être agréable. parce que Parfois, on sentait qu'ils avaient vraiment autre chose à faire, mais ils prenaient quand même le temps de répondre. Et j'ai réussi justement à aller dans ce projet-là, d'aller dans différents hôpitaux de la PHP à Paris, et notamment en service de réanimation néonatale. Donc là, la réanimation des bébés, c'est encore différent. Mon Dieu, c'est terrible. Et pour les soignants, ils n'ont pas le temps de traverser tout l'hôpital pour aller dans la petite salle, tu sais, pour recevoir un soin. Ils n'ont pas le temps, ces gens-là. On s'est mises dans des petits endroits et ça dure 10-15 minutes. Mais à eux, ça leur fait du bien juste de sortir et de se faire manipuler le visage. Voilà, ce n'est pas grand-chose. Mais pour moi, j'avais un peu fini ma boucle. Surtout de terminer en réa, je me suis dit, je peux commencer moi à processer ça et aller vers autre chose.
- Speaker #1
Et tu te sens alignée aujourd'hui dans ta vie professionnelle ?
- Speaker #0
Je me sens alignée, oui. Je pense que l'écriture est vraiment... objectif, tu vois, c'est vraiment une ligne conductrice que j'ai toujours eu dans ma vie et je me sens alignée parce que j'ai besoin de faire quelque chose d'artistique et pour moi le massage Kobido c'est une danse c'est un massage qui est fait sur mesure, donc c'est pas le même protocole à chaque fois et c'est une improvisation beaucoup, moi je travaille beaucoup avec la musique, donc c'est beaucoup d'improvisation, de la création sur le moment en fonction de l'énergie de ma cliente Et tu ressens les choses ? Oui Merci. C'est comme une vague qui vient de l'une à l'autre et c'est aussi beaucoup de confiance. Je reçois beaucoup de clients qui ont été malades ou qui sont malades, qui viennent parce qu'elles vivent aussi des épreuves terribles de vie, très différentes les unes des autres. Mais comme je ne fais pas ma communication sur trop le côté esthétique, j'en parle parce que ça intéresse les gens. Les gens viennent, ce que je te disais, ils viennent pour le côté esthétique et ils reviennent pour autre chose parce que ça leur apporte un toucher non médical. Et ça, je me suis beaucoup inspirée de mon mari, c'est-à-dire que quand on est manipulé tous les jours pendant des années, qu'on a des prises de sang, des piqûres tous les jours, on ne supporte plus de se dévêtir, on ne supporte plus que quelqu'un d'autre mette la main sur nous. Et donc, on va chercher une relaxation un peu différente. Et le massage, que ce soit chez moi ou chez quelqu'un d'autre, ça leur permet de reprendre contact avec leur corps d'une manière un peu différente. Et parfois, le corps, c'est difficile à montrer. Le visage, pour certaines, c'est encore plus difficile à se faire manipuler que le corps. Parce que le visage, c'est le siège de l'intime, c'est ce qu'on montre aux gens. Étrangement, c'est la première chose qu'on voit chez quelqu'un et on en prend rarement soin en fait. On pense qu'on se maquille, on fait quelques soins, mais on ne se connaît pas très bien. Et parfois, on ne veut même pas se toucher. On se met la crème comme ça, mais on n'a pas envie de passer des minutes entières à se caresser. La gorge, c'est encore différent. Je dis toujours que c'est le lien entre le mental et le corps. C'est là où il y a le siège des sanglots, de la colère, des non-dits. Et finalement, c'est une zone qu'on ne touche jamais. Donc, c'est pour ça que les personnes en EHPAD aussi, c'est important de les... De les manipuler un petit peu, parce que les lèvres, on s'essuie la bouche après avoir mangé et puis c'est tout. Donc il y a énormément de parties du corps qui n'est pas mobilisée. Et les muscles du visage sont possiés, sont reliés les uns avec les autres. Donc il faut aller dégager un peu tout ça. crispée.
- Speaker #1
Et est-ce qu'aujourd'hui tu te sens un peu moins isolée justement par rapport à tout ce que tu as vécu ? Est-ce que tu as l'impression petit à petit de revenir dans ton corps, de revenir dans ta vie ?
- Speaker #0
C'est une très bonne question. Je reviens un peu dans mon corps. Le fait d'avoir perdu du poids, le fait d'avoir changé de régime alimentaire parce que je suis devenue végétarienne aussi suite à l'accident. Mon mari aussi, du jour au lendemain, ça lui a apporté une une empathie. alors que lui, c'était vraiment très loin d'être... Bref. Et c'est un ensemble de choses. Je me sens plus dans mon corps aujourd'hui, mais je me sens toujours isolée, tu vois. Je pense que c'est la situation qu'on vit ensemble, où on est isolée quand même la majorité du temps. On a du mal à se projeter, surtout que lui, bientôt, va se poser la question d'un retour dans la vie active. Donc, tu pars un soir de chez toi et tu ne reviens pas pendant deux ans et demi. Et tu reviens en plus avec un corps différent, un esprit différent, dans une vie qui était déjà très pesante pour toi et très stressante. C'est un nouveau combat qu'on va aborder ensemble. Et je pense qu'on est driveé, on est sur un fil de vie qu'on veut changer. On veut faire des projets et je pense qu'on tient grâce à ça, grâce aux projets qu'on fait. Parce qu'il faut toujours avoir une visualisation de ce qu'on veut être. Et avec le handicap, le handicap est là, il sera toujours là, mais il fait partie de nous maintenant. Je pense que je peux le dire, déjà je ne pleure pas depuis le début, donc peut-être une fois, mais ça veut dire quand même que le temps passe. Le travail. Le travail se fait de manière un peu inconsciente et je pense qu'il n'y a pas de secret, il faut du temps. Il faut aussi accepter qu'on ne va pas bien, il faut arrêter de se dire je vais prendre sur moi, je vais prendre sur moi. Si on veut le cacher aux autres, c'est une chose, mais il faut être gentil avec soi-même. Chose que je n'ai pas toujours été gentil avec moi-même, je m'en suis mis plein la figure toute seule. Et il faut dire, aujourd'hui, ça ne va pas. Demain, ça ira mieux. Demain, le soleil se lèvera toujours. C'est des phrases bateau, mais ça prend du sens aujourd'hui, deux ans et demi après. Il faut du temps. Je te remercie beaucoup de m'avoir confié ton histoire.
- Speaker #1
C'était très intéressant,
- Speaker #0
très fort.
- Speaker #1
Merci beaucoup pour ce moment.
- Speaker #0
Merci à toi de m'avoir reçu et d'avoir créé cet espace très intimiste pour parler de choses comme ça. Donc, merci à toi, Pauline. À très bientôt.
- Speaker #1
Voilà, le moment est venu de se quitter. J'espère que vous avez apprécié cet épisode. Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour découvrir un nouvel invité, un nouveau parcours et se faire embarquer dans un nouveau virage. En attendant, prenez soin de vous et bonne semaine !