- Speaker #0
Bonjour, je m'appelle Pauline Maria, bienvenue dans Virage. Le podcast est sur la vie et ses tournants qui nous font rire, parfois pleurer, mais qui toujours nous inspirent. Bonjour Marion.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Comment ça va ?
- Speaker #1
Très bien, formidable.
- Speaker #0
Je suis super contente qu'on enregistre un épisode, un épisode pour parler de toi et de ton spectacle qui s'appelle Cracage. Tu es comédienne, humoriste. tu as un one-woman show justement qui s'appelle Crackage dans lequel tu explores grâce à tout un panel de personnages différentes situations dans lesquelles on est amené à craquer dans nos vies et ce qu'on découvre quand on regarde ton spectacle c'est que finalement craquer ça fait du bien ah oui ton spectacle je te l'ai dit on y reviendra je l'ai trouvé extrêmement engagé par rapport à beaucoup de sujets de société donc on va balayer un petit peu tout en laissant bien sûr du suspense et le plaisir pour les auditrices et les auditeurs qui nous écoutent de le découvrir. Mais d'abord, j'aimerais qu'on discute ensemble de la genèse de ce spectacle, parce que je crois que c'est un jour où tu as toi-même craqué, que tu t'es dit, mais en fait, ça vient d'où, cette émotion-là ? Je dois l'avoir en moi depuis quelques temps, et que tu t'es intéressée à comment on en arrive à craquer, finalement.
- Speaker #1
Oui, oui, c'est ça. Ben oui, j'ai accouché de mon premier petit garçon et puis, enfin j'en ai pas cinq, j'en ai qu'un. Le premier, c'est l'unique pour l'instant, en tout cas. Et effectivement, quand j'ai accouché, tout s'est très bien passé. Et puis j'attendais la présence de mes parents qui n'est pas vraiment venu, ils n'ont pas vraiment été là. On attendait... Que chacun prenne sa place. Et puis, je crois que les grands-parents étaient bien là où ils étaient. Et ils se sont dit, non, mais en fait... On ne va pas te déranger. Voilà, on ne va pas te déranger. La nouvelle génération, je crois que vous vous débrouillez bien tout seul. Voilà. Et puis, effectivement, je me suis dit, mais quoi ? Mais il n'y a personne qui vient m'aider. Et donc, le fait d'avoir un peu, beaucoup hurlé au téléphone sur ma mère, je me suis dit, mais ce n'est pas possible. Enfin, on ne peut pas parler comme ça. Et c'était au moment où j'avais... l'intention d'écrire mon deuxième spectacle. Donc j'avais, de manière animale, très envie de crier et de gueuler sur scène. Et donc le mot « craquage » m'est apparu. Et puis quand il a fallu, trois mois plus tard, se poser avec des mots, une réflexion et des choses, je me suis dit « bah non, tu ne pourras pas crier sur les gens pendant une heure et demie. De un, ils ne t'ont rien fait. De deux, ils payent. Et de trois, c'est pas ta thérapie, ma grande, c'est un divertissement. » Sa colère, sa peur. Mais en fait, c'est tout simplement l'art dans l'état pur. C'est qu'est-ce qu'un être humain va faire pour transformer son émotion en divertissement, en œuvre, en quelque chose, en sculpture, en texte. Et donc là, je me suis dit, OK, donc on ne va pas crier, d'accord, mais si on crie, c'est pourquoi ? Et donc, je me suis posé cette question-là et j'ai fait plein de recherches. Et j'ai compris que l'émotion qui était intériorisée, trop longtemps. sortait en boule de feu à un moment, tôt ou tard, et si elle n'explose pas, elle implose et là, ça fait mal.
- Speaker #0
C'est ça, parce que tu dis dans ton spectacle, il me semble assez tôt dans le spectacle, tu dis quand on ne parle pas, ça gangrène. Oui, oui,
- Speaker #1
très bien. Comme ça, on donne le ton.
- Speaker #0
C'est ça, comme ça, on comprend vite. C'est pour ça que moi, je te dis que je l'ai trouvé assez engagé parce que je l'ai reçu, en tout cas, quand je l'ai vu, comme une invitation, en fait, à libérer la parole, à accueillir aussi les émotions des autres. Parce que c'est vrai que je pense que tout le monde sera d'accord avec ça. Quand on demande à quelqu'un comment ça va, c'est une formule de politesse. Mais personne ne s'attend à ce que la personne dise « ça va pas fort »
- Speaker #1
ou alors « si, moi j'ai quand même deux, trois amis » ou « il vaut mieux pas demander comment ça va » parce qu'alors là, on est parti pour deux heures et à aucun moment ils se disent « et toi, ça va ? »
- Speaker #0
Tu as deux heures de séance de thérapie non rémunérée.
- Speaker #1
Exactement, c'est ça. Mais de manière générale, par politesse et puis pour évacuer le sujet Et puis aussi parce que On n'a pas envie d'être celle qui a une vie de merde. Donc, on se dit non, non, mais moi, ça va. Et toi, ça va. Toi, tu as des galères. Dis-moi que tu as des galères. Comme ça, tu me ressembles un peu. Mais moi, je ne te dirai pas. Oui, c'est ça. Il y a un peu ce truc-là. Il faut bien se tenir.
- Speaker #0
Est-ce que tu penses qu'il y a quelque chose à changer du coup à l'échelle globale, même des individus, tu vois, pour apprendre à écouter plus, à accueillir davantage les émotions des autres.
- Speaker #1
C'est vrai qu'apprendre à écouter, alors moi j'ai la sensation d'avoir beaucoup beaucoup écouté petite et jusqu'à il y a très peu. Et je vois que je suis très chargée en travail, par mon boulot, aussi comme j'ai un petit garçon de deux ans et demi. J'arrive pour la première fois de ma vie depuis un an et demi, deux ans, à une saturation d'écoute où je vois que je n'ai plus l'espace. Le disque dur est plein, je n'ai plus d'espace disponible pour accueillir par exemple de nouvelles amitiés, de nouveaux récits. à part quand je suis dans l'écriture C'est vrai que j'ai qu'une envie, c'est de voir mes amis que je connais et de suivre leur parcours à eux. Sinon, on a très vite tous les mêmes vies, les mêmes histoires. Et après, c'est ce qui, moi, me plaît aussi. Mais c'est vrai que pour accueillir l'écoute, il faut être libéré soi-même de tout ce qui nous charge. Donc, c'est parler au fur et à mesure et se délester de ce qui ne nous va pas.
- Speaker #0
Et il y a plusieurs personnages qui vont dans ce sens-là, justement, aussi, qui disent que parfois, c'est vrai, je pense que tout le monde l'a déjà vécu, quand on ne dit pas les choses sur le coup, quand il y a quelque chose, par exemple, qu'on va mal prendre, on en parle un petit peu davantage, tu vois, de proposer des cours de communication aux enfants à l'école. C'est vrai que c'est quelque chose qu'on ne nous apprend pas. Et du coup, on a tendance à laisser, finalement, gangréner pour reprendre ton champ lexical une situation. et le moment où on va un petit peu poser nos limites. Ça ne va pas forcément sortir de la bonne manière.
- Speaker #1
Et non, malheureusement.
- Speaker #0
Je pense au personnage de Chantal, par exemple, dans ton spectacle, qui, à son pot de départ, va régler ses comptes avec tous ses collègues d'un seul coup, en taillant des costumes à tout le monde. Et on voit qu'elle a des années, Chantal.
- Speaker #1
42 ans dans la même boîte. C'est ça.
- Speaker #0
Et on voit qu'il y a du passif avec ses collègues. Et finalement, est-ce que Chantal n'aurait pas été plus heureuse et son pot de départ aurait peut-être été plus léger si au fur et à mesure,
- Speaker #1
elle avait tout dit ? Oui, et puis c'est aussi les anciennes générations où on disait encore moins. Mais c'est vrai que typiquement, dans le spectacle, à un moment, je dis, à l'école, on ne s'est pas appris à parler. On a français, maths, mais on n'a pas parlé. Donc Chantal, elle n'a pas eu parlé à l'école. Et elle a eu écouté, levé le doigt. Mais bon, effectivement, oui. C'est délicat parce que dans le cadre du travail, il y a ce truc de hiérarchie à tenir. On a peur de perdre notre poste. Là, on est tous en flux tendu. Donc, il y a quelque chose où on n'est plus dans les périodes de plein emploi. Des fois, j'ai les amis de ma mère qui me disent « Nous, à l'époque, on avait 20 ans. On quittait un job, on en retrouvait un en deux secondes. Non, on sait qu'aujourd'hui, les temps sont durs. Donc, on ne dit rien. On reste, on souffre. » Et les nouvelles générations changent encore, c'est un nouveau rythme qui arrive, ils switchent tous les un an et demi d'une boîte à une autre, mais bon, on n'est pas plus heureux aussi puisqu'on nous essore tous, donc il y a ce truc où on quitte plus vite mais on ne trouve pas mieux des fois. Oui,
- Speaker #0
c'est ça. J'avais vu un truc qui était à l'époque justement, les choses les plus faciles à trouver, c'était un appart, un travail, l'amour, et aujourd'hui c'est à peu près les trucs les plus durs à trouver.
- Speaker #1
C'est vrai que c'est très compliqué. Et du coup, ça met dans une situation où on a une nervosité, une forme de tristesse et on continue de garder pour soi. Oui, c'est ça. Donc, c'est un engrenage.
- Speaker #0
Et quand tu dis que tu as beaucoup écouté pendant des années, est-ce que tu penses que des personnes dans ton entourage ont pu un peu s'appuyer sur toi et te confier un peu des choses et te prendre un peu comme la confidente ? Et que ça a nourri finalement aujourd'hui ce que tu fais, ce qu'on sent, une véritable observation de l'humain ? Je trouve, quand on regarde ton spectacle, on sent que tu vois vraiment ce que vivent les gens. Je pense à tous les personnages que tu décris qui n'en peuvent plus et qui racontent leur quotidien. Je pense à cette coiffeuse, par exemple, qui est obligée de faire aussi relais-colis et qui n'en peut plus, en fait. Et je pense qu'on l'a tous un petit peu vécu. Et c'est pour ça que ce spectacle amène aussi à réfléchir. On est tous déjà allés chercher un colis. Mais en fait, c'est dans un magasin. Et la personne, quand on va récupérer notre colis vintage...
- Speaker #1
Elle est déjà énervée. Toi,
- Speaker #0
elle a... ses clients qui viennent pour lui acheter des trucs, donc elle te fait la gueule parce que toi, tu ne viens pas pour acheter. Je suis désolée.
- Speaker #1
Je vous prends une conserve quand même.
- Speaker #0
J'ai sélectionné ce relais, etc. Et je trouve que ton spectacle, il invite quand même un peu à la réflexion de se dire que les gens sont dans une urgence où ils n'ont pas le choix de faire ça parce qu'en fait, c'est la crise. Il faut gagner davantage. Mais du coup, c'est un peu le hamster dans la roue qui ne s'en sort pas lui-même de son propre quotidien. Et donc, il ne faut pas que les personnes qui peuvent se sentir offensées le prennent aussi pour elles. C'est ça,
- Speaker #1
ce n'est pas évident.
- Speaker #0
Mais on sent du coup, parce que je me suis éloignée de ce que je disais à la base, on sent une véritable observation de l'humain et une véritable empathie de ta part. Est-ce que tu dirais que ça vient du fait que justement, on t'a beaucoup pris pour une confidente dans le passé, on t'a confié beaucoup de choses, tu as entendu beaucoup d'histoires comme ça ?
- Speaker #1
Oui, alors je suis effectivement la personne à qui on a tout dit. mais Je pense que ma mère est vraiment comme ça, c'est-à-dire qu'elle est très empathique et elle écoute énormément. Et je pense que par mimétisme, on copie nos modèles. Et donc, j'ai vraiment fait ma mère. J'ai joué ma mère qui était très dans l'écoute avec ses amis. Et puis, c'est vrai que le dernier qui a parlé a toujours raison. Donc, comme ça, au moins, tout va bien. Mais c'est vrai que moi, je suis la génération d'après qui dit non, pas le dernier qui a parlé a raison. Mais je commence à l'ouvrir maintenant. En revanche, oui, c'est vrai que j'ai beaucoup écouté, ça m'a beaucoup nourri, beaucoup plu, mais je suis arrivé à un stade où j'avais envie de parler moi aussi, et donc j'ai écrit. Et ça s'est passé un peu comme ça, je pense. Après, je n'ai jamais été quelqu'un de timide, mais je n'étais pas non plus une leadeuse dans les groupes. Mais j'écoutais, je réunissais, je faisais rire à petite échelle. Et puis, j'aimais bien créer une union, mais donc ça passe par l'écoute. En fait, pour faire rire, il faut écouter. Je trouve un, parce que ça permet d'inclure l'autre. Moi, je vois dans une discussion, je récupère très vite des éléments de ce que l'autre m'a dit dans les cinq dernières minutes, et je les ressors mélangés à autre chose, et j'en fais une vanne. Donc la personne a ri. Elle a vu que je l'ai intégré puisque j'ai récupéré des éléments de son histoire il y a moins de cinq minutes. Mais j'ai analysé ça il n'y a pas si longtemps que je faisais ça par mécanisme de survie, d'intégration depuis toujours. En fait, c'est ma façon de vivre, d'être en société. Et donc, ça fait rire. Et donc, on crée forcément un endroit de confiance et donc du lien. Et ça, c'est ce qui me plaît. Et donc, c'est vrai que ça se génère par l'écoute. Avant de moi passer à la parole pour faire rire, il faut écouter. Il faut te nourrir,
- Speaker #0
quoi. Il faut nourrir ta créativité.
- Speaker #1
Ah oui, c'est sûr que j'en ai entendu des histoires et j'en entends encore.
- Speaker #0
Ouais, tu as de quoi nous faire, nous offrir des spectacles pendant quelques décennies.
- Speaker #1
Ah voilà, quand les gens me disent, oh là là, après un premier spectacle, c'est difficile d'en écrire un autre. Non, vous inquiétez pas. Le deuxième, il a été rapide et le troisième, je ne le dis même pas.
- Speaker #0
J'ai l'entourage pour nous. Il y a une phrase aussi que j'ai trouvée super intéressante dans ton spectacle. Je ne sais plus quel personnage la prononce, mais c'est un homme, ça ne pleure pas. Une fille, si ça pleure, c'est qu'elle a ses règles. Et un enfant, c'est qu'il est casse-couilles. Et en fait, c'est ça que je trouve super intéressant quand on regarde ton spectacle. C'est que ça amène à réfléchir sur le fait qu'en fait, on est dans une société qui attend vraiment que les gens soient lisses. Les émotions débordantes font un peu peur. C'est aussi ça qui amène au craquage. Toi, par exemple, qui élèves un petit garçon, est-ce que tu dirais que c'est quelque chose que tu... fait autrement ? Est-ce que tu lui apprends à accueillir ses émotions ? C'est ok pour un garçon de pleurer ? C'est ok pour un garçon d'être sensible ? Etc.
- Speaker #1
Oui, oui. Pleurer, ce n'est même pas un sujet parce qu'il n'a que deux ans et demi. Quand bien même, je crois que ce n'est même pas un sujet pour moi de dire tu as droit ou pas droit. Non, c'est plutôt le pourquoi. Lui demander pourquoi il veut ça ou pourquoi il fait ça, ça désamorce une bombe énorme. Moi, j'adore parce que je vois instantanément le changement de comportement non, je veux ça, je veux ça, je veux ça. Ah bon ? Et pourquoi ? Et là, d'un coup, il a le pouvoir. C'est à lui de dire pourquoi il veut ça alors qu'il l'a eu tout à l'heure. C'est vrai, pourquoi ? Et c'est fou. D'un coup, il lâche les armes, il se responsabilise, il dit oui, parce que ça, parce que finalement oui, je l'ai eu tout à l'heure. Bon, ça va, je veux bien qu'on fasse autre chose. Et c'est hallucinant de demander à une personne ok... Mais si on faisait ça dans une entreprise, ça serait formidable. Ah bah oui,
- Speaker #0
c'est vrai, ce serait formidable. Mais même d'inviter aussi les salariés à communiquer à chaque fois. Tu vois, finalement, ça pourrait résoudre beaucoup de conflits.
- Speaker #1
Oui, et puis ce fameux truc de parler et de dire, moi, je te dis ce que je ressens, ça m'a blessé. Je ne dis pas que je n'étais pas blessée en retour, mais en tout cas, je te dis ce que moi, j'ai ressenti quand tu as dit ou fait ça. Et ça, ça ne me convient pas. Donc, qu'est-ce qu'on pourrait faire pour changer ça ? Et toi, en retour ? Si je viens te dire ça, tu as le droit aussi de me dire qu'est-ce que j'ai pu faire pour te blesser. Si tout le monde pouvait faire ça, ce serait extraordinaire.
- Speaker #0
C'est ça. Et puis tout le temps, comme tu viens de le faire, partant de ton ressenti à toi. Comme ça, personne ne peut le nier.
- Speaker #1
C'est souvent ça. On se dit, moi, ça m'a blessé. Je ne peux pas t'inventer autre chose. Je te dis que ça m'a blessé. Bon, je te le dis. Ce n'est pas pour t'agresser une deuxième fois. Si ça l'a été, j'en suis désolée. Mais toi, qu'est-ce que je peux faire pour ne plus t'agresser ou te blesser aussi ? Si ça t'a offusqué aussi, qu'est-ce que je peux faire ? Et après, voilà, quand tout a été dit, qui tient sa parole, qui tient le truc, comme en couple. On dit ça fait trois fois que je sais que ça, ça ne lui plaît pas, mais je continue de le faire. Bon, ben là, ça pique un peu. C'est ça. Mais voilà, c'est comment on fait. Alors que si tout le monde a envie que ça change, c'est chouette. Mais bon, ce n'est pas le cas de tout le monde. Il y en a qui sont vraiment, vraiment blessés et qui n'ont plus envie.
- Speaker #0
J'ai l'impression quand même que dans la manière d'élever... les futures générations, il y a davantage la prise en compte de l'émotion et d'apprendre justement aussi à en faire des futurs adultes qui sauront exprimer davantage leurs besoins.
- Speaker #1
Oui, c'est clair. Je vois mon père, il y a encore deux jours, qui me dit « alors, il faut en faire un dur, hein ? » Mais ça veut dire quoi, cette phrase ? C'est nul ! Il faut en faire un dur, non ? Il faut en faire quelqu'un de bien, enfin ! Quelqu'un qui a l'écoute. Et quelqu'un qui a l'écoute, ce n'est pas forcément quelqu'un qui ne saura pas se défendre lui-même. Au contraire, je pense qu'on a plus d'armes quand on a analysé l'attaquant en face.
- Speaker #0
Être gentil, ce n'est pas être faible en fait. Non,
- Speaker #1
pas du tout. Et les anciens pensent beaucoup ça. Bon, à raison, il y a eu mille guerres et on y est encore. Donc forcément, la pression commence à revenir. Et on revient vers un truc très primaire où il faut savoir se défendre avec les mains, avec le verbe, avec machin. Et puis, on oublie l'oreille et le cœur.
- Speaker #0
Davantage pour les petits garçons encore. Je pense que ça pèse encore. plus sur les épaules des petits garçons. Et justement, une petite fille, au contraire, plus elle est gentille et plus elle rentre dans les clous, moins elle fait peur.
- Speaker #1
Ah oui, oui. Moins elle prend de place, mieux c'est. Moi, je prenais de la place et ça ne plaisait pas à mon père, à mon oncle. J'étais la folle, quoi. On m'aimait beaucoup, mais bon, je dévergondais un peu les cousines. C'était un peu chiant, quoi. Et aujourd'hui, on me dit, ah, elle s'exprime bien. Bon, ben voilà, ça a donné ça.
- Speaker #0
d'ailleurs on dit une expression horrible dans ces cas là on va dire garçon manqué elle a pas raté son c'est ça, dès qu'une fille va prendre un peu trop de place aux yeux de la société on va la qualifier de garçon manqué sinon mais c'est pour ça que du coup je trouve qu'il y a beaucoup à faire dans la manière d'éduquer et pareil je trouve que tu parles aussi beaucoup de toutes ces petites addictions douces de quand tu vois on parle pas parce que tu dis je le dis pas Merci. Du coup, je mange, je fume. Et c'est vrai qu'en fait, finalement, ne pas parler juste avant le craquage, souvent, ça ne peut que nuire à la personne qui va retenir ces choses-là et se transformer autrement parce qu'on a besoin de communiquer. L'humain est un être sociable. Et ça, pareil, comment tu penses qu'on pourrait faire en sorte de ne pas le faire ?
- Speaker #1
C'est en parlant. En fait, à partir du moment où les mots sortent, la tablette de chocolat, on la finit beaucoup moins. Le paquet de clopes, on en laisse un peu dans la boîte. La bouteille d'alcool, on n'en a presque plus envie. Coucher en cachette alors qu'on a une femme et être tranquille chez soi, peut-être qu'on est plus tranquille. Il y a plein de choses, chacun a des addictions. Il y a les cartes, les jeux en ligne, il y a un milliard de choses. Et quand j'ai écrit le spectacle, je me suis rendu compte que personne n'est à l'abri de rien et que tout le monde est concerné. À des degrés différents dans l'addiction, mais c'est la compensation pure de ce qu'on ne dit pas ou... d'un mal-être de choix de vie qu'on n'ose plus modifier et qu'on devrait faire notre job, notre couple, notre maison là où on vit. Il y a plein de choses qui nous dérangent et on a peur de l'inconnu, donc on reste dans ce soi-disant confort qui n'en est pas un. Et on va compenser, mais c'est là où il y a un risque d'implosion. Parce qu'en fait, on se maltraite soi-même avec des doses de choses qui sont pseudo-autorisées par la société, parce que ça arrange tout le monde. Et puis, même le sport à outrance, ma psy me disait, c'est pas très gentil pour votre corps non plus. Il y a un moment, le sport, c'est bien, mais quand on en fait à 3h du matin pendant 6h au lieu d'aller se coucher, non, il y a un problème.
- Speaker #0
Oui, bien sûr. Parce que souvent, il y a le côté aussi de remplacer une addiction par une autre. Donc, quelqu'un qui va avoir une addiction va vouloir se mettre dans une rigueur. D'ailleurs, ça s'appelle l'orthorexie, de vouloir contrôler. points, tout ce que tu manges, tout le sport que tu fais, etc. Et donc, ça donne ça, ça donne à 3h du matin, c'est-à-dire, mince, j'ai pas fait mes 10 kilomètres. Ah oui,
- Speaker #1
c'est ça. Et en fait, on se dit, non, foutons-nous la paix une bonne fois pour toutes. Mais oui, effectivement, je suis partie de ce constat-là. Quand on ne parle pas, on compense et on compense à des degrés différents au prorata de l'importance du secret.
- Speaker #0
Et tu as l'impression, parce que c'est vrai que tu explores un très large spectre de personnes différentes dans ton spectacle. Est-ce que souvent, tu as des retours de personnes qui s'identifient ? Parce que c'est hyper facile de s'identifier, du coup, comme il y a des personnages qui sont super différents. Est-ce que tu sens que c'est un spectacle qui fait du bien aux gens ?
- Speaker #1
Oui, oui, oui. Ça, c'est chouette. Moi, j'avais peur au tout début, il y a un an et demi, quand je l'ai lancé, que ça soit très plombant. Et en fait, pas du tout, les retours, c'est « Oh là là, ça met une claque, j'ai qu'une envie, c'est appeler ma sœur pour lui dire ça, ma mère pour lui dire ça. » Et pas forcément cracher son venin. C'est ça qui est chouette, c'est que les gens sortent pas en disant « Ah, moi je vais appeler ma voisine et je vais lui dire que je la déteste. » Non, c'est pas du tout ça. Ok, en fait je ne me rappelais plus que j'avais le droit de parler Donc, je vais juste réfléchir à ce que j'ai besoin, ce que je vais dire, et je vais parler à la personne concernée en réfléchissant d'abord. Ça m'évitera de crier, d'être confuse, mais ça donne à réfléchir sur les choses qu'on a trop tues et qu'il est temps de sortir. On n'est pas obligé d'humilier l'autre ou de l'agresser. Et on a tellement cette sensation et cette croyance que dire ce qu'on pense, ça va forcément aller au conflit. On préfère se tenir à l'écart et ne rien dire. Donc non, ça dégage beaucoup de choses positives, le spectacle. Et ça, ça me fait vraiment plaisir. Il y a des gens qui viennent plusieurs fois. Je n'en reviens pas. Il y a une femme, ça fait cinq fois qu'elle vient. Elle m'a tendue avec un bouquet de fleurs avec son mari. On me dit, voilà, c'est la cinquième fois. Je réécoute encore le texte et je vais revenir une sixième et une septième. Je trouve ça fou.
- Speaker #0
Oui, c'est génial. Mais c'est vrai que j'imagine qu'en plus, tu ne dois pas tout le temps mettre la même chose dedans. Donc, les personnages, ils doivent aussi évoluer. Donc, finalement, on ne doit jamais voir le même spectacle.
- Speaker #1
Ben si, parce que je bouge très peu de choses. J'ai rajouté un 16e personnage début janvier. Mais après, pour moi, c'est comme une pièce de théâtre. Je la garde assez intacte. Là, comme je pars sur une grosse année de saison de tournée, je vais peut-être modifier effectivement quelque chose. Mais c'est vraiment quelque chose qui reste assez dans le marbre, on va dire. Je bouge assez peu de choses.
- Speaker #0
Donc, ça veut vraiment dire que ça la retourne et qu'elle a besoin de laisser décanter un peu et de retourner. Oui,
- Speaker #1
et puis j'ai beaucoup de psy ou de psychiatre, de neurologue, de neuropsychiatre qui viennent et qui disent « on vous envoie des bus de patientelle » . Donc, je dis « écoutez, faisons le travail en équipe, moi tout me va » . Et ils veulent revenir une deuxième fois pour réécouter le texte à chaque fois.
- Speaker #0
Et tu y pensais, toi, quand tu écrivais, au fait que ça allait comme ça libérer un peu un tabou autour de la santé mentale ?
- Speaker #1
Alors, je ne pensais pas forcément à la santé mentale, mais oui, ça englobe ça, évidemment. Moi, j'avais qu'une envie, c'était faire du bien. Le premier spectacle, j'avais qu'une envie, c'était faire rire. Parce que quand on écrit un spectacle, on a envie de faire rire. En tout cas, dans l'humour, c'est l'objectif premier. Ce n'est plus du tout mon objectif aujourd'hui. Mon objectif, c'était de faire réfléchir et d'amener un sujet sur la table. Après, j'utilise le rire comme outil. C'est un outil comme un autre. La fin en soi, c'était de retourner un peu et de donner les clés aux gens d'une possibilité de parole.
- Speaker #0
Et tu abordes des sujets qui sont aussi extrêmement difficiles et lourds, puisque tu parles notamment de l'inceste, du génocide arménien. Et tu me disais juste avant que ça avait été très important pour toi de porter ces deux sujets sur scène. Est-ce que tu sens que ça fait du bien de libérer la parole autour de ces sujets, notamment de l'inceste ? Parce que, par exemple, j'ai pu recevoir ici des personnes qui participent à Libérer la Parole autour de ce sujet hyper important, qui, on le rappelle, concerne un enfant sur dix, et qui disaient qu'à chaque fois qu'elles ont pu prendre la parole sur le sujet, quelqu'un s'est rendu compte qu'en fait, il avait lui-même vécu l'inceste, par exemple.
- Speaker #1
Oui, parce que les chiffres sont faramineux. Moi, je n'ai pas vécu l'inceste. C'est une personne... très proche de moi qu'il a vécu. Moi, mon papa nous a beaucoup protégés. C'est ce que je dis dans le spectacle pour désamorcer tout de suite ce qui a été joué par un autre personnage. Et puis, en fait, moi, en grandissant, comme j'ai été confidente de beaucoup de gens, et puis à l'âge de 18 ans, je suis arrivée sur Paris, j'ai rencontré énormément de copains au cours Florent, à la fac, à la Sorbonne. Et en fait, j'ai beaucoup trop ce témoignage-là. Beaucoup trop. Je me suis dit, mais qu'est-ce que je fais de ce chiffre ? Alors, j'ai longtemps cru que je ne pouvais pas en parler, puisque pas légitime. En fait, je me suis dit, tu es légitime puisque tu as un micro. Donc, tu vas prendre la parole pour ceux qui ne l'ont plus. Et donc, on va faire ça. Je me suis dit, on va vraiment faire ça. Et donc, moi, je n'ai pas ouvert la voie. Il y a d'autres artistes comme Andréa Bescon ou d'autres qui l'ont fait de manière magistrale. Et à un moment où c'était vraiment inaudible et que personne ne voulait entendre ça, ça n'arrangeait personne. On était encore dans le divertissement pur. Il faut faire la fête, il faut payer 20 euros, un truc qui nous fait rire, voilà. Non, aujourd'hui, on a besoin d'être nourri, de parler de vraies choses. On a tellement d'informations que quand quelqu'un est enfin sincère, on fait « Ah, ok, merci, là, ça me fait du bien » . Moi, le spectacle craquage, ce n'est pas un spectacle sur l'inceste, c'est un spectacle sur le non-dit. Et très honnêtement, en 1h20, je ne me voyais pas ne pas traiter des sujets difficiles, violents ou inaudibles à un moment. Je ne pouvais pas juste parler des problèmes de secrétariat, enfin, il y a un moment. et donc comme c'est un sujet qui... trop proche de moi par mes proches, je me suis dit, non, je vais traiter ce sujet. Et le génocide arménien, c'est pareil. Là, pour le coup, c'est vraiment l'histoire de ma famille. Et donc, je me suis imposé ces deux thématiques avec les outils que j'ai maintenant d'écriture, de jeu et de rythme et de rire, où je me suis dit, tu vas te débrouiller pour le mettre dans le spectacle, que ce ne soit pas du tout un guet-apens pour le public. Ils ne sont pas là pour ça. Il faut que ce soit un moment où évidemment personne s'y attend, mais de toute façon on ne s'y attend pas non plus quand on a la nouvelle. Et le but c'est d'en rire pour pouvoir avoir les mots en sortant de la salle. Pour que moi j'ai 300 personnes chaque soir, et bien quand j'ai 300 personnes je sais qu'il y en a 30 dans la salle. Et il n'y a pas que des victimes, il y a des violeurs. Donc tous les soirs j'ai des violeurs dans la salle. Je ne sais pas qui c'est, on n'a pas de pancarte sur le front. Donc tous les soirs j'envoie le message de... à travers cette scène, attention, les gens parlent aujourd'hui et ils vont parler de plus en plus et de donner les armes c'est Boris Cyrulnik qui disait ça qu'en gros L'art, ça sert à ça. C'est que nous, en tant que public, on vient voir une peinture, on vient voir un film, on vient voir une scène de théâtre. Et quand on sort de la salle, on dit « Tu sais, quand elle a dit ça, toi, ça t'a ému. » Eh bien, en fait, je ne te l'ai jamais dit, mais je vis la même chose. Ah, OK. Donc, le but de l'œuvre, c'est d'avoir un déplacement et une distance qui fait que si toi, ma sœur, tu as été émue quand tu as vu ça, tu dois être émue pour moi aussi. Tu ne dois pas me traiter avec un air froid et glacial et ne plus me parler. et donc Il y a cette distance qui se crée et le film fait ça, les peintures font ça, les œuvres, la musique beaucoup, les paroles. Donc, c'est le but, c'est de donner des clés.
- Speaker #0
Mais tu vois, par exemple, pour revenir à ce que les gens qui t'écoutent peuvent se dire aussi, moi, ce que j'ai trouvé passionnant, et ça fait partie des raisons pour lesquelles je trouve que ton spectacle, il est très engagé, c'est que quand tu es sur la séquence de l'inceste, tu dis à un moment donné, on sent que la victime, s'inquiète de comment va être reçu ce qu'elle va dire. Et ça, je trouve que ça donne aussi beaucoup de clés pour les personnes qui vont écouter ça, entendre cette nouvelle-là, pour justement venir en soutien de la victime et ne pas ramener la situation à elles et à leurs émotions. Alors qu'on peut s'imaginer qu'effectivement, ça peut être hyper dur, parce que parfois dans des familles, quand c'est par exemple le grand-père qui est incestueux, en général, il va avoir une victime dans la famille. Ce qui fait que les autres personnes, elles ont vraiment connu Papy Gâteau, etc. Et donc, c'est dur de casser cette image-là.
- Speaker #1
Bien sûr, ça casse un mythe. Ça n'arrange personne. Qu'est-ce qu'on va faire le dimanche maintenant, si on ne peut plus se réunir ? C'est un peu chiant. C'était bien le barbecue. J'ai toutes sortes de retours, plus ou moins proches d'histoire. Il y a des gens qui parlent. Le grand-père est mis à nu et puis il est toujours au repas de famille, mais au bout de la table. Et puis c'est lui qui se tait maintenant, qui ne parle plus et qui se muselle lui-même, puisque tout le monde sait maintenant. Donc chacun protège ses petits-enfants. Et j'entends ce genre d'histoire aussi. J'ai aussi des amis qui ont vécu l'inceste de par les proches ou le voisinage et qui se disent à 35-40 ans minces. Aujourd'hui, je n'ai pas d'enfant, mais j'ai des neveux et nièces. Et cette personne est proche encore de mes neveux et nièces. Et il est hors de question. Moi, je n'ai pas osé parler pour moi. Par contre, pour eux, je ne peux plus me taire. Et souvent, ça sort comme ça. Et là, ça donne d'autres choses aussi.
- Speaker #0
C'est bien parce que tu aides aussi la honte à changer de camp finalement.
- Speaker #1
Oui, alors j'ai l'impression d'être précurseur de rien. Très honnêtement, je suis une mouvance qui est déjà présente. Mais à travers ma thématique, je ne me voyais pas passer au travers de ce sujet. En tout cas, pour moi, aujourd'hui, je me sens forte et les armes pour parler et défendre ça et donner des clés aux gens.
- Speaker #0
Et tu penses qu'aujourd'hui, les gens sont plus armés pour recevoir ce type de témoignages ? Toi, par exemple, la première fois que tu as reçu ce témoignage-là, est-ce que tu penses que tu as peut-être moins bien réagi que ce que tu réagirais aujourd'hui avec toutes les connaissances que tu as accumulées ?
- Speaker #1
Oui, c'est sûr qu'au début, on n'a pas les mots. En fait, on n'a pas vécu, donc on ne sait pas à quel point c'est un traumatique. On écoute. Moi, typiquement dans la scène, je recense que ce soit des flashs ou des choses. C'est beaucoup de mots que j'ai entendus de la part de mes amis qui ont vécu ça. Donc, moi, j'ai essayé d'accueillir avec beaucoup d'écoute, d'amour, de je serai toujours là. Si tu as besoin, je n'en parlerai à personne. Si tu veux que je n'en parle pas, évidemment. Mais est-ce que tu as déjà essayé d'en parler avec une psy, avec un étudiante médecin ? Trouve un accompagnement. C'est tout de suite, aujourd'hui, plus les années passent, plus c'est tout de suite, il faut trouver un accompagnement parce que la parole s'est libérée puisqu'elle l'a dit une fois. Et donc, on ne peut plus garder ça pour soi. Et il faut absolument en parler à un professionnel qui, lui, a les mots, a l'endroit de sécurité absolue pour que ces mots ne soient jamais divulgués. Trouver les armes, digérer ce qui s'est passé, comprendre où est-ce qu'on a un endroit pour agir.
- Speaker #0
Ce n'est jamais fini. Même quand le parent qui a violé et qui est décédé, l'enfant qui est toujours vivant n'a aucune raison de se dire je ne peux plus rien faire, c'est fini, n'en parlons plus. Bah non, il y a encore une vie à sauver puisqu'on est toujours là. Donc il y a toujours quelque chose à faire pour passer une journée meilleure.
- Speaker #1
Bien sûr. Et tu dis aussi, quand tu parles du génocide arménien, j'ai trouvé que c'était un clin d'œil qui était super intéressant. tu rapportes le... Ça au moins je peux te le raconter parce que c'est tellement triste que je sais que tu ne le mettras pas dans ton spectacle.
- Speaker #0
Oui, c'est ma grand-mère qui dit ce qui est bien quand je te raconte des choses pas drôles, c'est que je te jure que tu ne le mettras jamais dans ton spectacle. Donc oui, effectivement, c'est pour désamorcer un long passage un peu difficile sur l'histoire pure de ce qui s'est passé. Et forcément, ça fait rire en ce moment-là parce qu'on se dit, ah oui, effectivement. Elle a bien fait. Voilà, ce que je voulais, bon, c'est pas une phrase que ma grand-mère m'a dite, mais c'est typiquement ce que moi, je rajoute en poésie ou en choses où je me dis, j'ai besoin de cette vanne, entre guillemets, qui n'en est pas une, mais qui a un moment de respiration pour dire au public, sachez que ce n'est pas un gouffre raté, c'est extrêmement voulu, ce moment sans rire. Ah ok, d'accord, on est tous ensemble, on continue. Donc, c'est juste pour dire ça en sous-texte. Et on repart et on continue. Et ça se maîtrise, quoi.
- Speaker #1
Et tu as été confrontée ou parce que tu disais que tu t'étais beaucoup inspirée de personnes de ton entourage et de ce qu'elles ont pu vivre. Comment reçoivent ces gens qui vont voir ton spectacle et qui se reconnaissent finalement sur scène ?
- Speaker #0
Alors, j'ai des proches et des moins proches. J'ai beaucoup de belles mères dans mon spectacle, là, cette année. Oh là là ! C'est du côté de ma famille, ma belle famille. Donc non, ça va, elles sont très émues. Elles rigolent de leurs propres failles. Et c'est ça que j'aime, c'est mettre en lumière les failles de l'humain. Et surtout, c'est des mises en lumière absolues, des mises à l'honneur. J'ai envie de mettre à l'honneur ces femmes. Des endroits où j'ai vu qu'elles ont souffert, où elles n'ont pas été entendues. Ou alors où elles s'amusent à donner des leçons, alors qu'en fait, elles sont elles-mêmes plongées dans une solitude qu'elles ne se rendent même pas compte. Donc du coup, je mets ça en miroir. Donc elles viennent voir, je me dis, ah oui, c'est vrai qu'elles se reconnaissent. temps, je pense que c'est difficile d'accepter que c'est vraiment soi, puisque c'est joué par moi, dit par quelqu'un. C'est un peu théâtralisé. Mais oui, j'ai pas mal de gens de mon entourage qui viennent. Et puis, ils sont contents, ils reviennent, ils sont émus. Souvent, ils sont émus.
- Speaker #1
Et ce que j'adore, moi, c'est que tu finis finalement ton spectacle de manière un peu émouvante. Et tu dis craquer, finalement, c'est peut-être juste ça. C'est parler avant les regrets. Parler avant qu'on oublie.
- Speaker #0
Parler.
- Speaker #1
En fait, je trouve que c'est vraiment une invitation à se reconnecter à ses émotions.
- Speaker #0
Oui, c'est vrai. C'est presque les premiers mots que j'ai écrits en écrivant ce spectacle. Au début, je me suis dit « Attends, pourquoi tu as envie de parler de ça ? » Et ces trois phrases dans le final, il y en a encore deux, trois autres derrière, je les ai vraiment écrites d'une traite, au tout début. Et après, j'ai eu six mois d'écriture pure. Et en fait, je me suis dit « Mais où se bloque au début, au milieu ? » Et puis en fait, je me suis dit « Mais c'est la fin, c'est la conclusion. » Et donc oui, c'est ça, c'est une invitation à dire, mais en fait, on a la vie qu'on souhaite avoir avec cette parole-là et on peut la voir, on peut parler. Moi, je me disais souvent, quand on veut, on peut. C'est le truc, je me disais petite. Et plus les années passent, plus je vois, moi, la chance que j'ai d'avoir eu ces parents-là, de grandir dans ce pays-là, avec ces droits-là. Je me dis, non, en fait, quand on veut, on peut. Oui, certainement, mais est-ce qu'on peut vraiment, parfois ? Donc non, ayons un peu plus d'indulgence et de douceur envers les autres. Et des fois, on n'a pas eu, comme on dit, les mêmes cartes au départ. Et il y en a qui n'ont pas tous, on n'a pas tous les mêmes armes en tant qu'adultes pour sortir les mots.
- Speaker #1
Et juste avant, tu viens de dire j'avais envie de mettre ces femmes en lumière. Tu trouves que c'est surtout les femmes qui sont un peu muselées et qu'on n'autorise pas finalement à avoir des émotions, qu'on attend plus des femmes d'être un peu des automates qui ressentent. jamais les choses vraiment intensément et dès qu'elles le font, on les traite un peu d'hystérique. Tu trouves que c'est...
- Speaker #0
Non, les deux. Je joue aussi beaucoup d'hommes dans le spectacle. La phrase que tu viens de dire, c'est la même pour les hommes. On leur demande d'être des automates, sans émotions. Et puis si d'un coup, ils vrillent, on se dit, tu vois, il ne tient pas très bien son foyer. C'est presque quelqu'un de violent, ça dégage. Non, je pense qu'on est tous maintenus à ce truc-là. Parle pas parce que tu fais tâche. Un homme, ça aurait trop d'émotions, c'est un peu chiant. Une femme, si elle en a trop, elle rentre dans son cliché, c'est insupportable. Et puis, si on ne parle pas, ça explose. Et quand ça explose, ça embête tout le monde, homme ou femme. Donc non, je pense que malheureusement, oui, nous, on est très vite traités d'hystériques. Bon, ça commence à être une vanne maintenant. Malheureusement, moi qui ai pris le temps d'observer les deux pour ce sujet-là,
- Speaker #1
on est tous pareils.
- Speaker #0
Eux, ils ont une espèce de masque social où ils sont un peu plus épargnés, mais malheureusement, pas tant. Pas tant. Parce que la compensation, elle est pareille, si ce n'est plus violente. Nous, quand on perd un job, on ne va pas vers l'envie du suicide tout de suite. Ce qui est le cas pour les hommes. Ils sont vraiment collés à leur valeur professionnelle. Qu'est-ce qu'ils incarnent professionnellement ? Eux sont presque persuadés que c'est ce qu'ils ont comme valeur totale dans la société. Bon, pareil, ça commence un peu à évoluer là-dessus. Les nouvelles générations, elles changent vite de job, elles ne se cantonnent pas à un poste. Mais waouh, de dire non, nous on va rebondir plus vite et on sait très bien que ce n'est pas ça qui va faire une vie complète. Et eux, ils ne peuvent rien dire. Pendant des semaines et des mois, ça fait six mois qu'ils n'ont plus de job et puis en fait ils partent, ils disparaissent. Mais juste pour ça ? Non, si t'en supplie, fais pas ça. Parce qu'on leur a dit, ne parle pas et tu dois être cet homme fort qui gagne beaucoup d'argent et qui protège son foyer. Donc non, personne n'est épargné.
- Speaker #1
Je te remercie beaucoup Marion.
- Speaker #0
Merci.
- Speaker #1
J'ai adoré discuter avec toi de ton spectacle. Je vous invite encore une fois à aller le voir pour réfléchir et pour saisir cette invitation à la vulnérabilité et à la communication. Et merci pour ces deux bons moments que tu m'as procurés cette semaine en visionnant ton spectacle et en discutant avec toi.
- Speaker #0
Avec plaisir, c'était la Ciproque. À bientôt. À bientôt.
- Speaker #1
Voilà, le moment est venu de se quitter. J'espère que vous avez apprécié cet épisode. Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour découvrir un nouvel invité, un nouveau parcours et se faire embarquer dans un nouveau virage. En attendant, prenez soin de vous et bonne semaine !