- Speaker #0
Bonjour, je m'appelle Pauline Maria, bienvenue dans Virage. Le podcast est sur la vie et ses tournants qui nous font rire, parfois pleurer, mais qui toujours nous inspirent. Bonjour Anna.
- Speaker #1
Bonjour Pauline.
- Speaker #0
Comment ça va ?
- Speaker #1
Ça va, je suis contente d'être là aujourd'hui.
- Speaker #0
Moi aussi, je suis très contente, très touchée que tu viennes pour me raconter ton histoire, qui est une histoire personnelle très importante, parce que c'est une histoire qui tristement concerne un enfant sur trois. Donc il faut tous avoir ce chiffre en tête pour imaginer que dans chaque classe cela peut concerner trois enfants. On va parler de l'inceste et des violences intrafamiliales. Aujourd'hui c'est ton histoire, c'est ton père qui a été insistueux pendant toute ton enfance. Tu t'en es rendu compte comme souvent les victimes assez tard, parce qu'en fait tu grandis dans une vie dans laquelle cela correspond à ta normalité. Et donc j'aimerais s'il te plaît qu'on commence tout de suite à en parler. Est-ce que tu pourrais me décrire la structure familiale dans laquelle tu as grandi, s'il te plaît, Anna ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr. Alors, la structure familiale dans laquelle j'ai grandi, c'est un papa, une maman, des frères et sœurs.
- Speaker #0
Dont on ne parlera pas.
- Speaker #1
Voilà, exactement, pour les préserver aussi. Un père qui ne travaille pas, qui finalement est tout le temps à la maison, qui cache son manque d'activité professionnelle et son manque de volonté de travailler par une éducation à la maison. qui s'avère plus être finalement une éducation de maltraitance.
- Speaker #0
Une éducation à la maison, tu veux dire l'école à la maison ?
- Speaker #1
Pas l'éducation à la maison, on va à l'école, mais finalement il se cache derrière le fait que c'est lui qui s'occupe de la vie familiale. Comme on pourrait aujourd'hui trop rapidement faire des courts-circuits en disant c'est la maman qui gère les enfants et donc les activités périscolaires, etc. Lui se prônait même d'ailleurs assez progressiste dans la démarche. En valorisant que c'est ma maman, sa femme, qui travaille, qui ramène le salaire à la maison, et lui qui s'occupe des enfants.
- Speaker #0
Donc c'était presque un féministe, finalement.
- Speaker #1
C'était presque un féministe. Ouais. Et c'est marrant parce qu'il jouait vraiment sur les deux tableaux. Je me suis rendue compte en grandissant qu'à la fois il n'était pas du tout à l'aise avec l'idée de dire qu'il n'y a que sa femme qui ramène le salaire. Je pense que dans certaines discussions avec d'autres hommes, il y a dû avoir des conflits d'égo qui font que... finalement il n'a pas dû être si à l'aise avec l'idée donc c'était à la fois je l'assume et à la fois je l'assume pas toujours cette ambivalence ma mère comme je te le disais elle travaille pour nourrir l'ensemble du foyer c'est vrai que c'est une femme carriériste soucieuse de réussir qui aime son travail elle travaille dans le secteur médical et de fait c'est un métier très prenant centré sur les autres et je pense que ça l'a un petit peu éloigné involontairement de sa famille ou en tout cas elle s'est vraiment dit J'ai la chance d'avoir une famille construite de sorte que mon mari s'occupe des enfants, ils ont l'air heureux, en sécurité, finalement je ne m'aperçois pas de grand chose. Et moi ça me permet de m'épanouir en tant que femme dans mon métier.
- Speaker #0
Et à quel moment, avec les souvenirs que tu as, les comportements de ton père commencent à être des comportements incestueux ?
- Speaker #1
Alors le premier souvenir dont je me souviens, c'est quand je prends mon bain. C'est mon père qui est en surveillance de ce bain. Je dois avoir 4-5 ans et en fait au moment de me laver, il vient dans la salle de bain et il a juste un peignoir et il est nu en dessous donc, mais il le laisse s'entre-ouvrir. Et donc forcément, comme il se rapproche en plus de moi, mes yeux s'abaissent de son sexe. Et là, il commence à dire des phrases un petit peu ambiguës du style « qu'est-ce que tu regardes ? Ça te plaît ce que tu vois ? » Alors qu'en fait, ce n'est pas le sujet quelque part, il aurait dû me préserver. de ce regard-là, il aurait dû me préserver de ça, de cette vision. Et là, il cherche finalement à induire que je suis intéressée. Donc c'est une inversion un petit peu de responsabilité. Évidemment, pas tout ce vocabulaire pour définir tout ça à cet âge-là, mais on le ressent, parce que je me dis quand même, c'est bizarre. Et puis je n'ai jamais vu un sexe comme ça. En tout cas, à ce moment-là, je me perturbe vraiment, parce que je n'ai pas souvenir d'avoir été confrontée à ça avant. Et puis là où vraiment le viol, le premier viol en tout cas, dont je me souviens arrive, c'est qu'au moment de me laver, il me lave, donc il met du savon sur ses mains, il me savonne le corps, et au moment de me laver les parties intimes, il m'insère un doigt dans l'anus. Ça me fait très mal, et en plus je suis vraiment surprise parce que je lui dis que ça me fait mal. Je sais que maman et mamie, qui sont les deux personnes qui m'ont déjà lavé auparavant, n'ont jamais fait ça. Et il me répond... Oui, ça fait mal, mais c'est pour que ce soit bien propre, c'est pour bien laver à l'intérieur. Donc finalement, il justifie son geste par un acte presque d'hygiène, qui moi me met dans une posture de... Enfin, ça me met dans une position de me dire, pourquoi est-ce que ma maman ne fait pas ça, elle fait mal alors ? Ça le légitime presque dans une posture de sachant. Et donc, qu'est-ce que tu veux que je dise ? En plus, à 5 ans, l'autorité, elle est là, donc en fait, on fait confiance.
- Speaker #0
Oui, surtout que quand on s'est... pas comment ça se passe, c'est vrai que c'est toujours aussi le problème de la domination de l'adulte en fait. Les enfants, ils sont vraiment à notre merci entre guillemets et le rôle de l'adulte c'est d'en prendre soin parce que on peut très facilement imaginer une domination comme ça et faire croire des choses qui sont ironées en fait. Exactement et qui sont extrêmement difficiles et perverses.
- Speaker #1
Exactement, perverses, manipulatrices. Là je trouve qu'on perçoit beaucoup de manipulations dans son discours rien que là. Je n'en ai pas conscience évidemment à l'époque, mais il y a l'inversion des responsabilités, de la culpabilité. Il se met dans une posture de sachant et quelque part, moi ça me projette dans le fait de me dire que d'autres adultes qui me paraissent sécurisants et aimants comme ma mère et ma grand-mère, finalement ne le sont pas, puisqu'elles ne font pas bien les choses. C'est terrible ça.
- Speaker #0
Et est-ce que tout de suite, ça change quelque chose dans ta relation à ton père ? Parce qu'avant cet événement, est-ce que toi ton père, tu l'aimais ?
- Speaker #1
C'est une excellente question. Alors avant ce premier geste, ce premier viol que j'ai connu à l'âge de 5 ans, il y avait déjà eu des faits de maltraitance physique assez extrêmes. Je le raconte d'ailleurs, c'est un des premiers épisodes de mon podcast, c'est qu'en fait c'est quelqu'un de très violent. Une fois je sais qu'il avait perdu sa carte bleue ou des billets de banque dans son pantalon, il ne les retrouvait pas. Et en fait il était persuadé que c'était moi qui les avais donc pris. Alors que moi, à l'époque, des billets de banque et une carte bleue, en tout cas, je me souviens de ma détresse de même pas comprendre ce qu'il me demande de chercher. Et puis, quelque part, c'est son problème. Enfin, je veux dire, il a perdu son argent, ses sous. En fait, il lui fallait un coupable. Il était incapable de reconnaître que ça pouvait être lui qui...
- Speaker #0
Qui avait perdu...
- Speaker #1
Voilà, qui est égaré. Voilà. Et en fait, il a mis en place une punition assez extrême qui est de dire, je compte. Alors, je ne sais plus, jusqu'à 10, voilà. Et s'il ne me dit pas où c'est. En fait, il me mettait cul nu, il me baissait le pantalon, il m'allongeait sur le lit et il me donnait des fessées. Mais des fessées, je me rappelle vraiment le bras qui part très loin derrière et voilà. Et c'était sans fessées. Donc 10 secondes à peu près de répit ou une minute, je ne sais plus, mais il y avait un temps très court. Le temps n'était pas équitable entre le temps de recherche et le nombre de fessées. Donc à chaque fois, sans fessées et qui ont été. Et en fait, à la fin, j'avais les fesses mais explosées. J'ai vraiment eu des petites veines qui explosent parce qu'il y a eu tellement de fessées. là j'ai Oui, j'ai 3 ans et demi, 4 ans.
- Speaker #0
Quel horreur ! Et est-ce que d'autres personnes ont conscience de ça ? Est-ce que ça se voit parce que ça laisse des traces sur le corps ?
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Est-ce que ta mère le voit ?
- Speaker #1
Alors, ma mère, il s'avère que le jour de cette punition, elle est là. Je me rappelle d'une maman terrifiée. Moi, je me rappelle qu'elle est dans un coin de la maison, en fait, et qu'elle n'ose pas bouger. Je pense, maintenant que je le recule, qu'elle était assez sidérée.
- Speaker #0
Et qu'elle était dans l'oblige peut-être.
- Speaker #1
Oui, complètement. À l'époque, je ne me rends pas compte, je me souviens que je la supplie, je lui dis « Maman, s'il te plaît, je la regarde quand je cherche, quand il y a l'étape de recherche de la carte ou des billets. » Je la supplie en disant « Maman, je ne sais pas ce que je cherche, est-ce que tu sais où c'est ? Je ne sais pas. » Donc j'hurle, quand je dis ça, je jure, je pleure, etc. Ma mère n'est pas en capacité de m'aider à ce moment-là, je pense qu'elle est sous emprise, elle laisse mon père faire et je pense que c'est très violent aussi à absorber. J'ai eu beaucoup de colère et de détresse par rapport à cette situation parce que je me suis dit pourquoi est-ce qu'elle a laissé faire ? Alors maintenant j'ai les outils thérapeutiques pour comprendre aussi pourquoi et que ça a été très violent pour moi. Effectivement elle a failli à certaines responsabilités maternelles mais elle a fait ce qu'elle a pu aussi avec son bagage. On pourrait remonter historiquement dans les bagages de chacun pour trouver des failles et comprendre pourquoi est-ce que chacun réagit comme il réagit. J'ai plus envie de me battre et de me confronter à ça aujourd'hui parce que quelque part À part ressasser le passé et des manquements, en fait maintenant il faut aller de l'avant et je suis dans une démarche en tout cas de ne pas forcément ressasser certaines failles dans les responsabilités. Je pense qu'il faut les accepter, elles ont été là, je ne veux pas les nier. Je pense que ma mère ne les nie absolument pas parce qu'on est très proches aujourd'hui, on a su traverser ça ensemble. Par contre il faut en sortir enrichi et grandi en se disant que c'est quand même extrêmement grave et ça ne doit plus se produire. Donc maintenant à chacun de les prendre aussi et de se réveiller. Donc mon père, non, te dire que je l'aimais, non, il me terrorisait. À part lui, je veux dire, personne ne me faisait vivre ça dans mon entourage. Moi, à l'époque, je disais que c'était un monstre. Je n'aime plus forcément ce terme maintenant, parce que je trouve que ça réduit ces gens-là à des bêtes, alors qu'en fait, c'est des êtres humains qui savent très bien ce qu'ils font. Voilà, mais non, je ne peux pas dire que je me sens en sécurité avec lui.
- Speaker #0
Et ça escalade jusqu'où, du coup, cette relation, cette emprise ?
- Speaker #1
Alors, elle va crescendo. Elle va crescendo, le premier viol dans le bain ouvre la porte, je trouve, à toute une montée en cascade des viols qu'il va me faire subir. Il y va crescendo parce que les premiers attouchements ou agressions qui vont suivre sont plutôt des caresses, ça va être des fellations, des cunnilingus. Il tente des choses, on sent que c'est une partie un peu d'exploration préliminaire. Par contre, il m'oblige quand même à regarder des films porno pendant qu'il fait ça. Donc là, j'ai entre 5 et 10 ans. Et c'est très fréquent. En tout cas, moi, j'ai un souvenir de fréquence de ça vraiment régulière. Je ne peux pas dire que c'était hebdomadaire, mais quand même. J'ai vraiment un souvenir d'une certaine fréquence régulière. C'est mon quotidien, en fait, presque.
- Speaker #0
Et à ce moment-là, parce que souvent, les prédateurs sexuels sont assez forts pour justement un petit peu isoler les victimes et ne pas... pas leur permettre de se rendre compte de ce qui se passe à l'extérieur. Est-ce que toi, c'était un petit peu ton cas ? Parce que c'est pour ça que je t'ai demandé pour l'instruction en famille, parce que j'ai reçu Stéphie. Bien sûr. Elle, c'est ce qu'avait fait son père, par exemple, pour pas qu'il puisse comparer leurs histoires, enfin, leur quotidien avec le quotidien des autres enfants.
- Speaker #1
Et oui. Alors, c'est vrai qu'on était isolés. On était isolés, c'est très paradoxal parce qu'encore une fois, je dirais maintenant avec le recul, qu'on était quand même très isolés. Mais les gens à l'extérieur nous voyaient comme des gens très sociables. Parce que finalement, très isolés par rapport à d'autres gens. Mais les fois où on se manifeste en public, tout est magique. On va faire une fête d'anniversaire à la maison, il n'y en aura qu'une en cinq ans. Mais c'est la fête quoi, c'est la fête, il y a tous les copains, on a payé des déguisements pour tous les enfants, tout est too much. Les enfants peuvent ramener leurs déguisements, il faut que j'ai payé tous les déguisements de tout le monde. Mon père était comme ça, c'était un peu la folie des grandeurs, il faut que ça se voit, il faut qu'on marque le coup. Il faut que cette fête, elle me permette de pouvoir tenir ma famille pendant 5 ans en isolement. Tu vois ce que tu veux dire ? Voilà, je n'avais pas beaucoup le droit d'aller chez mes amis. Quand j'y allais, j'avais intérêt à respecter une procédure claire et précise. Tu ne poses pas ça comme question, si on te pose ça comme question, tu ne réponds pas. Si on te demande ce que je fais comme métier, tu ne dis rien, tu dis que tu ne sais pas.
- Speaker #0
Et alors, c'était quoi, par exemple, les questions auxquelles tu n'avais pas le droit de répondre ?
- Speaker #1
Eh bien, la profession, par exemple. On sentait tout le stress autour de ce sujet.
- Speaker #0
Il y en avait qui concernaient l'intégrité physique ? Non.
- Speaker #1
Non, il était intelligent. Il faisait des blessures qui ne se voient pas. Il y avait beaucoup de douches froides. Il y avait beaucoup de coups sur le corps. Pas le visage. Bon, les cheveux, oui, ça fait mal. Mais c'est vrai que les cheveux, une fois qu'on tire les cheveux, il a des cheveux dans la main. mais ce que je veux dire c'est que que tu ne vois pas ça se voit pas exactement donc était assez malin dans les corrections pour que finalement il n'y ait pas de choses très visible corporellement puis moi je pouvais les cacher et je les cachais je les cachais pour me protéger pour protéger mon père pour finalement pas être exposé à des questions qui me gênerait je voulais pas qu'on dise parce qu'on avait été en vacances il voulait pas qu'on dise ce que font voilà tu dis pas ce que font papa et maman dans la vie bon même si tout le monde savait le métier que faisait ma mère parce que elle travaillait à à l'hôpital du village et du coup tout le monde la connaissait ... Bon,
- Speaker #0
et toi quel regard tu portais en tant que jeune fille sur le fait qu'il y avait autant de tabous autour de ton père ?
- Speaker #1
J'étais mal à l'aise. Quand j'étais vraiment plus jeune, entre 5 et 10 ans, si on reste sur cette période-là, parce que ça évoluera ensuite, je me mets dans une posture presque de sauveuse aussi. C'est-à-dire que quelque part mon père me demande ça, pas de soucis tu peux compter sur moi, quand il me dit c'est notre secret, faut pas que tu le répètes parce que tu sais sinon je vais en prison, c'est limite, bah y'a pas de soucis.
- Speaker #0
Il te disait ça après un viol ?
- Speaker #1
Oui, complètement. Ou même, tu vois, dans des moments, je me rappelle d'une fois où on a cherché un cadeau pour la fête des mères, ils ne savaient pas quoi offrir. Nous voilà à faire le tour dans le village pour trouver quelque chose. C'est moi en plus qui finis par trouver l'idée. Donc là, j'ai 6-7 ans. Déjà, c'est pareil en termes de responsabilité. Oui,
- Speaker #0
tu portes déjà beaucoup de charges émotionnelles à 6 ans.
- Speaker #1
Oui, c'est ça. Puis de responsabilité, genre le cadeau, tu pouvais anticiper. On peut être sollicité en tant qu'enfant, bien sûr, et c'est toute la féerie aussi de ces petites fêtes-là. pas de souci. Mais là, bon, bah oui, dimanche pour dimanche,
- Speaker #0
on peut être sollicité quand c'est justement quelque chose de créatif, de faire un enfant, de faire un dessin, quelque chose qui le met au centre. Mais quand l'enfant sent qu'il y a une responsabilité émotionnelle sur ses épaules, et que si tu trouves pas la bonne idée, maman va pas être contente, là, il est problématique.
- Speaker #1
C'est tout à fait ça. Et c'est exactement ça qu'il véhiculait comme mot et comme message. Et je me rappelle que cette fois-là, on était dans la rue, et en fait, bon, j'ai trouvé une idée de cadeau. Il l'a acheté. Et juste après, il me dit, bon, tu sais, il faut vraiment qu'on arrête ce qu'on fait. Et tu vois, il ne dit pas, ce que je te fais subir n'est pas normal. Il ne dit pas ça. Il faut qu'on arrête ce qu'on fait. La responsabilité est partagée. Oui,
- Speaker #0
vous êtes correspondable à cette situation. Vous êtes presque un couple. Vous êtes Juliette qu'on empêche d'être ensemble et que la loi persécute. Oui,
- Speaker #1
c'est ça. Et ça, ça m'a marqué cette phrase. Il faut qu'on arrête de faire ça.
- Speaker #0
Et toi, qu'est-ce que tu dis à ce moment-là ?
- Speaker #1
Je ne me rappelle pas... dire quelque chose, mais je dis plutôt oui, je comprends. Je suis plutôt dans du hum hum, oui.
- Speaker #0
Et c'est intéressant par rapport à la suite de l'histoire à laquelle on va venir, parce que du coup, tu me dis que ton père, après, a tout nié. Oui. Tu es allée...
- Speaker #1
Tout à fait. Alors, pour reprendre le fil, donc tu disais, ça venait crescendo. C'est monté crescendo. Plus on va grandir dans les années, plus il va aller plus loin dans l'expérimentation sexuelle. Donc, ça veut dire des sodomies, ça veut dire des pénétrations vaginales quand j'ai 16 ans. J'ai très peur. J'ai très peur de tomber enceinte. Il ne prend aucune précaution. Des fois, il enchaîne sodomie, pénétration vaginale, alors que...
- Speaker #0
Oui, ça peut te négler avec l'infection.
- Speaker #1
Exactement. Je vais avoir à 15 ans... En fait, je vais aux toilettes et je me rends compte que je saigne. Donc là, je suis terrorisée. Et je n'ai pas mes règles. Je veux dire, je suis certaine que le sang vient de la zone anale. Et là, je suis vraiment très stressée parce que ça reste quand même un fait médical pas anodin. Et surtout que ce qui m'angoisse, c'est que je me doute. De ce qui a provoqué ça, puisque les sodomies sont hyper régulières et puis sans préparation. Alors encore une fois, à cette époque-là, déjà à cette époque-là, je ne sais pas ce que c'est forcément qu'une sodomie, je ne le nomme même pas comme ça, je ne sais pas quelle n'est-ce pas. Je ne sais pas à cet âge-là que c'est un acte sexuel qui de base, oui bien sûr, peut être pratiqué en couple, avec consentement, avec préparation aussi, que c'est une zone fragile qui mérite le respect comme toutes les zones du corps. Alors tout ça, tu vois, il n'y a aucune éducation à ça. Et puis bon, 15 ans, c'est peut-être aussi un petit peu tôt pour tout ça. En tout cas, à cette époque-là, j'étais préservée. Je ne sais pas si c'est le bon terme finalement, mais en tout cas, je n'avais aucune notion. Préservée, ce n'est vraiment pas le bon terme parce que je prône justement l'éducation à tout ça pour justement que nos enfants soient plus...
- Speaker #0
Plus déciamment tenus, hors de connaissance des choses que tu aurais dû connaître parce que c'était...
- Speaker #1
Tout à fait. Bah exactement et donc voilà donc je t'avoue que je suis un petit peu dans une boule d'angoisse à ce moment là sauf que je me dis vas-y c'est peut-être l'occasion quand même d'en parler. J'en parle à ma mère. Ma mère, c'est marrant, elle a un déni là-dessus. En tout cas, elle a une amnésie là-dessus. Parce qu'à ce moment-là, elle me dit « D'accord, mais tout va bien. Si tu veux me dire quelque chose, tu peux me le dire. Parce que c'est quand même pas normal. » Et puis, elle me dit le mot « viol » . Elle me dit « Est-ce que quelqu'un t'a fait du mal ? Est-ce qu'on t'a violé ? » Et là, c'est fou quand même, parce qu'elle me tend une perche monstrueuse. Je la saisis pas. Là, je suis dans l'optique de rassurer ma mère. « Non, non, maman, tout va bien, t'inquiète pas. Non, non, mais je pense qu'il faut qu'on aille voir le médecin quand même. » En tout cas, je ne me sens pas capable à ce moment-là encore de le dire comme ça à ma mère.
- Speaker #0
Peut-être même que tu ne le réalisais pas toi-même,
- Speaker #1
c'est possible. Mais c'est fou parce que, voilà, il y a eu des perches de tendue. Ma grand-mère aussi me posera la question une fois, je ne la saisis pas. Je ne la saisis pas.
- Speaker #0
Et elle soupçonnait déjà ton père, toutes les deux ? C'était la mère de ta mère ?
- Speaker #1
Oui. Alors, ma mère, c'est trop dur à dire parce qu'aujourd'hui, elle a été dans le déni, puis je pense qu'elle s'est protégée. Trop de violence, trop de violence, trop de violence psychologique. Trop d'oppression dans la famille, j'apprends plus tard qu'elle a été menacée de perdre ses enfants. Enfin voilà, donc en fait, en parlant, je comprends un petit peu aussi finalement la violence qu'elle a pu subir et les mécanismes de défense qu'elle a mis en place, elle aussi, pour se protéger et nous protéger, sans savoir tout ce qui se passait. Ma grand-mère maternelle, elle, j'apprendrais plus tard qu'elle a vécu l'inceste, elle aussi, par son père. Et donc forcément, je pense qu'elle avait un regard plus averti. Je comprends du coup la naïveté de ma mère, qui a été sûrement surprotégée. par sa propre maman qui a vécu l'inceste et qui n'a pas forcément voulu transmettre à tort, mais elle a fait ce qu'elle a pu, encore une fois on n'est pas là pour juger, mais qui a surprotégé sa fille, qui du coup est un petit peu naïve, exposée à tout ça. Et puis finalement ça se répète de génération en génération, et finalement moi je continue de porter le fardeau des non-dits, le fardeau du manque d'éducation à tout ça aussi, parce qu'on pense qu'on protège nos enfants en ne disant rien, alors qu'en fait plus on leur donne les bons outils. On leur permet justement d'être en libre arbitre, d'être éclairée. Donc je t'avoue qu'il y a des perches qui sont tendues, je ne dis rien. Je ne dis rien non plus parce que lorsque j'avais 7 ans, je suis arrivée à l'école complètement déglinguée. Enfin, j'avais des bleus partout. Ça se voyait physiquement, j'avais subi une correction ignoble par mon père. Et la maîtresse l'a vu, mes amis, mes camarades de classe l'ont vu. Il y a eu une action en justice. Mais l'action en justice, elle a mené à rien.
- Speaker #0
Il y a eu une action en justice de la part de l'école ?
- Speaker #1
Oui. La maîtresse m'a conduite au bureau du directeur. Je me rappelle leurs yeux un peu effarés. Je les sentais à la fois sur la retenue de ne pas trop en faire devant moi et en même temps émues et choquées. C'était intenable pour eux. Ils n'arrivaient pas à retenir leur expression. Mais parce que je comprends. C'est très violent de voir ça sur le corps d'une petite fille de 7 ans. J'étais vraiment violacée et bleue partout, avec des marques très localisées. Après, j'ai une amnésie par rapport à ça. Je sais juste qu'effectivement, ça allait plus loin. Parce qu'effectivement l'école a dénoncé mon père. En plus là c'était voyant. C'est ça aussi après qui m'a un petit peu conduite au silence, c'est que c'était voyant. Il y avait des témoins. Mon père reconnaît en disant qu'effectivement la correction a été un petit peu rude, mais que c'était exceptionnel, ce qui est faux. Que c'était pour une bonne cause, parce que j'avais perdu mon manteau à l'école et qu'il voulait me transmettre des valeurs de respect de mes affaires, de prise de conscience que dans le monde... beaucoup de gens n'ont même pas la chance d'avoir un manteau et que de ce fait, je dois être responsable de mes affaires.
- Speaker #0
C'était ta faute encore une fois.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Dans ta tête d'enfant, c'est ce que t'en fais.
- Speaker #1
Oui, je suis responsable. Finalement, lui est obligé d'avoir ce comportement-là pour me remettre sur le bon chemin, parce que je suis inconsciente et irresponsable. Et ça marche. Tout le monde le voit comme un père soucieux de l'éducation de ses enfants.
- Speaker #0
Le juge a tranché en faveur de ton père. Exactement. Hallucine.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Hallucine.
- Speaker #1
Je peux te dire que ça, à 7 ans, ça te vaccine. Alors là, venez pas me dire les viols, les machins, les trucs, trucs que personne ne sait, personne ne voit, qui laissent pas de marque.
- Speaker #0
Oui, et puis dans ta tête d'enfant, du coup, la justice s'en empare et finalement te reconnaît coupable.
- Speaker #1
Oui, tu as raison de le verbaliser comme ça.
- Speaker #0
Innocente ton père, mais dans ton esprit d'enfant, le raccourci est vite fait, c'est de ta faute, donc tu as mérité ta punition. Et donc, le lien se fait rapidement. Tout le reste, pourquoi tu parlerais finalement ? Bah oui. Et comment tu vis cette... Parfois c'est difficile pour les victimes de se retrouver au centre des conversations, d'un seul coup mis en lumière avec le fait que l'école l'ait vu. J'imagine que tu dois sentir des regards différents qui se posent sur toi. Comment tu le vis en tant que jeune fille ?
- Speaker #1
Alors c'est marrant que tu poses cette question parce que pour ma part on ne va pas avoir le sujet. Je vais changer d'école parce que là la notoriété de mon père, sa réputation, la bonne image, malgré tout elle a pris un coup. Et puis l'école je pense qu'elle ne peut plus le voir. Donc non, les mois d'après je pars de l'école. Et c'est marrant parce que j'étais déjà partie. En fait, pour la petite anecdote, j'étais en CP dans une école, l'école du village où on vivait. Sauf que j'ai développé des troubles du comportement, j'ai développé un peu de kleptomanie par anxiété, angoisse de mon quotidien et sans me rendre compte que c'était du vol en fait je me rendais même pas compte, la maîtresse avait testé des nouveaux feutres Velleda et à l'époque c'était moderne parce que avant c'était les craies et j'avais été attirée par ces feutres en me disant c'est trop cool je veux les emmener chez moi, j'ai une petite ardoise et en fait je vais m'amuser à faire la maîtresse chez moi donc je les ai pris. En fait j'avais pas développé cette... compréhension que bah non c'est à l'école et même si tu es excité de les prendre bah non en fait voilà et j'ai pris une sévère correction pour ça et mon père a tellement été perturbé par ce comportement visible de l'extérieur il prenait ça vraiment pour lui ça venait mettre en doute sa capacité à bien nous éduquer à me transmettre les bonnes valeurs et donc au lieu de voir ça comme un cheminement normal parents enfants de discussion et d'échange pour évidemment redresser recadrer les choses pour que l'enfant grandisse en sécurité avec les bons les bonnes, comment dire, les bons outils. Les clés, oui. Voilà, c'est ça. Chaque petite erreur était un drame. Et donc, suite à ça, j'ai changé d'école. Plus loin, à 30 kilomètres, il se passe ça. Du coup, je rechange d'école et je reviens dans l'école d'avant. Donc, en fait, le regard des enfants, je n'y suis pas exposée tant que ça.
- Speaker #0
Et à quel moment tu comprends vraiment que tout ce qui se passe est complètement anormal ? Je crois que c'est en allant chez une amie.
- Speaker #1
Oui, alors, il y a plusieurs étapes. La maltraitance physique, je sais que c'est quand même pas normal. Ça, je le comprends très vite.
- Speaker #0
Tu vois que c'est de la maltraitance. Tu ne tombes pas dans le fait de te dire, j'ai pas été sage et du coup, j'ai été punie. Tu vois vraiment que les punitions sont...
- Speaker #1
Peut-être pas tout de suite, mais je t'avoue que déjà, rien que la carte bleue... D'ailleurs, l'argent perdu, il s'est excusé après parce qu'en fait, il était dans sa poche de son autre pantalon. Il avait changé de pantalon. Tu te rends compte un peu ?
- Speaker #0
Sans fessé, ouais.
- Speaker #1
Ouais. enfin plus de 100 parce que c'était 100 à chaque fois Et après, il s'excuse en pleurant. Je suis vraiment désolée de ce que j'ai fait, j'aurais pas dû faire ça. Ouais, enfin bon, tes excuses avalent du vent. Enfin, fallait... Tu t'es déchaînée, en fait, sur moi. Donc déjà, à cet âge-là, lors de cette correction, tu sais que c'est pas normal. Parce qu'encore une fois, personne d'autre se comporte comme ça. J'ai pas été éduquée, hormis avec lui, dans de la violence à ce point. Ma mère, quand elle nous reprend et qu'elle nous sanctionne... Enfin, moi, je suis pas traumatisée. Je veux dire, c'est... Ok. Effectivement. et je comprends ce que je fais. Non, je ne mets pas beaucoup de temps à comprendre que c'est de la maltraitance. Par contre, les viols, l'inceste, oui, plus long. Même si je comprends que c'est un secret, qu'il ne faut pas trop en parler. Donc c'est un peu bizarre. Là où je prends vraiment conscience et que j'arrive à nommer ce que je vis, c'est quand j'ai 13 ans. J'arrive à l'école en 5e, 6e ou 5e. J'arrive à l'école, au collège. Et en fait, les gamins, mes camarades rigolent parce que dans le journal, il y a eu un article qui parle d'une femme qui a été violée dans notre ville, dans la ville où on vit, on est à Limoges à cette époque-là. Il rit comme des enfants rigolent quand il y a un mot un petit peu...
- Speaker #0
Oui, qu'on ne connaît pas,
- Speaker #1
qui fait allusion au sexe et que du coup, voilà, machin. Sauf que moi, je ne comprends pas pourquoi ils rigolent. Violer, pour moi, je comprends voler. Je me rends compte que je fais un blocage. C'est juste une lettre, mais elle a été volée. Alors du coup, je pose une question un peu bête. À côté, oui. Oui, c'est ça. Et puis en fait, je finis par dire, mais je ne comprends pas, ça veut dire quoi, violer ? Et là, tout le monde rigole. Je passe pour la bécasse qui ne connaît pas le mot, alors que finalement, eux sont... On sont au stade où ils sont un peu en communion autour de ce sujet, ils ont l'air de se comprendre très vite et tout ça, c'est même drôle, entre guillemets. Et là, tout le monde se fout de ma gueule en disant « Ah non mais tu sais pas ce que ça veut dire violer ? Non mais oh là là, toi tu es à côté de tes pompes, puis ça rigole, puis ça s'en va. » Heureusement, j'ai quand même une amie qui reste à côté et puis qui est un peu gênée, m'explique ce que ça veut dire. Et là, oula ! Alors je ne lui montre pas sur le moment, je fais « Ah d'accord, j'étais tellement un peu gênée du foutage de gueule collectif que... » J'étais, ah d'accord, ah oui mais d'accord, j'avais mal compris, j'avais compris voler, histoire de dire, ouais non mais en fait d'accord, c'est juste que j'avais pas entendu. C'est du fake, mais voilà, je passe à autre chose, mais par contre sur le moment je fais, en fait c'est ce que je vis. Puis là ils me parlent de consentement, enfin ils disent pas le mot consentement, mais ils me disent, bah c'est quelqu'un qui fait l'amour avec la dame alors qu'elle avait pas envie, ça se fait pas du tout, c'est pas normal, le gars il va aller en prison. Ils parlent un peu comme ça, ah ouais, comme on parle un petit peu quand on a 13 ans. Mais là, ça me fait bizarre. Là, je prends vraiment conscience et je me dis, d'accord, c'est un non. C'est vraiment la prison. Je repense à mon père qui me dit, je vais aller en prison si ça se fait. Voilà. Et, oh là,
- Speaker #0
là, je prends conscience. Comment tu te positionnes par rapport à ça ? Est-ce que tu as envie que ton père aille en prison ? Est-ce que tu as envie ?
- Speaker #1
C'est mitigé. Parce qu'en fait, je t'avoue, moi, je ne me pose même pas cette question-là. J'ai l'impression que je suis, en tout cas à cette époque-là, je suis encore en mode ah c'est horrible, c'est ignoble Mais est-ce que j'ai le choix ? Je ne me pose même pas la question du choix. Je suis tellement sous emprise et je suis tellement... C'est lui qui fait tout ce qu'il veut à la maison, en fait. Même ma mère ne dit rien. Pour d'autres choses. Mais, enfin, qu'est-ce que... Je prendrais plus le risque de me reprendre une correction monstrueuse que quelque part la soumission est une position sécuritaire.
- Speaker #0
Oui, tu étais maintenue dans la peur. Oui.
- Speaker #1
La terreur même.
- Speaker #0
Et à quel moment tu en sors de cette terreur et tu trouves la force de porter plainte ?
- Speaker #1
Je pars de la maison naturellement à 17-18 ans pour mes études. Je vais à Tours faire des études de médecine.
- Speaker #0
Ça doit être une grosse respiration pour toi.
- Speaker #1
Ah oui. Et puis en plus, on est dans une démarche de trouver un appartement. Ça veut dire vraiment quitter le foyer familial et aller... en quête d'indépendance, comme tout étudiant ou toute jeune personne qui commence une vie hors du foyer. J'ai vraiment hâte, j'ai vraiment hâte. Je vois vraiment ça comme une libération. Oui, une libération. Donc les années passent. Les études, c'est un peu chaotique parce que finalement, cette quête d'indépendance, certes, m'apporte plein de choses en termes de relations sociales. Je respire, je rencontre d'autres familles. Ça me fait vraiment prendre conscience que la mienne est toxique. Mais à la fois, c'est les meilleures années de ma vie parce que... En fait, je ne vis plus dans la peur constante. Pour autant, c'est vrai que ce n'est pas propice non plus à du sérieux. Je ne suis pas gainée, je ne suis pas dans une posture où je me sens suffisamment en sécurité non plus pour me dire « je me mets à fond dans mes études de manière constructive » . La quête de libération est tellement forte que ce n'est pas propice à un environnement en studio. Je m'en fous à ce moment-là du côté studio, je suis dans un état de survie qui fait que je ne suis pas dans cette démarche-là. Donc c'est un petit peu compliqué, je rate ma première année de médecine, je me réoriente en licence de sciences. Finalement, heureusement, je vais l'obtenir et mon master aussi, mais ça a été compliqué les débuts. Qu'est-ce qui me sauve et qui je pense me permet vraiment d'aller de l'avant ? C'est que malgré tout, les années passent et je prends vraiment conscience qu'il faut que je me prenne en main, que je peux le faire, que même si là c'est bien, c'est cool, j'ai fait deux, trois années un peu de n'importe quoi, mais ça ne peut pas continuer parce que je laisse mes frères et sœurs quand même à la maison.
- Speaker #0
qu'il y a un événement familial commun qui me replonge pendant un week-end dans leur ambiance à eux, dans laquelle ils sont toujours en fait. Moi j'y suis plus, mais eux ils sont toujours. Et là je me dis non, je ne peux pas me taire, parce que me taire c'est cautionner tout ça. Ça fait 2-3 ans que je respire, eux ne respirent pas. Et finalement, cette respiration-là, il faut qu'elle me donne la force de mettre l'énergie au bon escient. Vous êtes où ? Oui, surtout que j'ai une petite sœur. J'ai une petite sœur, on a 13 ans d'écart. Donc à cette époque-là, elle est vraiment petite, elle a 6-7 ans. Et là je me dis, ah non mais imagine lui arriver la même chose. Et si. Surtout qu'il fait deux, trois phrases sur son physique et tout, que j'ai trouvé vraiment inquiétante. Et qui m'ont ramenée aussi à tout ça. Et donc là, le stress, l'angoisse. Et donc là, je prends ma décision, on est en 2013, j'en parle à mon petit copain de l'époque, qui tout de suite a une bonne réaction, qui dit, ah non mais attends, mais déjà ton père, je peux même plus le voir, en fait là le mec c'est un malade, il faut porter plainte, il faut, enfin qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? Enfin voilà, il était vraiment... Il a su très bien réagir, je me rends compte, pour l'époque.
- Speaker #1
Et pour l'âge que vous aviez, c'est pas évident d'être mature et d'avoir les bonnes...
- Speaker #0
Il avait les outils. J'ai eu de la chance aussi là-dessus, qu'il ait les outils, qu'il sache quoi dire, qu'il soit soutenant à mon égard, qu'il soit pas dans le jugement. À la limite, le seul jugement qu'il a eu, c'est envers l'agresseur. Et donc ça m'allait de l'entendre dire c'est un gros connard. Voilà, parce qu'en fait, j'ai eu besoin de l'entendre aussi, ça. En fait, il a pas parlé de moi. il a jamais exprimé du dégoût sur moi sur pourquoi tu me l'as pas dit, il y a pas du tout eu tout ça donc vraiment il a géré Très rapidement, on prend la décision de se dire, on va porter plainte. Par contre, j'ai besoin de ton aide, je ne pourrais pas y aller seule, parce que là, tu es la première personne à qui j'en parle. Et je m'effondre, en fait. Enfin, je tiens et en même temps, je m'effondre. Je lui dis, par contre, je veux voir ma mère avant. Je veux lui en parler, parce que j'aurais encore ce sentiment de la trahir si je ne lui dis pas avant que je m'apprête quand même à porter plainte. Oui, qui va être un sacré chamboulement. Il y a quand même une mineure à la maison. Ça peut remettre en question beaucoup de choses. Je connais aussi ses failles à l'époque. et je me pose des questions, je me dis bah mince qu'est-ce que ça va ? provoqué aussi que j'ai peut-être pas envie parce que finalement j'ai envie que mon père paye pour tout j'ai pas non plus envie qu'il se passe d'autres choses à côté fin j'ai des peurs je vais voir ma mère je lui révèle tout elle me soutient c'est pas du tout facile s'effondre enfin s'effondre je vois que c'est un effondrement intérieur mais extérieurement à part les larmes dans les yeux ça reste un rock quand même après je sais qu'elle a une forte capacité à la gestion du stress son métier comme je t'avais dit dans la santé qui expose à des situations pas toujours faciles, le fait qu'elle soit aussi manager, etc. C'est vrai que, voilà. Et puis, toutes ces années sous la violence, forcément, ça forge aussi des traits de caractère qui t'endurcissent. Mais elle est là, elle est soutenante. Forcément, elle pose des questions. Maintenant que je suis maman, je comprends d'autant plus... Je peux imaginer déjà ce qu'elle a subi et comment est-ce qu'elle peut accueillir la parole de sa fille qui vient lui dire tout ça. Elle me soutient. On se met un petit peu en... Toutes les deux en champ de bataille, en se disant, bon, ok, va falloir digérer tout ça, mais en attendant, l'urgence c'est de te sauver toi, c'est de se dire, qu'est-ce qu'on fait pour les autres frères et sœurs ? Comment on se préserve de ça ? Pendant que je lui dis tout ça, à un moment, mon père appelle pour dire, du coup, je vais chercher le pain, ça te va ma chérie ? Où c'est toi qui fais ? Ma mère, waouh, elle me fait, attends, il appelle, elle prend le téléphone. Coucou ! Mais t'imagines, enfin, le... Le but de rien. Exactement. Et d'ailleurs, quand je porte plainte... Je suis reçue par la brigade des mineurs de Tours, donc le 2 juillet 2013. Je porte plainte, ça dure toute la journée. Une journée très très longue, c'est très éprouvant. En plus je suis seule, même si ma belle famille de l'époque et mon copain de l'époque m'ont accompagnée. 8h d'audition, c'est solo, c'est avec la brigade des mineurs. Je suis en salle Mélanie, entourée de jouets d'enfants, etc. C'est particulier, mais voilà, je dis tout. On me demande de faire des dessins des maisons où j'en ai habité. des plans, des appartements, des lieux, de mettre des croix là où il y a eu les viols. Il y en a partout dans la maison. C'était dans le canapé, du salon, c'était la table à la salle à manger, c'était mon lit, c'était la salle de bain, le lit parental. Enfin, je veux dire, il y avait... Mais on me demande tous ces détails. Et on me demande avec précision de raconter tous les faits. On me demande si j'ai pris du plaisir. On me demande si j'ai déjà parlé. Enfin, t'imagines la quantité de questions. C'est à la fois... Ça fait du bien parce que je me dis, quelque part, quitte à tout dire, faut tout dire. Et en même temps, il me posait des questions que je ne m'étais même pas posées. Je n'en sais rien en fait. En plus, je suis dans le déni, il y a de l'amnésie sur certaines choses. Donc c'est compliqué. Et on nous demande à l'issue de cette plainte, ma mère et moi, de ne rien dire. On nous explique que finalement, c'est à Tours que je dépose plainte. Ils doivent envoyer ça à Orléans, puisque c'est à Orléans que vit mon père. Que c'est le parquet d'Orléans qui s'en occupe. Sauf que le temps que ça soit transmis, le temps que ceci, cela, les démarches, machin... il faut que ma mère continue de faire comme si rien n'était avec lui à la maison, avec les autres enfants. Donc c'est très très dur, c'est un an... Ah ça dure un an ! Quelle horreur ? Quelle horreur, ouais. Je pense que ma mère, ça a dû être...
- Speaker #1
Elle a dû vivre dans la peur déjà, parce que du coup, maintenant que le voile était levé, elle a dû avoir peur pour ses enfants qui étaient sur place. J'imagine qu'elle a dû essayer de mettre des choses en place pour...
- Speaker #0
Oui, les mercredis après-midi, par exemple, systématiquement. C'était plus forcément mon père qui gardait la maison, c'est elle qui... Voilà, mais elle a trouvé des bons prétextes. Elle a trouvé des bons prétextes, c'est passé. Après, en janvier, on nous appelle en nous disant, bon écoutez, là on a fait une grande partie du dossier, ils avaient interrogé pas mal de personnes, ils avaient commencé déjà un petit peu des petites choses. Ils nous disent, non mais là, on demande à ce qu'ils viennent, on lui a envoyé une convocation et on demande à ce qu'ils viennent le 4 février, 4 ou 5 février, donc 2014. Il s'y rend et finalement il ne reviendra plus jamais à la maison à partir de ce jour-là. C'est une journée très dure aussi parce que nous, on nous demande ce jour-là de faire venir le maximum de témoins possible. Donc je vais chercher ma grand-mère qui est en Normandie. Enfin c'est ma belle famille qui va chercher ma grand-mère en Normandie. Moi je viens avec mon conjoint. Mes frères et sœurs sont mis au fait des choses un peu brutalement. Tout se décante ce jour-là finalement. Le lendemain je crois, donc lui il est passé à la moulinette en confrontation, enfin en entretien avec les forces de l'ordre. Le lendemain, confrontation. Donc je le vois aussi près que tu es de moi. Voilà. Je le vois en face à face. Très très dur. Très très dur. En plus, on me dit, rassurez-vous, il n'a pas le droit de vous regarder. Il n'a pas le droit de vous parler. Donc moi, ça me sécurise qu'on me dise ça, parce que je suis quand même effrayée à l'idée de le revoir. J'imagine sa haine, sa rage, en voyant tout ce que finalement... Enfin, c'est encore ma faute. Tout ce qui se passe, c'est parce que j'ai parlé. Je pense qu'il va mettre en place des mécanismes de défense. Je suis un petit peu inquiète quand même de tout ça. Ça ne loupe pas. Alors qu'il a l'interdiction de me regarder et de me parler, le premier truc qu'il fait en rentrant dans la pièce, dans la salle d'audition, avec les menottes et tout, c'est « tu m'expliques ce que tu fais là ? » « Tu ne sais que ça ? » Et puis il me regarde avec les yeux que je lui connais. Ah oui, les yeux que je lui connais, qu'il faisait avant de nous tabasser, de nous faire... comprendre que c'était un regard qui d'habitude me réduisait au silence parce que je savais très bien que la fallait plus que je bouge et en fait là ce qui m'a fait plaisir c'est qu'il a fait ça et tout de suite les autres genre oh enfin voilà ils leur prennent comme ça en disant non mais oh on vous a dit quoi enfin finalement j'ai une autorité supérieure qui vient leur calais un peu et dire non mais attendez la foutait de moi puis elle plus vous qui décidez ah ouais et puis Puis la gendarme, là, elle... Je me rappelle, elle m'avait vraiment un peu impressionnée ce jour-là, parce que finalement j'avais besoin un petit peu d'une sauveuse et de quelqu'un qui drive comme ça, qui le remet à sa place, qui dit « Attendez, vous vous foutez de moi là ? Il y a des règles, vous n'êtes pas capable de les suivre ? Vous vous asseyez maintenant, vous attendez qu'on vous donne la parole. Ah ben voilà, merci, punaise ! » Un peu de cadre, parce qu'en fait, de l'autre là, si vous saviez tout ce qu'il fait depuis des années et tout se passe tranquille, ça fait du bien, tu vois, de me dire…
- Speaker #1
De t'en faire contenu pour la première fois.
- Speaker #0
Ouais.
- Speaker #1
Et quelle est l'issue du coup ?
- Speaker #0
Donc l'issue c'est qu'il va être maintenu. en détention provisoire pendant deux ans, ce qui est quand même à la fois pas assez au regard évidemment de tout ce qu'il a fait mais qui est déjà énorme quand on fait la comparaison avec aujourd'hui le taux de condamnation des violeurs voilà, bon moi je suis soulagée quand même qu'il soit en détention provisoire parce que ça veut dire que je peux retourner chez ma mère qui est hors d'état de nuire que je peux voir mes frères et soeurs qui sont en sécurité en tout cas par rapport à ça et même d'autres personnes pourquoi pas, je veux dire en tout cas Il est en prison.
- Speaker #1
Il est neutralisé.
- Speaker #0
Ouais. Et en plus, même si je sais que je vais devoir me battre, il n'a pas su, lui, avancer des arguments non plus si probants que ça. Et au contraire, son profil et d'ailleurs son attitude à mon égard en rentrant, incapable de respecter des consignes de base, incapable de... Là, il n'est pas encore dans une posture non plus d'amour envers sa fille. Enfin, c'est ce que disent les enquêteurs. C'est que... Ouais, en fait, ce que je dénonce dans la plainte de comportement de manipulation et de domination, ils les ont vus en 30 secondes. Il ne voit pas d'amour. pour ses enfants, dans ses yeux. Il voit de l'inquiétude pour lui. Il voit que sa réputation, c'est important. Il voit des choses. Mais l'amour pour sa famille, non. Ça, c'était quand même embêtant.
- Speaker #1
Et il va sortir de prison ?
- Speaker #0
Alors, il sort au bout de deux ans, parce qu'au bout de deux ans, on ne peut pas maintenir quelqu'un sans procès en détention provisoire plus de deux ans en France. En tout cas, à l'époque, c'était comme ça. Donc on me prévient. Par contre on me rassure en me disant, soyez rassurés, il n'est pas question qu'il vienne vivre dans votre région, il y a même un périmètre de... Mon avocate aussi s'organise pour que tout ça soit fait quand même en bonne intelligence. Donc finalement il va vivre chez une tierce personne, voilà, dans le nord de la France. J'ai pas d'impact particulier par rapport à ça, moi j'essaye de vivre ma vie. Je me sens mieux quand même depuis que la plainte est faite, depuis que mon père était quand même en détention, moi je continue ma vie, je passe mon permis. J'obtiens mon master. J'essaye de vraiment me reconstruire aussi un petit peu. Toujours avec un horizon de procès en vue. Mais voilà.
- Speaker #1
Tu te fais aider par des professionnels de la santé mentale ?
- Speaker #0
Tout à fait. Ah oui, obligatoire. D'ailleurs, déjà, quand on lance une instruction comme ça, on a une... Je loupe le terme, mais en gros, on te fait diagnostiquer un petit peu. Tu as un échange. Tu as un temps d'échange pour un petit peu... C'est une évaluation. C'est une évaluation psychologique. Donc, lui, il a la même chose aussi. Et donc, c'est une expertise. C'est une expertise psychologique, je retrouve le mot. Donc, ça permet aussi de se rendre compte de certains traumas. Évidemment que je me fais aider. Ça n'a jamais été un tabou ou une gêne pour moi de l'accepter. Il n'y a pas eu, en tout cas, ce souci-là. Ça a toujours été très clair, je voulais m'en sortir. Donc, mon médecin traitant, ma médecin traitant à l'époque, arrive aussi à superbement prendre les bonnes initiatives et arrive à m'accompagner. Et je vois des thérapeutes, je fais de l'hypnose, de la sophrologie.
- Speaker #1
Et comment tu joues dans ta vie intime, par exemple ta vie sexuelle ? Est-ce que c'est difficile pour toi de te laisser aller avec un homme ? Est-ce que tu tombes amoureuse et d'avoir une vie sexuelle épanouie ?
- Speaker #0
Alors, j'ai eu, par rapport à ma sexualité, on va dire que, tu sais, lors des deux années, là, je te disais que j'étais en médecine, j'ai eu une phase un petit peu d'hypersexualisation, qui est très courante chez les victimes de violences sexuelles, parce que, moi, en tout cas, je voyais ça comme une forme de réappropriation de mon corps. Oui, de reprendre le pouvoir. Je redécide. Avec qui j'ai des rapports. Après, à l'époque, je suis assez violente dans mon vocabulaire. En plus, en études de médecine, ce n'était pas forcément un contexte propice à la douceur sur le vocabulaire et le rapport au corps. Mais c'est vrai que j'étais plutôt en mode je baise qui je veux, un mec me plaît physiquement, je vais tout faire pour me donner les moyens que finalement le soir, il soit dans mon lit. C'était un petit peu dans cette... sans que ce soit autant formalisé, conscientisé comme ça. mais dans la démarche j'étais un petit peu euh Féline, tu vois dans l'approche, je chassais. Je chassais et c'était une manière de me réapproprier mon corps. Mais pour autant, j'ai eu des comportements à risque parce qu'il n'y avait pas toujours de protection. Mon plaisir n'était absolument pas à l'ordre du jour. Je me rends compte que j'étais plus dans une quête de performance et de manifestation, mais centrée sur le plaisir de l'homme finalement. C'est comme si je me donnais à 100% dans un espèce d'acte, mais un peu comme dans le porno auquel j'ai été confrontée très tôt. L'addiction au porno, ça a été très compliqué aussi de m'en défaire. Parce que finalement, le porno, pendant que mon père me violait, c'était un échappatoire. Je me concentre sur ce que je vois eux. Donc finalement, ce que je ressens dans mon corps n'existe pas. C'est ce qui se passe là. Et donc, je ressens ce qu'eux ressentent. J'arrivais plus à m'autoriser aussi, parce que des fois, j'ai eu des orgasmes. Et c'était trop dur pour moi de me dire, mon père m'a donné un orgasme. Donc, elles m'ont donné, en fait. Tu vois ce que je veux dire ? Donc, j'arrivais à me dire, non, mais en fait, c'est ce que je vois à la télé. En fait, je ressens leur plaisir à eux. Tu vois, j'étais un peu dans un schéma un peu comme ça.
- Speaker #1
Et quand tu rencontres ton mari, à quel niveau tu es de ta construction ?
- Speaker #0
Bien mieux que quand je démarre la plainte et tout ça. Après, encore beaucoup de travail. D'ailleurs, je le rencontre en 2016. Je suis encore fragile quand même sur certains aspects, mais je me sens quand même beaucoup mieux.
- Speaker #1
Tu lui dis tout de suite ton histoire ?
- Speaker #0
Pas tout de suite, mais quand même assez rapidement. J'ai dû le dire dans les six mois. Pourquoi ? Parce que ça me semblait important. quand même avant de s'engager plus loin qu'il soit au courant que déjà il y avait un procès l'artiste en histoire ça fait partie de mon histoire je veux être sûr d'être accepté pleinement comme je suis par la personne de pas le prendre en traître non plus maison à coucou j'attends que ce bien amoureux de moi pour te dire des choses non et puis de toute façon des questions allaient arriver je te présente ma famille oui bien et où ton père c'est dur aussi de dire mais en prison oui enfin tu vois ce que j'ai à dire tes mamans aussi t'imagines demain Il y a nos puces ou nos fils qui viennent nous dire « Je te présente mon conjoint, ma conjointe. » Bon, le parent étant tôt, ça fait bizarre. Tu te dis « Oula, ok, bon. » En tout cas, j'avais un petit peu cette appréhension. Mais bon, il me croit tout de suite et puis il n'y a pas de jugement. Voilà, j'avais déjà essuyé le courage de le dire à quelqu'un avec qui je suis en couple. Donc voilà, mais bon, soutenant. tout va bien et après par contre ce qui se passe c'est qu'un an après, enfin on se met en couple et en fait un an après mon père décède. Mon père décède avant d'être jugé. Avant d'être jugé. Il meurt d'un cancer des poumons, des fins visiblement très compliquées, enfin il vomit du sang etc. Il est à l'hôpital. On n'avait pas forcément toutes ces infos comme quoi il était à l'hôpital et tout parce que forcément les ponts étaient coupés et puis les personnes qui étaient encore en contact avec lui n'étaient pas forcément en contact avec nous. Oui bien sûr. Voilà. Donc c'est vrai qu'on a appris ça un petit peu plus par... obligation et devoir parce que ma mère était toujours mariée tant que le procès n'était pas fait et pouvait pas y avoir le divorce pour faute donc en fait officiellement c'est toujours marié donc elle a dû gérer la succession voilà gérer la succession gérer la comment dire les funérailles que de charges aussi en plus alors que on n'a plus envie d'entendre parler et toi comment tu te sens quand il meurt est ce que tu es apaisé qu'il meurt est ce que tu es déçu qu'il ne soit pas reconnu coupable un peu tout ça Ouais, il y a un peu tout ça, je pense que je pleure quand même, ça me fait un choc. Je pleure parce que je suis quand même triste qu'on en soit arrivé à tout ça. Je pleure peut-être aussi une enfance que j'aurais espéré différente. Je pleure à l'époque un pardon que je n'aurais pas ou jamais en tout cas, parce que je crois encore que la prison, le procès vont le faire évoluer et peut-être se rendre compte qu'il a vraiment eu un comportement toxique. Mais bon, le pardon est encore possible et je voulais en tout cas peut-être l'entendre de sa part. Voilà, donc la petite fille pleure à un papa aussi quand même, parce que ça restait mon père. Après, je suis quand même soulagée. Je suis quand même soulagée. Oui, ok, il n'y aura pas de procès, mais d'un autre côté, je me dis que ça va être encore long tout ça. Et j'en arrive à un stade où, là on est en 2016-2017, donc ouais, j'ai envie de passer à autre chose. C'est bon, là mes études sont finies, je travaille, je viens de rencontrer un homme formidable, je me sens bien. Bon, finalement, finalement, est-ce qu'en mourant, c'est pas plus simple ? Et j'accepte du coup, après voilà, il m'a fallu un petit peu de temps, quelques semaines et tout ça. Mais finalement, super. Il est mort, franchement... tant mieux parce que là au moins je suis sûr qu'il fera plus de mal à personne on est définitivement débarrassé il n'y a pas de procès mais quelque part est ce qu'on en avait encore l'énergie ce qu'on avait le souhait tout ça tu vois ça mais finalement ça vient on est dans l'acceptation et depuis tu es devenu maman d'une petite fille comment
- Speaker #1
on fait pour devenir maman d'une petite fille quand on a été victime d'un ceste de viol et pour trouver ce juste milieu entre le fait de lui laisser l'insouciance de l'enfance, mais en même temps j'imagine que tu as un désir de protection qui est très fort.
- Speaker #0
Alors j'ai toujours voulu être maman, d'ailleurs petite je voulais être pédiatre, je pense que déjà cette envie d'avoir des enfants et de les protéger, c'était vraiment dans mes racines. Avant de devenir maman, j'avais vraiment en tête qu'il fallait quand même que je soulage un petit peu mon bagage émotionnel, mon bagage traumatique. donc j'ai J'ai repris un parcours thérapeutique avant notre désir d'enfant pour vraiment me dire tout sera pas nickel mais c'est pas le but que tout soit parfait, ça le sera pas. Mais si tu peux remettre une petite couche un an ou deux avant pour vraiment lâcher des choses et donc éviter de lui transmettre un maximum, voilà, tout ce qui est soldé est soldé et je me dis on avance. Donc j'ai fait ce travail thérapeutique là, j'ai eu la chance de somber enceinte. Voilà pour la grossesse ça a pas forcément été des moments de pur bonheur mais en tout cas voilà quelle joie. de pouvoir donner la vie. En plus, une petite fille, je voulais une petite fille. Même si ça va aussi avec des craintes, des risques, etc. Bien sûr, par rapport à mon passé. Mais non, j'étais très, très, très heureuse. Je le suis toujours. Ma petite puce, c'est mon rayon de soleil. Elle vient apporter tellement de joie, en fait, dans tout ça. Même si, quand elle est née, au tout début, j'avais sous-estimé, malgré mon travail, j'avais sous-estimé... Est-ce que ça allait faire peut-être remonter ? Tu vois, son premier bain, forcément, il fait écho au mien. Et j'ai eu du mal au début à donner le bain à ma fille. C'est mon mari qui a géré ça. Je m'étais préparée à me dire, c'est toi, Anna, qui donne les bains systématiquement parce que je vais être en difficulté de laisser mon mari faire en projetant mon histoire. Mais non. En fait, la difficulté, c'était que ce soit moi qui lui donne parce que ça allait me rappeler moi ce que j'avais vécu. J'étais pas du tout dans la crainte que mon mari reproduise des choses. C'était plus moi de me dire, en fait, le fait de lui faire, quand je lui lave les zones intimes, en fait, j'ai un flashback de moi petite que ça me fait. Et donc, je suis trop mal. Et en fait, finalement, mince. Et ça, c'est compliqué parce que c'est dur d'en parler. C'est dur d'en parler en famille. Il n'y a jamais de bon moment pour parler de ça. Il faut vraiment arriver à des niveaux de discussion profondes et intimes pour avoir ce moment, pour accueillir. Donc tu te sens un petit peu seule Déjà quand tu accouches t'es seule Euh parce que c'est compliqué, parce que personne ne comprend vraiment ce que tu as vécu. On comprend, mais je parle même de femmes qui n'ont pas le vécu que j'ai. C'est déjà ce moment-là de la vie d'un couple, de la vie d'une famille. Déjà, c'est unique parce que même si on pense savoir, non, chaque couple, chaque famille vit ça à sa manière et c'est précieux de le respecter. Mais alors effectivement, tu rajoutes après les bagages de chacun et c'est encore plus de relief dans des histoires individuelles. Donc, pas simple. des fois on m'a fait le reproche dans la famille de ne pas avoir dit pourquoi tu ne nous en as pas parlé, on aurait bien aimé te courant on l'apprend sur les réseaux, on ne comprend pas mais comme si finalement c'était une injonction alors qu'en fait je fais ce que je veux, c'est mon histoire posez-vous peut-être la question de si je ne vous en ai pas parlé c'est qu'on n'a eu aucun moment assez intime aussi pour se le dire et qu'il n'y a jamais de bon moment pour vous dire écoutez ça ne va pas trop j'ai ça, ça, ça, ça,
- Speaker #1
ça tu n'as pas senti assez écouté entourée dans des moments de vulnérabilité. Oui. T'as l'impression qu'on n'a pas pris la mesure de ce que ça pouvait être comme bombe émotionnelle pour toi.
- Speaker #0
Et puis moi, je voulais les protéger. C'est-à-dire que moi, d'un autre côté, il n'était pas question non plus de larguer cette bombe-là, parce que moi, je sais ce que c'est que de la vivre. Je n'ai aucune assurance et je ne veux surtout pas faire du mal en finalement mettant mal à l'aise des gens, qui d'ailleurs, je le perçois dans le quotidien, ne sont déjà pas trop dans l'émotion.
- Speaker #1
Et comment tu le vis quand justement tu dois les laisser sur la surveillance d'un homme ?
- Speaker #0
Alors aujourd'hui ça s'est très peu passé déjà. C'est vrai qu'aujourd'hui, on va dire que c'est trié sur le volet. J'ai confiance en mon mari. Après, c'est toujours ça qui est compliqué, c'est que j'ai la lucidité et la compréhension de ce qui nous entoure sur ces sujets-là. Le fait que je collabore avec des associations, avec des professionnels de la petite enfance, je sais très bien que même aujourd'hui, ce que j'essaye de me souffler à l'oreille en me disant « Non, mais là, tu as confiance, ça va bien se passer, tout le monde n'est pas, machin, machin. » En fait, c'est des arguments que je me dis pour me rassurer, mais rationnellement, je sais qu'ils sont faux. Parce que s'il y a bien un truc qu'on sait aujourd'hui, c'est qu'un pédocriminel, c'est bien monsieur et madame tout le monde. Il n'y a pas de profil type de violeur. Il n'y a qu'à avoir les actualités récentes parce que la parole se libère de plus en plus. Il faut cesser de croire que les violeurs ou les agresseurs ont un visage qui permet de les démasquer avec évidence ou un comportement si évident. Non, sinon ça se saurait. Et puis sinon, il y aurait peut-être moins de drame parce que les gens... Je serais plus en méfiance. Aujourd'hui, ce n'est pas facile. Je n'essaie de ne pas me faire trop violence là-dessus. J'accueille le fait que ce soit difficile pour moi. Je l'explique. Si les gens ne comprennent pas, je veux dire que ce n'est pas mon problème. Oui, ce n'est pas mon problème.
- Speaker #1
Et tu as déjà parlé à ta fille, elle n'a que trois ans.
- Speaker #0
Alors, je ne lui ai pas parlé de mon histoire. D'ailleurs, pour l'instant, elle ne se pose pas trop la question de savoir pourquoi elle n'a qu'un papy. Je pense que quand ça viendra, j'expliquerai en posant des mots par étapes. Je me ferai sûrement accompagner, je pense aussi, pour ce moment-là. parce que c'est pas évident, puis j'ai pas envie de mal faire, exactement il faut vraiment que ce soit comme je suis ok en plus avec tout ça c'est pas comme si ça allait me coûter de le faire donc en fait je suis centrée plutôt sur elle et comment la préserver donc je pense que oui là tu vois elle grandit de plus en plus, elle a 3 ans oui je pense que avec mon thérapeute, voilà un thérapeute ou des professionnels de la petite enfance voir comment est-ce que je peux aborder ça avec elle, qu'est-ce qu'ils me conseillent, c'est eux les pros il faut que je me nourrisse de leurs expériences et de leurs conseils pour faire ça bien. Après, on est vraiment dans l'accueil des émotions, des frustrations. J'essaie vraiment de faire au mieux là-dessus. Après, tu le sais bien, ce n'est pas toujours évident. Chacun a notre univers émotionnel. Et c'est vrai que les connexions, des fois, entre chacun des univers, de la joie chez les uns, peuvent provoquer de la frustration chez les autres. De la colère peut provoquer de la tristesse. Et du coup, des fois, c'est tous ces ponts et ces passerelles qui ne sont pas faciles. On essaie de lui apprendre à communiquer ça. Au passage,
- Speaker #1
ça nous grandit nous aussi.
- Speaker #0
Ah oui, complètement. Du coup,
- Speaker #1
tu fais aussi beaucoup de musique, tu fais des chansons qui sont engagées pour justement aider les victimes de violences, dans lesquelles tu dénonces beaucoup de choses, de violences sexuelles. C'est important pour toi de délivrer ce message de manière artistique pour pouvoir aider le plus de monde ?
- Speaker #0
Oui, tout à fait. Déjà, initialement, c'était un jardin secret pour moi. Mon piano, mes chansons, déjà toutes petites, c'était une façon pour moi de... d'avoir un espèce de cocon sécurisant où j'écris ce que je veux, je dis ce que je veux. Je pose des mots pas toujours clairs à la lueur d'une plume quand on a 8 ans. Mais c'était quand même mon univers et je l'adore. Je l'adore cet univers, il est tellement sécurisant et précieux. Et puis en grandissant, je me suis dit voilà, ça a commencé par des petites chansons chez des copains, en salle de musique et tout ça. Puis en fait, les gens m'ont assez encouragée en disant tu chantes bien, c'est sympa ce que tu fais. Donc forcément, ça booste, ça motive. Je n'avais pas ce boost, cette motivation, cette autorisation à être moi à la maison. Donc forcément, ça a été catalyseur à l'extérieur. Et puis, de fil en aiguille, je me suis dit, vas-y, fais-en aussi ta passion à côté. Et quelque part, peut-être plus une activité de plus en plus professionnelle. Et voilà, donc il y a en 2022, l'année de naissance de ma fille, je me suis lancée. Ça m'a donné des ailes.
- Speaker #1
Peut-être qu'inconsciemment aussi, tu t'es dit, il faut que je parle plus fort pour que jamais ça ne puisse lui arriver.
- Speaker #0
c'est possible. Et d'ailleurs, tu vois, aujourd'hui, je suis fière parce qu'en fait, il y a des enfants qui, en écoutant mes musiques, ont parlé. Et ça, c'est une de mes plus belles victoires parce que il y a notamment un petit garçon qui a révélé à sa maman l'inceste paternel à 4 ans et demi. Sa maman, elle m'a écrit sur les réseaux sociaux en me disant « Merci, tu peux pas savoir, il y a une de tes chansons. » Voilà, grâce à une de tes chansons, mon fils, il a compris ce qu'il vivait et il m'en a parlé et voilà. Et en fait, tu te rends compte, je me dis « Waouh, 4 ans et demi,
- Speaker #1
Tu lui as fait gagner du temps et tu lui as épargné beaucoup de souffrance.
- Speaker #0
Oui, et ça c'est génial. Et tu vois, à l'inverse, il y a une autre petite fille qui a tourné dans mon prochain clip aussi, qui m'a dit lors du tournage, « Merci Anna, parce que tes chansons, elles me guérissent. » Bon ben voilà, qu'est-ce que tu veux que je dise ? C'est tellement enrichissant pour moi. Oui, c'est ça. Ça me nourrit énormément. Et j'ai comme tout le monde des moments de doute parfois, où je me dis, bon... Est-ce que ça va pas saouler les gens ta thématique ? C'est quand même particulier. Voilà, j'ai des moments de doute comme tout le monde où je me dis est-ce que tout ce que je fais forcement, est-ce que c'est... Est-ce que je sais pas, est-ce que c'est bien, est-ce que finalement c'est pas too much ? Je me suis pris pas mal de critiques où on me disait tu parles toujours de la même chose, c'est hyper... C'est pas morbide mais tu sais c'est un peu... Psychologiquement c'est lourd. à vous. Oui, voilà. Non, c'est quand tu te reçois tout ça, alors que moi, je vois ça comme la libération de la parole, je vois ça comme de l'émancipation, une capacité à aider les autres. Et je trouvais ça assez irrespectueux et assez centré sur eux, finalement, parce que c'est leur perception, c'est leur jugement. Et comme tu dis, s'ils n'aiment pas ce que je respecte, mais à 1000%, eh bien, écoutez autre chose. Moi, quand je n'aime pas quelque chose, je ne vais pas crier à la personne que je n'aime pas, je vais passer à autre chose.
- Speaker #1
Peut-être qu'ils n'aiment pas parce qu'ils ont la chance de ne pas être concernés aussi. et quand on est concerné, ça fait du bien de trouver du support sur le sujet donc continue
- Speaker #0
Merci beaucoup, la preuve c'est qu'en plus j'ai ces retours là et ça aide donc je suis fière de le faire
- Speaker #1
Tu as de quoi être fière Je te remercie beaucoup Anna Merci Pauline. Merci d'avoir partagé ton histoire et je te souhaite tout le bonheur du monde Merci beaucoup à toi
- Speaker #0
A très bientôt
- Speaker #1
Voilà, le moment est venu de se quitter J'espère que vous avez apprécié cet épisode Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour découvrir un nouvel invité, un nouveau parcours et se faire embarquer dans un nouveau virage. En attendant, prenez soin de vous et bonne semaine !