- Speaker #0
Bienvenue. Aujourd'hui, on plonge dans un sujet qui résonne de plus en plus dans le monde de l'entreprise.
- Speaker #1
Oui, ce sentiment un peu diffus que l'image, la com, la conformité, ça prend le pas sur la compétence réelle, sur le fond.
- Speaker #0
Exactement. Un malaise, quoi. Et ça pousse même des talents, des gens brillants à aller voir ailleurs. On va essayer de décortiquer ça.
- Speaker #1
Comprendre comment l'entreprise peut, presque malgré elle, parfois devenir une sorte de fabrique d'imposteurs.
- Speaker #0
Voilà. Notre exploration aujourd'hui, c'est comprendre ces mécanismes. Comment ça se fait qu'on semble parfois écarter ceux qui voient clair, qui posent les bonnes questions ?
- Speaker #1
Au profit d'un système qui peut finir par générer un climat un peu toxique.
- Speaker #0
Démasquer les vrais problèmes de performance. C'est ça. Et pour nourrir notre réflexion, on a quelques textes forts. La chronique d'un naufrage organisé de Olivier Chambelan.
- Speaker #1
Et la fabrique des imposteurs de Roland Gori. Un livre et aussi des interventions très éclairantes.
- Speaker #0
Sans oublier cette notion un peu provocatrice de kakistocratie. Bon alors, allons-y, déballons ça. Jean Belland, pour commencer, il met vraiment le doigt sur cet écart, parfois immense, entre le deal court officiel.
- Speaker #1
Ah oui, les belles valeurs affichées partout, les powerpoint nickel.
- Speaker #0
Et puis la réalité vécue sur le terrain. Les process parfois absurdes, les stratégies un peu fumeuses, cette novlangue managériale.
- Speaker #1
Oui, le fameux jargon qui masque souvent le vide.
- Speaker #0
Il a une phrase terrible. Comme le silence, une culture qui doit s'écrire sur les murs n'existe plus. Ça, ça parle, non ?
- Speaker #1
Absolument. Et cette maîtrise du flou qu'il décrit, c'est très juste. Ce management qui évite de trancher et qui laisse les choses, eh bien, flou. Plus vraiment d'adhérer, de croire, juste de consentir passivement.
- Speaker #0
Il suffit qu'on renonce à vouloir comprendre, c'est une autre de ses phrases assez glaçantes, je trouve.
- Speaker #1
Et ça, ça use, ça érode la volonté, comme il dit. Surtout chez les esprits critiques.
- Speaker #0
Ceux qui persistent, qui essaient de comprendre, de pointer les incohérences.
- Speaker #1
Ils finissent par être vus comme gênants. On les met sur la touche, ou alors ils s'en vont.
- Speaker #0
Et souvent, ils partent. par fidévité à ce qu'ils refusent de trahir en eux. C'est fort comme idée. Le lucide devient l'ennemi.
- Speaker #1
Tout à fait. Ce qui laisse le champ libre à ceux qui s'adaptent sans poser de questions, les conformistes.
- Speaker #0
Et c'est là qu'on touche au cœur du problème, non ? L'entreprise valorise plus la forme, l'apparence de compétence, que la compétence elle-même.
- Speaker #1
C'est ce que dit Chambel. Ce ne sont pas les meilleurs qui montent, ce sont ceux qui dérangent le moins.
- Speaker #0
Et paf, ça nous amène direct à cette idée de kakistocratie. Le pouvoir au moins compétent. Mais alors, c'est juste un problème d'entreprise, ça, ou c'est plus large ?
- Speaker #1
Ah, c'est là que Roland Gori apporte une perspective vraiment fascinante. Lui, il dit, attention, l'imposteur, c'est pas juste un bug individuel.
- Speaker #0
C'est un symptôme, c'est ça ?
- Speaker #1
Exactement. Un miroir d'une éponge vivante, dit-il. L'imposteur reflète les valeurs dominantes, ou plutôt les fausses valeurs de notre société. La conformité, l'obsession du chiffre.
- Speaker #0
Chaque société a les imposteurs qu'elle mérite ?
- Speaker #1
Ouch. Oui. Et il analyse comment notre société actuelle, avec sa manie de la norme, du contrôle, de l'évaluation chiffrée à tout prix, du spectacle, crée un terreau idéal pour ça.
- Speaker #0
La valeur devient mesurable, quantifiable.
- Speaker #1
Voilà. Ce qui est soluble dans la pensée du droit et des affaires, comme il dit. Ce qui est conforme. Et tant pis pour le fond, la pensée critique, le vrai dialogue.
- Speaker #0
Le dialogue remplacé par le communiqué.
- Speaker #1
C'est ça. Il parle même de prolétarisation généralisée. Ce n'est plus seulement l'ouvrier. C'est aussi le médecin, l'enseignant, le chercheur.
- Speaker #0
Dont on confisque le savoir-faire. Oui.
- Speaker #1
Leur art du métier est noyé sous les process, les indicateurs standardisés. Ça vide le travail de son sens.
- Speaker #0
Et là, on fait le lien.
- Speaker #1
C'est là que ça devient vraiment intéressant. L'entreprise, elle ne fait qu'amplifier cette logique.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
Elle adopte ses codes, la norme, le chiffre, l'apparence.
- Speaker #0
Et devient le terrain de jeu parfait pour ceux qui maîtrisent le faire sans plan, plutôt que le faire réel.
- Speaker #1
Et voilà comment elle devient cette fabrique des imposteurs.
- Speaker #0
Et en boucle la boucle avec la kakistocratie. Logique implacable en fait. Si tu récompenses celui qui lisse les angles, qui coche les cases sans soulever de lièvres,
- Speaker #1
le pouvoir finit par glisser vers les experts en conformité. Pas forcément les plus compétents ou les plus visionnaires.
- Speaker #0
Quelles sont les conséquences alors au final ?
- Speaker #1
Elles sont multiples et souvent lourdes. Collectivement, c'est la perte de sens, un climat de travail qui devient cynique,
- Speaker #0
toxique et la performance. On nous dit que les chiffres sont bons.
- Speaker #1
Oui, mais c'est parfois un trompe-l'œil. Les indicateurs peuvent être choisis pour rassurer, mais masquer une vraie dégradation. Et individuellement, c'est la souffrance.
- Speaker #0
Le burn-out, le désengagement.
- Speaker #1
Et le départ des plus intègres, justement. Ceux qui refusent ce jeu. Le système se protège en éliminant la critique. Mais il s'aveugle lui-même.
- Speaker #0
Dur constat. Alors face à ça, qu'est-ce qu'on fait ? On s'adapte, au risque de se perdre, on part... On essaie de résister de l'intérieur ?
- Speaker #1
C'est toute la question.
- Speaker #0
Si on essaie de résumer, l'entreprise, un peu comme un reflet de notre société normative, aurait tendance à privilégier la forme sur le fond.
- Speaker #1
La conformité sur la compétence.
- Speaker #0
Et en écartant la pensée critique, jugée dérangeante, elle risque de s'enfermer. Un cercle vicieux où l'imposture peut prospérer.
- Speaker #1
Et le sens se perd, oui. Alors, face à cette fabrique, la lucidité, l'intégrité, le courage de questionner, ça devient plus que des qualités, presque des actes de résistance.
- Speaker #0
Préserver son jugement critique.
- Speaker #1
Tendre à la nier.
- Speaker #0
La question qu'on peut laisser en suspens... Pour la réflexion.
- Speaker #1
C'est ça. Comment on fait concrètement pour cultiver et protéger ces qualités en soi et peut-être autour de soi dans un environnement pareil ?
- Speaker #0
Vaste question. Merci pour ces échanges.
- Speaker #1
Merci à vous.