- Anne
Alors, le wax est très, très particulier puisqu'à son origine, c'est bien sûr, déjà le contexte est très, très fort puisque c'est un tissu de l'impérialisme. Donc ça, on ne peut vraiment pas le nier et c'est vraiment dans ma démarche qu'on parle du wax, qu'on parle de tout autre tissu. Présenter des faits, présenter vraiment la réalité et ne pas essayer de raconter une autre histoire. Donc le wax, oui, c'est un produit de l'impérialisme. C'est un tissu qui se développe à la toute fin du 19e siècle et qui va être fabriqué en Europe pour les marchés africains. À un moment en plus où l'Europe a vraiment des moyens de contraindre ou en tout cas d'orienter les populations vers un type de consommation particulière de produits manufacturés en Europe.
- Ramata
Bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast Africa Fashion Tour. Je vous emmène avec moi à la rencontre de créateurs basés sur le continent africain. Je vous invite à voyager à Abidjan, Dakar ou Bamako pour découvrir les parcours de professionnels talentueux, responsables et ambitieux. Au fil des interviews, je me rends compte que chaque entrepreneur veut contribuer au rayonnement de la créativité africaine sur le continent et au-delà. Ce podcast est un moyen de sortir des clichés du boubou et du wax un éventail de tissus, de savoir-faire et de créativité, trop souvent sous-représentés. Je suis Ramata Diallo. Je suis professeure de marketing dans des écoles de mode parisiennes et je suis également consultante spécialisée dans l'accompagnement de porteurs de projets qui veulent lancer leur marque de mode. En 2017, j'ai accepté ma première Fashion Week en Afrique. Et depuis, je voyage régulièrement sur le continent pour aller à la rencontre de ceux et celles qui font la mode en Afrique. Le podcast est le moyen que j'ai trouvé pour... partager au plus grand nombre une autre vision de la mode africaine. Aujourd'hui, je suis en compagnie d'Anne Groffinier. Anne est docteur en anthropologie spécialisée dans le textile et la mode en Afrique. Elle est également consultante pour des entreprises et des créateurs. En tant que commissaire d'exposition, elle participe régulièrement à des projets d'envergure internationale liés aux industries culturelles et créatives africaines. Je l'ai invitée aujourd'hui pour qu'elle puisse nous parler de son parcours, de sa thèse. et de son actualité. Bienvenue Anne, comment allez-vous ?
- Anne
Bonjour, ça va très bien, merci. Alors,
- Ramata
je vous ai invitée aujourd'hui, comme je le disais, pour pouvoir parler de votre parcours et de votre thèse. Donc, avant de commencer cet échange, je vais faire un petit peu comme je le fais avec chacun de mes invités, je vais vous demander de vous présenter.
- Anne
Donc, je m'appelle Anne Groschillier, je suis anthropologue et je suis aussi... compagne et maman, donc compagne de Claude Bolli, qui est historien et qui est aussi d'origine ivoirienne. Je parle de lui parce qu'on fait un projet ensemble qui s'appelle CulturePipe, et nous avons deux enfants, Clément et Thomas. Je pense que à la fois mon étiquette d'anthropologue, on va dire, et de maman se complètent parce que ça montre un certain engagement. C'est-à-dire que je n'ai pas seulement une appréhension théorique, on va dire scientifique, des textiles africains et des cultures africaines en général, mais j'ai aussi cette responsabilité en tant qu'afro-ascendante, j'ai envie de dire, en tant que maman de mes kids, de dire comment je vais aborder l'Afrique vis-à-vis de mes enfants, qu'est-ce que j'aimerais leur transmettre aussi. Pour moi, aujourd'hui, parler de l'Afrique, c'est forcément aussi parler des relations entre l'Europe et l'Afrique.
- Ramata
Alors, ce que j'aimerais, c'est que vous puissiez nous expliquer un petit peu ce qu'est le métier d'anthropologue, pour qu'on comprenne bien. Vous avez pris le temps un petit peu dans cette introduction de vraiment nous partager la nature de votre engagement, qui est lié aussi à votre histoire personnelle. Maintenant, ce qui sera intéressant, c'est de comprendre, voilà, c'est quoi le métier d'anthropologue ? Quelles sont vos différentes missions, en fait ?
- Anne
Alors, l'anthropologie, parfois on parle aussi d'échnologie, moi je préfère être anthropologue. C'est-à-dire que j'ai pris le textile comme objet d'étude pour comprendre les différentes cultures. Et en fait, moi je n'ai pas une approche très exotisante, si on peut dire. C'est-à-dire que moi, quand je vais sur les terrains faire de la recherche en Afrique, Ce qui m'intéresse, ce n'est pas ce qui est exotique, mais c'est justement de se dire qu'est-ce qu'on a en commun ? Et on a en commun le fait de s'habiller, de s'exprimer par rapport au textile, le fait de transmettre quelque chose dans des savoir-faire, dans des transmissions de gestes, etc. Et donc, c'est tout ce qui nous relie, en fait, qui m'intéresse. Et le textile permet de dire beaucoup de choses, déjà parce que c'est une enveloppe du corps, une façon de s'exprimer. Et puis aussi, si vous regardez, on parle souvent, si vous regardez dans le dictionnaire, vous verrez que... Le textile, en fait, c'est l'origine du texte. Si vous regardez l'étymologie du mot texte vous verrez qu'il vient de textile Concrètement, ça veut dire que le textile, c'est la première écriture de l'humanité. C'est vraiment la mémoire des peuples. Et donc, souvent, on parle de société africaine en disant que l'écriture arrive assez tardivement. Et moi, je dis au contraire que... il y a eu une autre forme d'écriture qui est passée par tous les motifs qui ont été à la fois portés sur les vêtements, mais aussi par les bijoux, aussi par des scarifications, des tatouages, etc. Et c'est ça qui m'intéressait, c'est lire ensemble cette histoire qui a été écrite aussi d'une manière commune avec d'autres parties du monde, donc que ce soit l'Europe, mais aussi l'Asie, arrive très tôt notamment. avec la partie de l'océan Indien de l'Afrique de l'Est, et puis aussi des relations avec le continent américain.
- Ramata
Très bien. Je sais que vous avez écrit différents ouvrages, justement, pour finalement traduire toutes les recherches que vous avez pu faire. Est-ce que vous pouvez nous parler, du coup, de cet aspect, en fait, autrice, écriture, et pourquoi est-ce qu'à un moment donné, quand on est en thèse de doctorat, à un moment donné, effectivement, il y a cette... thèse qui peut faire l'objet d'un livre, mais on peut connaître plusieurs parutions d'Anne Rofillet. Donc, est-ce que vous pouvez nous parler aussi de cette casquette-là d'autrice, en fait ?
- Anne
Alors, mon premier ouvrage est de 2004, il s'appelle La frite des textiles aux éditions Éditions. Il raconte un petit peu toutes les thématiques développées pendant ma thèse. Et si vous consultez cet ouvrage, vous verrez qu'effectivement c'est Ce que j'entends par utiliser le textile comme un prisme pour comprendre les sociétés, c'est-à-dire que quand on va parler du beau Golan, on va parler de l'identité, on va aussi parler de l'écologie avec ses pigments d'origine naturelle, les enjeux des femmes aussi vis-à-vis de la teinture chimique où là il y a d'autres problèmes d'environnement. Ces femmes qui vont travailler dans les cours d'habitation, comment elles apprennent auprès d'une parente, d'une voisine, etc. L'influence politique, par exemple, avec le tissage et l'action très rapide et qui a eu un impact très durable de Thomas Sankara. Donc, au-delà des gestes, même des savoir-faire, de la valeur du travail, c'est vraiment tout ce qu'on peut découvrir des aspects des sociétés africaines. Et alors, il y a un chapitre sur le wax dans... dans l'Afrique des textiles. Après, j'ai écrit plusieurs livres vraiment consacrés au wax, dont un pour enfants qui s'appelle L'Abbé Cédère du Wax. Et puis, Wax & Co, qui a été traduit en... Donc, je l'ai écrit en français, il a été traduit en anglais, en italien, en japonais. Et puis, Wax 500 tissus. Et alors, pour revenir un peu à mon histoire personnelle, il faut savoir que j'ai commencé à travailler sur les textiles africains par le biais du wax. Et ce qui m'a intéressée, c'est... quand j'ai découvert à l'adolescence, en fait, que le wax était fabriqué en Europe pour les marchés africains, alors que pour moi, c'était un tissu africain. Et donc, la première démarche, c'était de travailler sur ces rapports Europe-Afrique par le biais du textile et par le biais de ce wax. Et donc, je suis partie en Angleterre, où j'ai vécu pendant dix ans, puisqu'il y avait une usine à l'époque dans la région de Manchester. Et... Et ce qui me surprenait, c'était en fait, je trouvais très paradoxal, le fait que des femmes immigrées, d'origine nigériane ou ghanéenne, portent du wax fait localement, en Angleterre, pour exprimer leur africanité. Et je trouvais qu'il y avait une espèce de schizophrénie, presque, à porter un tissu fabriqué à Manchester, pour dire à Manchester qu'on venait d'ailleurs. Et elle m'a dit, oui, on ne le voit pas. Tout à fait comme ça, mais surtout, ce n'est pas parce qu'aujourd'hui tu nous vois porter du wax qu'on a abandonné aussi nos tissages, nos adhérés, les tissus Tindigo par exemple, par les Yoruba du Nigeria. Et ils ont dit... te concentre uniquement sur le wax, tu vas rater énormément de ce que j'ai appelé plus tard les paysages textiles africains. Et donc j'ai postulé, j'ai eu une allocation de recherche du CNLS qui m'a permis de partir sur le terrain pendant trois années dans cinq pays différents, anglophones et francophones, du Sahel et du Golfe et du Guinée. Donc le Mali, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Burkina Faso et... le Togo. Et là, j'ai vraiment travaillé énormément aussi, en complément, parce que j'avais déjà fait un gros travail sur le wax, en complément, sur tous les savoir-faire artisanaux. Et c'est là aussi que j'ai découvert la haute couture africaine, c'est-à-dire les créateurs de mode, qui étaient à l'époque, puisque je parle des années 1990, qui étaient vraiment pas connus du tout en Europe. Et pour moi, ça a été une révélation. La façon dont ces créateurs changeaient complètement le rapport au textile et le rapport au corps. C'est-à-dire avec leurs coups de ciseaux, on changeait de vêtements drapés, c'était plus la quantité de tissu qui allait parler du prestige de la personne, mais on pouvait avoir des vêtements très ajustés. Et puis le fait aussi d'oser découper des peignes qui traditionnellement avaient une intégrité et devaient être portées drapées. Donc tout ça, ça a été une révélation et j'ai essayé de faire un chapitre par chaque révélation, on va dire, tout ce que les tissus m'ont apporté, tous ces savoir-faire, toutes les cultures aussi différentes, et avoir vraiment restitué une impression de pluralité de l'Afrique. Parce qu'il y a toujours ce côté un peu... homogènes ou, comment dire, qui généralisent, que je trouve très néfastes, et je voulais vraiment insister sur la particularité de chaque peuple, et comme je dis aussi, entre le Sahel et la côte, ce n'est pas du tout les mêmes cultures, donc même à l'échelle d'un même pays, et je trouvais intéressant d'avoir une analyse vraiment finesse pour donner la parole à chacun.
- Ramata
Très intéressant. Et du coup, je sais que là, vous êtes sur un projet qui s'appelle Culture Pagne, qui pour moi m'a l'air d'être une continuité du travail que vous avez déjà entrepris, un peu de cartographier les tissus d'Afrique, en associant bien une région, un patrimoine à un savoir-faire. Est-ce que vous pouvez nous parler de cette initiative ?
- Anne
Alors ce projet Culture Pagne, Pagne, qui est en fait soutenu par la Maison de l'Afrique et très récent, on est en train de le lancer et c'est une idée qui a germé à Abidjan dans un taxi l'année dernière. J'étais invitée par la Maison de l'Afrique dans le cadre du festival Abidjan Pagne et j'ai donné une conférence et donc le directeur de la Maison de l'Afrique, Youssouf Ausha ainsi que Ambre Delcroix ont apprécié ma présentation. Et puis ils se sont dit, c'est dommage qu'il y ait eu, je ne sais pas s'il y avait 50 ou 100 personnes, mais ce que tu as raconté, ça pourrait intéresser d'autres gens et ce serait peut-être pas mal de faire quelque chose en ligne pour que ce soit accessible à un plus grand nombre, où qu'il soit dans le monde. Et donc on est parti sur cette réflexion. Au début, on voulait faire un podcast, donc quelque chose d'audio. Et puis, il se trouve qu'au fur et à mesure de mes voyages, j'ai collecté beaucoup de tissus. J'ai aussi des métiers à tisser. J'ai tous les outils. Quand je parle de batik, j'ai des tampons pour le batik. Quand je parle de tissage, j'ai des métiers à tisser. Et en fait, ce n'est pas dans un esprit de collectionneur, mais c'est plus un esprit de preuve. J'ai envie d'avoir des objets parce que malheureusement, ça fait plus de 30 ans que je... travaille sur ces sujets-là et il y a beaucoup de choses qui ont disparu par manque de valorisation de ces savoir-faire. Donc il y a des tissus dont le processus a été, on va dire, mécanisé ou remplacé. Par exemple, les adinkras du Ghana, avant ils étaient imprimés avec des petits tampons en calbasse. Maintenant, c'est un travail par sérigraphie qui est beaucoup plus rapide. Et donc moi, j'ai tous ces outils d'origine, on va dire. Et donc j'ai dit, on va commencer par faire des films. Et donc j'ai contacté Lisa Cruz, avec qui par ailleurs je fais d'autres films. C'est une réalisatrice métisse dont le papa est originaire du Cap-Vert. Et puis elle a aussi beaucoup vécu en Guadeloupe. Donc elle avait cette approche aussi très intéressante et très sensible au niveau de ce qu'on transmet, le discours que l'on tient aussi. Et donc l'idée, c'est d'avoir une quinzaine d'épisodes, on en a déjà monté trois. On est actuellement à la recherche de financement pour continuer. Donc on parle du tissage, on parle de la dinkra que je viens d'évoquer, des toiles d'abomé pour parler de la représentation de la roi et les représentations de l'histoire à travers le textile. On va parler du beau gauland, on va parler de la teinture chimique, on va parler du wax, des créateurs de mode et puis aussi des perles et des parures parce que ça aussi c'est un élément. complète le vêtement et puis aussi qui continue à raconter cette histoire entre l'Europe et l'Afrique. Et l'idée, la première, c'est bien sûr de présenter ces techniques, ces savoir-faire, ces peuples, cette diversité du continent. Et puis aussi, c'est cette question de qu'est-ce qu'on transmet aux jeunes générations, aux diasporas aussi, qui sont de plus en plus à la recherche de... d'une valorisation de leur culture et qui n'ont pas forcément les outils ou les supports pour avoir les bonnes informations. Donc, il y a notre fils Thomas, c'est une vidéo que j'anime avec Claude, qui apporte des informations en tant qu'historien contemporain. Et puis, André Delcroix pose des questions de journaliste, un peu des questions au nom des diasporas, j'ai envie de dire. Et puis Thomas, qui a 15 ans, qui est encore assez espiègle, qui pose des questions un peu de jeune, j'ai envie de dire, avec ses mots, avec un peu d'humour aussi, pour dire Ouais, ça m'intéresse, mais finalement, je ne sais pas grand-chose, j'ai envie de savoir pourquoi ils ont fait ça. Ah bon, le tissage, il y a un rapport avec l'islam, les couleurs, ça vient d'où, dans les tissus ? Ah bon ? et on espère justement toucher un grand public. Pour moi, ce serait intéressant, le pari serait réussi si on voyait qu'il y avait un augment des jeunes. Parce que je vous dis, je pense que c'est ça, il y a à la fois aujourd'hui, j'ai un autre fils, Clément, à 18 ans, il y a à la fois cette fierté identitaire et en même temps, parfois ce manque de ressources qui soit adapté à eux, quelque chose qui leur parle directement.
- Ramata
Effectivement, on comprend bien la démarche qui traduit une volonté de changer un narratif et aussi d'apporter du contenu de qualité, que ce soit à travers vos écrits et également à travers ce projet de film. Il y a vraiment une volonté de laisser une trace et puis d'inscrire, on va dire, le textile dans quelque chose de durable. à l'ère où, quelque part, on est sur les réseaux sociaux avec de l'accélération de contenus rapides, consommables rapidement et à peine consommés, aussitôt oubliés. Quelle est pour vous, en fait, l'importance, finalement, de créer des contenus durables, en fait, par rapport à la transmission d'informations ?
- Anne
En fait, à chaque fois que je fais des entretiens avec des artisans, j'ai cette espèce de responsabilité de dire, imagine... Je vais leur donner de la visibilité, je vais les rendre audibles. Donc, c'est vraiment ça. C'est de se dire, je donne l'exemple dans la frite des textiles avec une dame qui m'a vraiment bouleversée, qui se brode des basins. C'est une dame, Sarah Pauline Soninke. Et en fait, c'est un énorme travail où on brode le tissu pour ensuite le teindre. Et après, avec une lame de rasoir, on enlève toutes ces petites broderies et c'est ça qui va faire le décor qui va être très, très délicat. et elle faisait un travail remarquable et elle m'a dit oui mais ça prend tellement de temps que je n'arrive pas à en vivre et donc elle vendait des médicaments de contrefaçon qui arrivaient d'Asie et elle dit en fait je vends des médicaments sur le marché qui sont souvent plus du Doliprune que du Doliprane et en fait ce savoir-faire d'exception qu'elle avait elle le faisait la nuit elle est vraiment à la lumière d'une... d'un petit éclairage de lampadaire et je trouvais ça vraiment terrible. Je n'ai jamais eu d'entreprise commerciale, mais ce que j'aimerais, c'est sensibiliser les gens à la valeur de ce travail et qu'ils deviennent vraiment ce qu'on appelle des consomacteurs, c'est-à-dire qu'ils soient à la recherche de ces vrais tissus qui ont de la qualité et qu'ils comprennent pourquoi ils ont un certain prix. C'est parce que derrière, il y a des heures de travail, il y a des heures de transmission aussi. Et j'aimerais aussi éveiller peut-être des institutions comme... comme l'UNESCO, comme d'autres, et de dire qu'il y a déjà tout un travail de collecte qui a été fait, maintenant continuez-le, et puis aussi apportez votre soutien à tout ce qui peut être fait de manière pédagogique pour installer des écoles, que ce soit de broderie, de tissage, qui est de véritables débouchés pour que les artisans puissent vivre décemment de ce travail, parce que sinon, c'est... ça tend à disparaître. Et même dans le cas du wax, par exemple, la plupart des usines que j'ai visitées ont fermé. Aujourd'hui, il n'y a plus que l'usine Uniwax qui continue à produire du wax en Afrique de l'Ouest. Les autres ont fermé. Toutes les usines qui ont été créées à partir des indépendances, donc après 1960, mais c'était plutôt autour des années 70 qu'elles se sont développées, ont fermé. suite à la dévaluation du franc CFA et puis après à l'ouverture en 2005 de l'ouverture des frontières. Aujourd'hui, 96% de ce qu'on considère comme un tissu africain, l'African print, en Afrique, 96% vient d'Asie. Et aujourd'hui, on a des copies de Bogolan imprimés, on a des copies de Kente et les afrodescendants souvent... portent ça sur des t-shirts assez fièrement. Et pour moi, c'est assez triste parce que finalement, eux, ils contribuent à enrichir, à célébrer des entreprises asiatiques qui ont en fait engendré la faillite d'usines africaines et qui ont mis des gens au chômage de manière durable. Donc, c'est vraiment un éveil des consciences de dire attention, quand vous portez quelque chose, est-ce que c'est africain ou est-ce que ça fait juste africain ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Où est l'impact ? Est-ce que ce n'est pas mieux d'acheter moins, mais plus cher et à des vrais artisans, plutôt que juste quelque chose où il y a une carte d'Afrique ou bien où il y a un dessin de Kante, mais qui n'a pas été véritablement réalisé par des artisans locaux ?
- Ramata
Pour ceux qui… Alors, je pense que dans l'audience, en fait, je vais avoir des personnes où quand on en parle de… tissus imprimés et de KMT qui vont tout à fait voir la différence et d'autres potentiellement qui ne voient pas la différence et du coup qui peuvent assez naïvement acheter un tissu imprimé sans savoir tout l'impact. Est-ce que vous pourriez, puisque vous évoquiez tout à l'heure le fait que vous aviez des métiers à tisser, est-ce que vous pourriez expliquer en fait la technique de fabrication du KMT par rapport à ces copies chinoises pour montrer à quel point c'est... Ça n'a rien à voir, en fait.
- Anne
Alors, en fait, les pads africains, surtout en Afrique de l'Ouest, ils sont faits en petites bandes de 10 cm qui sont ensuite assemblées bord à bord pour former un grand tissu. Et donc, il y a toujours cette espèce de relief à l'assemblage des bandes où parfois ce n'est pas très bien assemblé, etc. Et donc, de plus en plus d'imitations asiatiques font des grands tissus qui peuvent être soit imprimés, donc là on le voit parce qu'il y a un motif qui est imprimé, plus d'un seul côté du tissu, soit qui sont tissés de manière industrielle. Et donc, il n'y a plus ces raccords, il n'y a plus cette irrégularité. Et donc, on se dit que c'est plus simple, c'est plus léger aussi parce qu'un pagne traditionnel, artisanal, est souvent beaucoup plus lourd, beaucoup plus épais. Et donc, quelque part, le travail artisanal, on voit qu'il y a le geste de la main. Il y a ce qu'on appelle dans le wax aussi des parfaites imperfections. C'est-à-dire qu'on voit qu'il peut y avoir un changement de couleur de fil, il peut y avoir une épaisseur. Quelque part, il y a une lame dans le tissu. Et dans quelque chose de purement industriel, il va y avoir justement un côté trop... trop lisses, trop nettes, où il n'y a plus d'âme, puisque c'est l'usine qui a produit. Et souvent, quand c'est fait en Asie, en plus, ils ne connaissent pas forcément les codes ou la signification de ce qu'ils ont reproduit. Donc, le seul intérêt pour eux de le reproduire, c'est de le faire à un coût bien plus inférieur pour que ce soit accessible à plus de gens.
- Ramata
C'est une démarche qui est complètement capitaliste et pas du tout... de transmission de savoir-faire ou finalement de respect de tradition, de coutume ou du séusage d'un pays ou d'un village. On identifie un marché, on identifie un client et on va faire l'équation de à quel prix est-ce qu'on peut vendre le maximum de quantité.
- Anne
Exactement. Après, le problème, c'est que ces imitations, elles sont aussi vendues sur les marchés africains. Donc parfois, on me dit Ah oui, mais c'est africain parce que je l'ai acheté en Afrique. Et je dis non. C'est comme si on achète une bouteille de, comme je disais, une boîte de Doliprune. Il ne sera pas plus africain parce que vous l'avez acheté sur un marché de Bamako. Ou une bouteille de Coca-Cola, elle ne sera pas plus ivoirienne. C'est la même chose. Le fait d'avoir acheté quelque chose sur un marché d'Akra, de Lagos ou de Dakar ne va pas la rendre plus africaine. Donc il y a cette confusion aussi qui fait que si on l'a trouvé sur un marché africain, on se dit que ça a contribué quand même à faire vivre la dame qui a vendu. Je dis oui, mais quand vous achetez un tissage, il y a derrière le producteur de coton, Il y a derrière les femmes qui ont filé, par exemple dans le cas du beau gauland, les hommes qui ont tissé. Puis après tout ce travail de collecte des feuilles, de la boue, le travail du dessin. Donc c'est toute une filière, une chaîne de valeurs. On fait vivre des familles et puis on garde du sens dans toutes les étapes. Donc ce n'est pas du tout la même façon qu'après acheter un beau gauland synthétique, comme on en voit beaucoup. aujourd'hui, qui sont plus légers, où on dit, oui, mais ça veut dire quelque chose, parce que c'est quand même les mêmes motifs. Ben non, l'impact n'est pas du tout le même. Et puis surtout, à trop valoriser ces beaux-goulants imprimés, synthétiques, etc., eh ben, on perd complètement, on condamne petit à petit les artisans du vrai beaux-goulants à disparaître, parce que leur travail n'est pas valorisé, le prix n'est pas mis pour acheter les mêmes. l'objet authentique.
- Ramata
Et j'ai entendu qu'il y avait des initiatives de labellisation de certains, justement, de certaines techniques telles que ça pourrait être le bogolan, le lépi, le kente, de manière à justement permettre d'identifier le savoir-faire, la technique, et qu'à un moment donné, on puisse plus facilement faire la différence parce qu'à un moment, vous avez le label qui donne une forme de certification. Qu'est-ce que vous pensez de ces initiatives ?
- Anne
Oui, c'est le cas aussi pour le Danfani, les tissages de femmes, de coopératives de femmes au Burkina Faso. Bien sûr que ces initiatives sont très louables, mais malheureusement, je pense qu'elles peuvent être détournées aussi. Et puis après, le fait que le vêtement, par exemple le tissu, puisse être découpé, cousu, soit en tunique traditionnelle, soit dans un vêtement plus de créateur. Il n'y a plus le label qui apparaît, donc il y a un moment où la traçabilité se perd en fait. Donc c'est une démarche très importante, mais qui ne garantit pas l'infaillibilité et l'entrée de la copie sur le marché. Donc je pense que c'est vraiment l'éducation qui doit apprendre à toucher, parce que quand même quand on voit un tissu, même... même une imitation tissée, on voit très bien quand c'est l'original et quand c'est la copie. Donc pour moi, ça fait partie aussi de choses qu'on devrait apprendre à l'école, comme on apprend je ne sais pas, l'architecture, le patrimoine d'un pays. Apprendre aussi l'histoire de ces textiles, parce que comme je vous disais, c'est une partie de l'écriture de son texte, des premiers signes, et qu'est-ce qu'il y a là-dedans ? C'est le symbole de quoi ça, qu'est-ce que ça veut dire, etc. Pour moi, il y a une véritable pédagogie à mener, plus qu'une protection de la bélisation.
- Ramata
Très bien, du coup, on va en venir au travail que vous faites aussi en termes de commissaire d'exposition, puisque, on va dire, dans le monde occidental et particulièrement en France, on va avoir des métiers d'art, on va avoir des musées, en fait, qui vont conserver toute une histoire de tissu français occidental, notamment le musée des arts décoratifs. Et donc... Ça va permettre de faire en sorte que les populations soient informées, éduquées sur le sujet d'où vient la dentelle de Calais, quelle est l'origine. Vous, à travers différentes expositions, faites ce travail-là. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
- Anne
Alors, oui, en fait, l'idée de faire des expositions, c'est d'aborder d'autres publics et de raconter une histoire à travers des objets et à travers la mise en scène d'objets. Et aussi, citer l'émotion par le fait d'être confronté visuellement avec un objet. aussi qui peut être mis en rapport avec une photographie de sa mise en contexte dans le pays, dans l'endroit où il est fabriqué ou dans l'endroit où il est porté. Ou bien, par exemple, on peut mettre une écorce battue, je pense une écorce battue assez rustique du PIBT de la région de Gagnon en Côte d'Ivoire. Et puis à côté de ça, une photographie de la Black Fashion Week avec une robe de Hélico, Kwame, qui revisite justement cette même écorce battue. Donc, c'est ça qui permet une exposition, c'est vraiment créer l'émotion et montrer, en montrant l'objet véritablement, en montrant aussi des étapes de sa fabrication, et puis en rencontrant les publics à l'aide de visites guidées, de médiations, avec des... des visites pour le jeune public, des ateliers aussi, où on peut expérimenter certaines techniques et se rendre compte justement de la difficulté, de choses qui paraissent relativement simples, comme ça, de dire, ah bah oui, imprimer un tissu, on met un tampon dessus, puis c'est facile, et puis finalement, on se rend compte, au cours d'un atelier, que ce n'est pas aussi simple que ça. On peut découvrir aussi la signification des idéogrammes à travers un atelier. Je trouve que c'est un volet aussi très enrichissant de faire une exposition. Moi, j'ai eu le grand plaisir de réaliser une grande exposition à Angor, donc à côté de Dakar, à l'occasion du troisième festival du Fesman, le festival nègre qui avait été inauguré par Saint-Gaure au moment de l'indépendance, et pour la troisième édition. couronner les 50 ans de l'indépendance de la plupart des pays africains, donc en 2010, on m'avait demandé de faire une exposition autour des textiles africains et du rapport avec les diasporas. Donc réfléchir au kente, par exemple, à cette issue des peuples à Caen, donc du Ghana, du Côte d'Ivoire, du Togo, qui sont aujourd'hui utilisés notamment par les Noirs américains comme un étendard de leur culture. On voit par exemple que les étudiants noirs américains, quand ils sont diplômés, ils ont le graduate code, ils aiment bien avoir une écharpe tissée, justement, au Ghana, en kente pour affirmer cette réussite. Donc c'était ce lien-là, ce lien aussi avec la place du Madras, aussi en Guadeloupe, et montrer l'échelle d'un continent, donc depuis Afrique du Nord, Afrique du Sud, Afrique de l'Est, Afrique centrale, voir comment le textile peut faire le lien et peut servir de support d'une expression identitaire. Il y a eu d'autres expositions. Actuellement, par exemple, je présente une exposition à Chambéry qui s'appelle Wax, où avec Claude Bolly, on a créé une série de tableaux textiles très très grands, puisque ce sont des pièces qui vont jusqu'à 5,50 mètres par 2,40 mètres. où on interroge en fait les représentations des motifs de wax. En se disant, la première chose c'est que ces tissus sont faits pour être portés, donc pour devenir des vêtements. Alors parfois on a des dessins très très grands qui représentent par exemple le Taj Mahal ou un énorme bus, camion où il y a écrit King Kong dessus ou des énormes lustres, des téléphones portables, des ventilateurs, etc. Donc ces dessins... qui évoque un peu le pop art avec tous ces objets de consommation, un traitement de la couleur aussi très particulier. Quand on les voit côte à côte, dans l'esprit un peu d'imagier, puisqu'on a mis, par exemple, beaucoup d'objets, il y a une tenture qui s'appelle Thé au courant, par exemple, qui interroge l'accès à l'eau courante, le fait d'avoir des nouvelles par le téléphone, donc il y a des téléphones, et puis avoir l'électricité aussi, donc il y a des ampoules, il y a des ventilateurs, il y a tous ces... les appareils électriques. Et ça interroge aussi le fait que, pourquoi l'Europe, pourquoi les créateurs, les dessinateurs hollandais ou anglais, qui sont les principaux lieux de production du wax, ont choisi de dessiner ça pour s'adresser à une clientèle africaine ? Qu'est-ce qu'ils ont voulu dire pour eux ? Pourquoi on va cibler l'Afrique avec tel ou tel type de dessin ? Quelles sont ses projections de l'Europe sur les marchés africains ? Et donc c'est toute une exposition qui interroge un peu sur ces stéréotypes et puis qui dit en même temps, ce dessin de Clé par exemple, il date des années 1945 et il est encore imprimé aujourd'hui. Donc ça veut dire qu'il a une autre résonance parce qu'en Afrique, les femmes et notamment les nanabens du Togo, se sont emparés de ces textiles qui venaient d'Europe pour en faire des supports de langage et un moyen de communication. Donc un motif dieu, c'est devenu l'œil de Marival. Une cage avec des oiseaux, c'est si tu sors, je sors. Donc comment ces tissus en fait deviennent autre chose et s'enracinent en fait dans des cultures africaines pour dire quelque chose de la parole des femmes. Donc c'est pour ça que je vous dis, le textile, c'est vraiment... un prisme pour aller au-delà d'une histoire de chiffon, j'ai envie de dire, mais c'est vraiment tout ce que ça raconte des gens, des relations humaines.
- Ramata
Merci pour ces éclairages extrêmement intéressants. À travers vos différents voyages, en fait, et à travers tout ce que vous avez entrepris, que ce soit à travers l'écriture, à travers le projet Culture Pagne, plutôt film, c'est vraiment... Et à travers les expositions, j'imagine que vous rencontrez différentes populations en Afrique et en Europe. Quels sont les retours que vous avez sur tout ce travail ? Comment est-ce que c'est perçu ? Et est-ce que vous êtes encouragé et on vous donne encore plus d'opportunités ? développer vos différentes initiatives ou au contraire, est-ce que vous avez l'impression en fait que c'est difficile d'aborder ces sujets-là et que c'est cantonné un petit peu à quelque chose de superflu ?
- Anne
Non, souvent, comme je suis blanche, je suis blonde, avec des yeux verts, de temps en temps, c'est toujours très amical, mais de dire, mon Dieu, C'est la blanche qui en sait plus que nous. Il y a ce côté en fait de dire, mais oui c'est vrai, nous on passe à côté de ça, et comme ça fait partie de notre quotidien, on n'a jamais cherché à aller plus loin. Et c'est toujours pour moi une grande récompense quand on me dit, tiens tu nous as ouvert les yeux sur notre propre culture, parce que c'est quelque chose qui faisait tellement partie de notre quotidien, qu'on a vu chez notre mère, notre grand-mère, nos tantes, etc. On ne s'est jamais posé plus de questions, et... Tu m'as donné envie d'aller plus loin, de poser des questions dans ma propre famille, de m'interroger par rapport à ce tissu qu'on m'a offert et que je portais comme ça machinalement, mais je ne voyais pas tout ce qu'il y avait derrière. Du coup, oui, quand je vais aller au pays, je vais acheter, je vais aller au marché et puis je vais acheter des vraies pannes tissées ou je vais acheter des choses artisanales. Donc, pour moi, c'est toujours oui. à titre personnel, très valorisant de montrer que j'ai pu quelque part éveiller des gens à la valeur de ce qui était autour d'eux et dont ils n'avaient pas conscience. Après, une des grandes satisfactions de ces dernières années, ça a été de travailler avec la maison Christian Dior. Puisqu'à l'issue de la publication de mon livre Wax & Co, qui a été traduit en italien, la directrice artistique de la Maison Dior, Marigrazia Chiuri, l'a lu et elle avait envie de travailler sur le wax. Et donc, ce n'était pas la première d'une marque de luxe à s'intéresser au wax, puisqu'il y avait déjà Jean-Paul Gaultier, il y avait Junior Watanabe, il y avait eu... où est sautée la macarnée, mais ce n'était pas toujours bien perçu. On était dans cet enjeu d'appropriation culturelle aussi, qui est très important et qui n'est pas du tout anodin. Je pense que c'est un véritable débat qu'il faut prendre au sérieux et qui veut dire quelque chose. Et donc, elle est venue me voir en me disant, voilà, je voudrais travailler sur le wax parce que c'est un tissu qui m'intéresse, mais je voudrais faire quelque chose qui n'a pas été fait jusque-là. et puis je voudrais surtout éviter l'écueil de la population culturelle et de prendre ce tissu qui est africain. Donc d'abord, j'ai un peu apaisé le débat en disant qu'il n'est pas plus africain qu'européen, c'est vraiment un tissu de la rencontre des cultures, puisque même son origine vient du Batik indonésien, il a ensuite été industrialisé en Europe, puis commercialisé en Afrique. Et je lui ai dit, ce qu'on pourrait faire pour changer un peu cette approche et pour raconter une autre narration, c'est de travailler avec une usine en Afrique. C'est-à-dire que pendant plus de 130 ans, le wax était en fait un tissu fabriqué en Europe pour les marchés africains. Et on va changer cette donne et on va montrer que l'Afrique aujourd'hui est capable de produire pour le luxe et est capable de produire pour l'Europe. Et donc on est partis ensemble en Côte d'Ivoire, à Abidjan, à Uniwax. où ils ont vérifié, parce que le groupe LAMH est très exigeant au niveau du traitement de l'eau, du recyclage, la manière dans les conditions de travail, etc. Donc, ils ont vérifié que ça rentrait vraiment bien dans leur charte. Et ils ont demandé aux créateurs du bureau de design d'Abitur de créer vraiment 42 dessins. Donc, 42 pures créations, on va dire, de dessins qui n'existaient pas jusque-là. qui ont été inspirées, à la base, c'était des toiles de jouy qui appartenaient à la maison Dior, et aussi les cartes de tarot, les cartes à jouer pour l'avenir, les cartes de tarot. Et ça a donné lieu à 42 créations, j'ai envie de dire made in Africa mais précisément printed in Ivory Coast Et pour moi, ça a été vraiment très important, parce que même les bandanas, tous les tissus, ont gardé leur lisière, pour ceux qui connaissent le wax. En bas de ce tissu, il y a toujours écrit véritable wax made in Holland ou made in England ou made in Ivory Coast Et là, Dior a gardé, donc ils ont mis collection Christian Dior Uniwax fabriquée ou imprimée en Côte d'Ivoire. Et même sur les bandanas, ça y est, c'est-à-dire que c'est imprimé sur le tissu, ce n'est pas comme une étiquette qu'on peut découper. Mais c'est quelque chose qui va rester, c'est-à-dire que chaque consommateur de Dior, donc d'un produit vraiment de luxe qui est reconnu, avait conscience qu'il achetait quelque chose qui était en coton cultivé au Bénin, filé et tissé au Bénin et imprimé en Côte d'Ivoire avec des dessins réalisés en Côte d'Ivoire et un savoir-faire d'impression de Côte d'Ivoire aussi. Et pour moi, c'était vraiment une reconnaissance de dire, vous voyez, l'Afrique, c'est pas non seulement de dire, ah oui, c'est joli, c'est beau, tout ça. Non, non, c'est au niveau du luxe international. Et pour moi, oui, c'était vraiment un aboutissement de mon travail dans la mise en lumière de la qualité de ce qui peut être fait en Afrique. Pas de manière anecdotique, mais de dire, non, non, ils ont une vraie place sur le marché. Donnez-leur, donnez aux artisans et aux industriels africains. la place qu'ils méritent sur le marché international parce qu'ils ont ce niveau d'excellence-là.
- Ramata
Très bel exemple, en tout cas, de collaboration où on n'est pas dans l'appropriation culturelle. Et c'est vrai que c'est des écueils dans lesquels on peut tomber assez facilement sous couvert ou sous prétexte d'hommage. Donc, c'est très intéressant de partager cela.
- Anne
On a essayé d'éviter, pas de contourner, mais vraiment de se... posait la question, c'était au cœur de l'enjeu, comment éviter l'appropriation culturelle ? Et la solution, la réponse, c'était, travaillons sur la valorisation culturelle. C'est-à-dire ne pas éluder en disant, non, ça ressemble, ça vous fait penser à ça. Non, au contraire, on met l'accent sur le fait que ça vient d'Afrique et qu'est-ce qu'on valorise de ces savoir-faire qui sont développés en Afrique. Pour moi, la solution face à l'appropriation culturelle, c'est la valorisation culturelle.
- Ramata
Très bien. Merci d'avoir précisé ce point. L'autre question qui me venait, c'est par rapport à cet éternel débat, mais je pense que vous avez dû l'entendre, sur le wax est-il africain, le wax n'est pas africain ? Vous l'avez un peu évoqué, mais vous, quelle est votre position sur ce débat ? Et après, si vous me dites que votre position est neutre, je l'entends tout à fait, mais ça m'intéresse, comme c'est vraiment un sujet que vous avez énormément étudié. Quelle est votre position sur ce sujet-là ?
- Anne
Alors, le wax, c'est très, très particulier, puisqu'à son origine, c'est bien sûr... Déjà, le contexte est très, très fort, puisque c'est un tissu de l'impérialisme. Donc ça, on ne peut vraiment pas le nier, et c'est vraiment dans ma démarche, qu'on parle du wax, qu'on parle de tout autre tissu, présenter des faits, présenter vraiment la réalité et ne pas essayer de raconter une autre histoire. Donc, le wax, oui, c'est un produit de l'impérialisme. C'est un tissu qui se développe à la toute fin du 19e siècle et qui va être fabriqué en Europe pour les marchés africains. À un moment en plus où on peut plus ou moins, où l'Europe a vraiment des moyens de... ou en tout cas d'orienter les populations vers un type de consommation particulière de produits manufacturés en Europe. Donc ça, c'est l'origine. Mais ce qui est très intéressant, c'est que de cette issue de l'impérialisme, des femmes, et notamment les premières, ça va être les nanabens du Togo, mais ça va être après généralisé dans tous les pays de l'Ouest et d'Afrique centrale, vont faire de ce tissu... la voix des femmes, c'est-à-dire qu'elles vont projeter sur les dessins des noms particuliers, donc que ce soit plus récemment, puisque j'ai pris des exemples tout à l'heure de vieux Pines, mais plus récemment on a le sac à main de Michelle Obama, par exemple, et quand une dame de Kinshasa va porter le sac à main de Michelle Obama, elle va être elle va se sentir plus que belle, elle va se sentir puissante, elle va dire, mais moi je m'identifie à cette première dame noire. Et donc il y a une certaine fierté apportée à ce dessin-là. Donc là, on n'est que, j'ai envie de dire, dans quelque chose de psychologique, dans ce que le tissu peut apporter de plus que juste celui du tissu. Mais il y a aussi... l'enjeu économique, puisque à partir des indépendances, quand il va y avoir des usines en Afrique, il y a aussi une production africaine de wax. Donc, il y en a eu jusqu'au Zahir, à l'époque, le Congo RDC, avec six pieds Zahir. Il y en a eu au Ghana, il y en a eu au Nigeria, en Côte d'Ivoire. Et donc, acheter du wax made in Africa, ça veut dire, en plus, contribuer... à la valorisation d'un coton cultivé, filé, tissé sur place et imprimé sur place. Donc il y a toute une chaîne de valeurs et un nombre d'emplois très très important que ça induit, si vous voulez. Donc il y a un véritable impact économique à consommer du wax africain. C'est pour ça que pour moi, ce n'est pas du tout la même chose si on achète un wax imprimé en Hollande, imprimé en Côte d'Ivoire ou imprimé en Chine. Tous les wax ne se valent pas. Et donc, pour moi, forcément, si je porte du wax, ce sera du wax de Côte d'Ivoire, parce que c'est celui qui vraiment a un impact économique. Et aujourd'hui, on parlait du caneté tout à l'heure. Le caneté, aujourd'hui, il est tissé en rayon synthétique. Ça veut dire que le fil, par exemple, vient d'Asie. Et il n'y a que le travail de tissage qui va être fait par un tisseron. Donc, on est d'une famille. J'ai envie de dire quand on achète un quinté. Au contraire, quand on va acheter un wax de Côte d'Ivoire, derrière, il y a les producteurs de coton, il y a tous ceux qui sont dans la partie industrielle de transformation de la fibre au coton en fil et en tissu écrue. Et puis, il y a ensuite les employés de l'usine de wax. Donc là, on arrive à plusieurs milliers de personnes qui travaillent. qui sont derrière ce tissu qu'on va porter. Donc, ce n'est pas du tout le même impact économique. Et c'est assez paradoxal, mais il faut vraiment le souligner, qu'aujourd'hui, on a plus d'impact économique à acheter du wax made in Côte d'Ivoire qu'à acheter de l'artisanat. C'est assez triste, mais c'est une réalité. Même si je soutiens vraiment, je pense qu'aujourd'hui, l'urgence, elle est vraiment dans la valorisation de l'artisanat, parce que, comme je l'ai dit, il y a énormément de savoir-faire qui se... perdent et qui ne seront plus là parce que par exemple faire de l'indigo végétal c'est très très long, durer bogolant sur des petites bandes de coton filé à la main aussi c'est des choses qui sont qui tendent à disparaître donc il y a énormément de savoir-faire qui d'ici 20 ans vont se raréfier et qui ne reviendront pas donc il y a cette urgence de l'artisanat par rapport au wax. Après est-ce qu'il est africain ou pas africain ? Justement non Pour moi, c'est parce que le wax n'est pas africain qu'il a cette dimension panafricaine. C'est-à-dire que le beau-goulant, si vous portez du beau-goulant, on va tout de suite dire Ah, ça c'est le Mali Si on porte du kente, on va dire Ça c'est les Akos, Côte d'Ivoire, Ghana Si on porte du nidop, on va dire Ah, toi tu viens du Cameroun Alors que le wax, c'est Ah, tu es africain ou tu as envie d'exprimer quelque chose de l'Afrique Parce qu'aussi, un occidental de type caucasien qui porte du wax, ça peut être parce que la personne a voyagé en Afrique, elle a beaucoup aimé, ou bien elle a des amis africains qui lui ont donné quelque chose. Donc ça peut être quelque chose, une espèce de sympathie au sens... étymologique, vraiment de vouloir exprimer quelque chose de proximité avec l'Afrique. Et donc, c'est parce qu'il n'est pas d'un pays ou d'un autre qu'il a ce côté très, très fédérateur. Et c'est ça la force du wax. Et cette force d'exprimer quelque chose, elle se passe de deux manières. Le lien géographique, d'où qu'on vienne, et même le lien entre les diasporas noirs et le continent africain, et puis aussi le lien entre générations, c'est-à-dire qu'on peut avoir une jeune femme afro-descendante qui peut être née en France, elle a une seule photo de sa grand-mère ou de son arrière-grand-mère qui portait un pagne, et puis elle va dire Ah ben tiens, je vais porter le même pagne que sur cette photo-là, ça me rapproche de ma grand-mère. Et donc, il y a ce tissu du lien aussi entre les générations. Donc, je pense que le wax, il ne faut pas le réduire juste à son origine, parce que là, c'est vraiment le tissu de l'impérialisme, mais d'aller plus loin et puis surtout de savoir ce qu'on consomme. Est-ce que c'est un wax qui a un impact économique sur le continent africain ou est-ce que c'est au contraire un tissu qui a été fait en Chine et donc qui a entraîné la fermeture de telle ou telle huissons ? Le Nigeria aujourd'hui est le plus gros pays consommateur en termes de personnes, puisque c'est le pays qui a le plus grand nombre d'habitants en Afrique. Et toutes les usines de wax ont fermé au Nigeria. C'est catastrophique. Donc il y a un vrai débat. Et c'est pour ça que dans ce sens-là, pour moi, il faut penser à ce qui est fait en Afrique et ce qui n'est pas fait en Afrique. Et le wax, il ne faut pas le mettre de côté, par exemple, par rapport à un bongolant ou par rapport à un... un tissu teint avec de l'indigo traditionnel. C'est la même logique. Et le fait d'opposer justement le wax aux autres tissus qui seraient plus authentiques, plus véritables, c'est un peu se tromper de débat. Le vrai débat, c'est qu'est-ce qui est vraiment africain, qui a un impact économique, et qu'est-ce qui n'en a pas.
- Ramata
En fait, quand vous soulevez ces questions-là dans le cadre de cet échange, on comprend tout à fait les ramifications et les enjeux à se poser ces différentes questions. Mais... À travers les différentes années où vous avez travaillé sur ces sujets-là, comment vous voyez la filière textile évoluer en Afrique ?
- Anne
Alors, ça dépend des pays. Par exemple, je pense que le Bénin, aujourd'hui, est un pays qui a vraiment une grande prise de conscience de sa valorisation de ce qu'on appelle son or blanc, avec un énorme complexe qui s'appelle le bdiz. qui va employer, je crois que les projections, c'est 30 000 personnes d'ici 5 ans. Donc, c'est un énorme, énorme complexe. Ils travaillent déjà pour US Polo. Donc, ils transforment le coton, ils le filent, ils le tissent, ils le tricotent aussi, et ils font de la confection. Donc, il y a cette valorisation du coton. Je pense qu'il y a plusieurs échelles. C'est-à-dire qu'il y a à la fois... une valorisation du coton et de filières à l'échelle industrielle, et puis une valorisation des savoir-faire artisanaux. Et là aussi, ça peut paraître paradoxal, et pourtant c'est très simple, si un État aujourd'hui veut valoriser son artisanat, il faut qu'il investisse dans son industrie. Pourquoi ? Parce que si vous faites par exemple de la teinture, il va vous falloir du tissu, un support pour teindre. Donc, si on veut valoriser tous les savoir-faire de batik, de ligature, de taï-endai, pour que les artisanes aient du travail, il faut en amont produire de l'écru ou bien même du tissu damassé pour qu'elle puisse teindre. Donc, si ce damassé, cet écru, il est fabriqué localement, il est made in Africa, le produit aura encore plus de valeur parce qu'il va pouvoir être effectivement labellisé. avec une véritable traçabilité africaine. De la même manière, un tisseron, il a besoin d'écheveaux de fil. Donc, ce n'est pas du tout la même chose si vous avez, par exemple, un tissage d'amphanie du Burkina Faso qui est fait avec des écheveaux de fil qui arrivent d'Asie, comme c'est souvent le cas aujourd'hui. C'est beaucoup plus... Ce n'est pas intéressant, beaucoup plus pertinent. que le coton soit cultivé au Burkina Faso, transformé, c'est-à-dire filé industriellement. au Burkina et ensuite tissé par un artisan burkinabé. Vous voyez, il y a vraiment une imbrication de l'artisanat et de l'industrie, il n'y a pas une opposition. Et donc j'insiste vraiment là-dessus, si on veut soutenir, encourager les artisans, pour leur fournir des matériaux, il faut en amont investir dans l'industrie locale et transformer le coton local.
- Ramata
Effectivement, l'exemple du Bénin, c'est un très bon exemple des enjeux de la création d'une filière qui prend depuis l'agriculture jusqu'à la création d'un produit fini qui sera distribué sur un marché local. Aujourd'hui, je sais que le principal sujet d'actualité, c'est ce projet de film Culture Pagne. Et je mettrai en note de l'épisode, en fait, le lien vers tous les éléments, puisque le projet est en recherche de financement. Et ce que je voulais savoir, c'est quels étaient... Donc, vous avez parlé aussi d'une exposition à Chambéry. Quels sont les autres sujets d'actualité dont vous pouvez nous parler ? Alors, s'il y a des exclusivités, on est bien sûr intéressés. Et si c'est des sujets où il faut vous suivre, parce que... Vous ne dévoilez pas tout de suite l'info, mais c'est imminent. Donnez-nous tous les détails croustillants qui nous permettent d'être au taquet le moment venu.
- Anne
Jusqu'au 15 février, il y a une exposition wax tableau textile à découvrir à l'espace André Malraux à Chambéry. Ensuite, je travaille actuellement avec l'AIR, la Haute École des Arts du Rhin de Mulhouse. et le musée d'impression sur étoffe de Mulhouse, sur une exposition wax, qui en fait présente un projet qui a été mené il y a quelques années avec six étudiantes, qui sont aujourd'hui des jeunes designers textiles. Et l'idée, c'était qu'elles viennent avec leurs propres dessins, et qu'elles partent au Ghana, imprimées dans l'usine d'Akosombo, pour le... pour découvrir la technique du wax. Donc, ce sont elles-mêmes qui ont participé à l'impression de leur dessin avec l'ancienne technique, pas une technique qui existe encore, mais qui est souvent remplacée de manière mécanique. Et donc, elles ont imprimé au bloc, de manière manuelle, leurs propres dessins. Donc, c'était vraiment une rencontre entre des designers textiles. avec une approche contemporaine très européenne et un savoir-faire d'exception détenu par une usine africaine. Et l'idée, c'est aussi de montrer les débouchés de l'Afrique, c'est-à-dire que face à la concurrence asiatique, les quantités énormes de tissus avec des super profits et puis vraiment une grosse quantité. Est-ce que le débouché de l'Afrique n'est pas au contraire de se tourner vers l'excellence, vers des marchés de niche avec des produits de très très haute qualité et plutôt des marchés qui comprennent les savoir-faire ? Puisqu'en France, on a quand même le sage, on a quand même des endroits où on comprend ce que c'est que les savoir-faire et la valeur du textile. Et donc c'était ça le pari de ces six designers, de très très beaux dessins, vraiment des compositions très très contemporaines, de six expressions vraiment graphiques avec une technique maîtrisée par une usine Ghanéenne. Donc c'est le point de départ de cette exposition qui aura lieu au musée d'impression sur étoffe, qui par ailleurs présente aussi... de manière plus globale, l'histoire du wax, mais qui vraiment met cet accent sur est-ce que les débouchés de l'Afrique, ce n'est pas l'excellence ? Puisque l'Afrique est capable, aujourd'hui on a des artisans, on a des industriels qui détiennent des savoir-faire d'exception. Est-ce que ce n'est pas là-dessus qu'il faut mettre l'accent plutôt que d'essayer de s'aligner vers le bas avec une production un peu qui se rapproche de la Chine où là le combat est perdu d'avance ? Je pense que c'est un joli mot de la fin, cette ambition d'aller vers des métiers d'excellence plutôt que de tirer l'Afrique et des savoir-faire africains vers le haut. C'est vraiment, je trouve, une belle ambition pour tous les savoir-faire du continent. On arrive à la fin de cet échange. Moi, j'ai été ravie de pouvoir bénéficier de votre expertise pendant cette heure. Je pense que... Ça donne envie d'en faire d'autres, mais ce qui est bien, c'est qu'il y a des livres, il y a des expositions pour pouvoir retrouver vos propos. Il y a également cette série de films qui va bientôt arriver. Donc, écoutez, merci beaucoup pour votre disponibilité et votre partage. Et puis, je vous dis à très bientôt en Afrique ou ailleurs.
- Ramata
OK, merci beaucoup. Au revoir, Samantha.
- Anne
Au revoir.
- Ramata
Merci d'avoir écouté l'épisode jusqu'au bout. Je vous invite à pratiquer. quelques petits gestes à impact fort pour m'aider à gagner de la visibilité sur ce podcast. Vous pouvez partager l'épisode à trois de vos amis. Vous pouvez laisser un commentaire sur Apple Podcast ou Spotify. Je vous invite également à cliquer sur les 5 étoiles pour donner de la force. Je vous dis à très vite en Afrique ou ailleurs.