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J'ai 50 ans et alors ?

Le deuil, une occasion de renaître à soi - Jean-Michel Longneaux

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51min |11/07/2024
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J'ai 50 ans et alors ?

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51min |11/07/2024
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Description

Nul n'échappe aux deuils : non seulement à travers la mort d'un être cher, mais aussi à travers les multiples pertes auxquelles le simple fait de vivre nous expose tous.

...Qu'il s'agisse d'une rupture amoureuse, la perte d'un emploi, un exil forcé, les enfants qui quittent le nid, tomber malade, vivre un échec, ou tout simplement vieillir.


Dans cet épisode, j'ai le plaisir d'accueillir Jean-Michel Longneaux, Docteur en philosophie et auteur du livre « Finitude, solitude, incertitude ».

Ensemble, nous explorons le thème du deuil.


Jean-Michel Longneaux nous éclaire sur la manière dont ces expériences de perte nous façonnent, révélant notre vulnérabilité et nous offrant l'opportunité de renaître à nous-mêmes.

Un épisode qui invite à la réflexion et à la transformation intérieure.


Ressources :

Le livre de Jean-Michel Longneaux : "Finitude, solitude, incertitude"

Cycle de conférences sur le deuil - à partir du 8 octobre 2024 :

Rejoignez-nous pour un cycle de conférences sur le deuil animé par Jean-Michel Longneaux

A suivre en présentiel : https://www.sandrinecorbiau.be/agenda

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Un podcast de Sandrine Corbiau 

Merci à David Martinez pour le montage du podcast.


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Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans J'ai 50 ans et alors, un podcast qui accompagne nos transitions. Je suis Sandrine Corbiot, j'adore faciliter les liens, les prises de conscience et le changement. Dans ce podcast, je vous partage des inspirations, des réflexions, des rencontres qui enrichissent mon quotidien. Pas de recettes toutes faites, juste des moments authentiques pour vous inspirer. Un rendez-vous qui fait du bien, une parenthèse qu'on s'octroie dans son quotidien pour marcher vers soi à son rythme. Alors aujourd'hui, nous avons le plaisir d'être en compagnie de Jean-Michel Longnot, qui est docteur en philosophie, chargé de cours à l'UNAMUR, conseiller en éthique dans le monde de la santé et de l'éducation, rédacteur en chef de la revue Ethica Clinica Finitude, solitude et incertitude, philosophie du deuil. Bonjour Jean-Michel Longnot.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Bienvenue, je suis ravie de vous accueillir ici dans le studio de Radio Alma. Nous allons parler du deuil, mais le deuil c'est un sujet qui peut évidemment être délicat, mais le deuil n'est pas que la perte d'un être cher. Il peut s'agir aussi d'une rupture amoureuse, de la perte d'un emploi. d'un exil forcé, des enfants qui quittent le nid, de tomber malade, un burn-out, vivre un échec ou tout simplement le fait de vieillir. Alors avant de passer au cœur du sujet, j'aurais voulu vous demander de vous présenter. Qu'est-ce qui vous a amené à la philosophie ?

  • Speaker #1

    Ah, eh bien donc ce sont des rencontres. Oui, principalement des rencontres et alors une espèce d'évidence. Donc les rencontres, c'est dans le cadre de mes études quand j'étais en secondaire. À la fin, comme je faisais des latins grecs, on a fréquenté des auteurs comme Platon notamment. qui est un incontournable. Et c'est vrai que c'est là que je me suis rendu compte que ça résonnait avec ce que j'étais, en tout cas sans trop savoir ce que j'étais à l'époque, mais en tout cas ça me parlait beaucoup. Et puis alors des rencontres qui sont venues par la suite sans doute, c'est-à-dire des personnes avec qui j'ai eu l'occasion de discuter, mais peut-être en amateur, et à l'époque j'étais encore très jeune, mais donc ce n'était pas au départ des philosophes comme tels de métier. mais des personnes qui avaient une tournure en tout cas philosophique, qui interrogeaient le monde, qui essayaient de le faire parler un petit peu, au-delà du bruit qu'il fait. Et comment... Donc c'est vrai que ces gens-là, voilà, ça m'a donné des clés, ça m'a parlé énormément. et donc sans doute une espèce de curiosité qui fait que en rencontrant des auteurs qui apportent ou qui essayent d'apporter des réponses, des gens qui m'ont amené des questions et une façon d'interroger le monde, ben voilà, le tour ensemble, la sauce a pris et puis je me suis embarqué dans l'aventure sans savoir où j'allais aller. Parce que quand on fait des études de philosophie, c'est vrai que bien souvent, on aime bien ce qu'on fait, on l'a choisi, mais on ne sait pas très bien à quoi ça va nous conduire. Et puis alors j'ai eu la chance par la suite de pouvoir en faire un métier. notamment en étant repris à l'université pour donner cours. Et donc, de fil en aiguille, on est payé pour se poser des questions. Et on peut en vivre, effectivement. Et alors, c'est à 100% là-dedans.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qui vous anime le plus quand vous donnez cours ?

  • Speaker #1

    Ah, je crois que c'est... C'est de transmettre à mon tour ce que j'ai reçu de manière un peu hasardeuse au début, la capacité de pouvoir se poser des questions. Je crois que c'est ça. Je crois que ce qui m'anime le plus, c'est de transmettre. de faire en sorte que les gens comprennent, parce qu'il y a parfois des auteurs en philosophie qui sont quand même assez durs, assez abstraits, on n'a parfois plus vraiment le vocabulaire pour comprendre des auteurs anciens qui étaient dans un autre contexte culturel. Donc c'est de passer son temps, et c'est là que je perds le plus de temps d'ailleurs, quand je dois préparer des cours, c'est plus tellement dans la matière à enseigner, mais dans comment je vais l'enseigner pour que les gens puissent se le réapproprier et éventuellement en faire quelque chose qui peut les aider à se poser des questions. et puis peut-être trouver aussi des débuts de réponses, évidemment. Donc c'est sans doute ça qui m'anime le plus. Quand je vois que les gens ont l'impression, ou me renvoient en tout cas, le fait qu'il y a des petites lumières qui se sont éclairées, si vous voulez. Et souvent, ce qu'il faut rajouter peut-être, mais je ne sais pas si c'est intéressant, c'est que j'ai l'impression d'avoir bien fait mon travail quand les gens... me disent, dans le fond, vous ne m'avez rien appris, mais vous m'avez donné des mots pour le penser. Voilà, donc quand on dit qu'on éveille des petites lumières, c'est des petites lumières qui sont déjà là, évidemment. Je m'inquièterais, par exemple, si les gens disaient Tchô, vous m'avez raconté un truc, ça j'avais jamais pensé, j'ai jamais entendu, d'où ça vient ce truc-là ? Là, je m'inquièterais, parce que probablement que ce que je raconte alors tombe du ciel et ne s'accroche à rien. Donc peut-être que c'est intéressant en soi, tout ce qu'on veut, mais en tout cas, quand par contre, ce qu'on raconte en philosophie... ne fait que mettre des mots sur ce qu'on sait déjà, sur ce qu'on a déjà vécu, je pense qu'on a fait ce qu'on a pu en philosophie, c'est-à-dire qu'est-ce qu'on peut en philosophie, c'est aider chacun d'entre nous à prolonger l'expérience que l'on fait de la vie jusque dans ce qu'elle donne à penser. Et alors ça sert à quoi de faire un truc pareil ? Ça sert tout simplement à pouvoir s'en libérer. Quand on n'arrive pas à pousser ce qu'on vit jusque dans ce que ça donne à penser, on vit avec, on a ça en soi, et alors éventuellement, on se sent encombré, on n'est pas bien, on tourne en rond, il y a quelque chose là. Mais comme on n'a pas les mots pour le dire, comme on n'a pas les mots pour le penser, ben oui, c'est vrai, ça nous encombre, c'est là, et on ne sait rien en faire, et on mourra avec, avec éventuellement en plus le drame d'avoir transmis ça à nos enfants. Si on veut rester libre, si on veut rester vivant, tout simplement, l'impression que j'ai, moi en tout cas, il y a des sagesses philosophiques qui donnent à penser ça, ce qu'il faut pouvoir faire, c'est vivre pleinement l'instant présent. Et puis c'est de pouvoir tourner la page et passer à l'instant suivant, évidemment. Et donc, on ne peut se libérer d'une expérience que quand on arrive à la pousser jusqu'à son terme, jusqu'à son bout, si vous voulez, pour pouvoir en sortir et aller jusqu'au bout d'une expérience. Ce n'est pas simplement la vivre. et puis ne pas savoir quoi faire avec, mais c'est la vivre jusque dans ce qu'elle donne à penser, jusque dans ce qu'elle donne à transmettre éventuellement, etc. Et une fois qu'on est allé aussi loin qu'on n'a pu là-dedans, on se donne une chance de pouvoir s'en libérer.

  • Speaker #0

    Vous auriez un exemple concret qui illustre ça ?

  • Speaker #1

    Oui, et c'est en lien peut-être avec le deuil d'ailleurs, mais imaginez que vous vivez un moment heureux. le drame évidemment d'un moment heureux un moment heureux c'est un moment heureux c'est pas un drame évidemment mais le drame que l'on peut vivre parfois c'est qu'on a vécu un moment heureux tellement heureux qu'on ne veut plus que rester dans ce moment heureux et du coup ça vous prive de tout l'avenir que vous avez devant vous où le seul avenir que l'on s'octroie désormais c'est de vivre dans la mémoire de ce moment heureux tellement heureux qu'on n'imagine pas d'autre vie que d'être enfermé dans ce moment heureux tout le travail que l'on doit faire si on veut rester vivant c'est évidemment de jouir de l'instant heureux le plus possible quand on le vit, mais après c'est de savoir le quitter pour pouvoir se rendre disponible pour de nouveaux moments que l'on vivra, qui seront peut-être heureux, peut-être moins heureux, peut-être malheureux éventuellement, mais pour rester vivant. Il y a une phrase que j'aime bien qui dit ceci, qui dit Oh, qui stagne ou qui pue Le pire qui peut arriver pour un être humain, c'est de rester sclérosé, si vous voulez, figé, dans un instant qui a été tellement heureux ou tellement malheureux éventuellement qu'on n'arrive plus à en sortir. Donc c'est tout ce travail par lequel une fois que j'ai vécu ce que j'ai vécu, que je l'ai choisi, que je ne l'ai pas choisi, que je l'ai voulu ou pas voulu, etc. Peu importe, ça peut aller donc, c'est tout le spectre de ce qu'on peut vivre, des moments heureux jusqu'aux moments malheureux. C'est comment je fais pour en profiter pleinement tout en acceptant que ça ne durera pas. puisque quoi ? puisque nous sommes dans le temps tout simplement donc en philosophie c'est ce qu'on va vous dire pour aller tout de suite à l'essentiel nous sommes des êtres temporels et donc la minute que nous vivons maintenant elle disparaît de manière irréversible et donc la question c'est est-ce que je ne suis plus que le mausolée le tombeau de mon passé que j'essaye de préserver comme une momie ou est-ce que j'accepte pour ne pas tomber dans ce que l'on serait alors une espèce de mort vivant est-ce que pour rester vivant je dois accepter Moi je ne vois pas comment on peut faire autrement. Est-ce que je dois accepter donc de me libérer de ce que j'ai vécu pour... Non pas recommencer à zéro, on ne recommence jamais rien à zéro dans sa vie, mais pour, à partir de ce que j'ai vécu, pouvoir m'ouvrir à autre chose.

  • Speaker #0

    Et donc c'est ça, faire son deuil.

  • Speaker #1

    Et alors du coup, de manière fondamentale, quand on va au-delà des questions de mort d'un proche, auquel on associe souvent le mot deuil, dire que nous sommes, en tant qu'êtres humains, concernés par le deuil, c'est dire qu'étant donné ce que nous sommes, c'est-à-dire des êtres dans le temps, pour le dire simplement. en devenir, étant donné ce que nous sommes, nous ne pouvons rester vivants qu'à la condition de pouvoir nous libérer de ce qui n'est plus, et que nous ne revivrons plus jamais. Donc une deuxième fois, par exemple, je peux rencontrer quelqu'un dans la rue, et c'est la femme de ma vie, ou c'est l'homme de ma vie, et je l'ai rencontré la première fois, c'est unique, c'est merveilleux, du coup le lendemain, parce que je n'ai rien osé lui dire, je vais me remettre dans la rue en espérant que la personne passe à nouveau. Ben, elle va passer à nouveau, imaginons. mais vous vous rendez compte on a déjà tout perdu parce que ce sera une deuxième fois ce ne sera pas et ce ne sera plus jamais une nouvelle première fois évidemment vous êtes déjà dans la répétition mais vous voyez si jamais je veux revivre exactement l'instant premier où j'ai été ébloui par la personne parce que c'était la première fois que je la voyais je serais déçu Parce que la deuxième fois, c'est déjà du réchauffé, si vous voulez. Et donc on ira comme ça de déception en déception jusqu'à l'ennui. Finalement, si je vis avec la personne, c'est encore pire, parce que tous les matins elle est là, et à un moment donné, on essaye de retrouver l'instant où on a vibré la première fois, mais ça s'émousse, ça s'émousse, et finalement, c'est le malheur, c'est l'ennui, et c'est la séparation, ou c'est le drame, ou je ne sais quoi d'autre, les reproches que l'on fait à l'autre. quand on veut pouvoir rester par exemple avec quelqu'un ici pour prendre cet exemple là un vivre ou en tout cas partager un bout de chemin avec quelqu'un c'est vrai que si je reste donc enfermé dans l'émerveillement du départ je condamne l'autre à être décevant et que la seule manière de pouvoir s'en sortir c'est effectivement de se dire la chance qu'on a eue de pouvoir être émerveillé une première fois et donc au moment où ça se produit avec l'expérience on peut se dire, on peut arriver à ça en tout cas, c'est d'en jouir pleinement et puis après c'est de ne plus demander à l'autre de reproduire évidemment le souvenir dans lequel je voudrais rester enfermé pour vivre autre chose avec l'autre et aller ainsi pour que la relation, pour le dire autrement et plus simplement, pour que la relation reste vivante. Souvent on se condamne dans tous les aspects de sa vie On se condamne à vivre une vie que l'on trouve finalement trop courte, trop fade, ennuyeuse, etc. parce que l'on reste enfermé dans des attentes dont on n'arrive pas à faire le deuil. Voilà, et ce sont les attentes souvent qui peuvent nous pousser en avant, c'est vrai, ça c'est le côté positif, mais c'est aussi ce qui malheureusement déprécie le réel, parce que le réel n'étant jamais à la hauteur de nos attentes, ou en tout cas rarement, cette déception, finalement c'était que ça, et c'est une espèce de vie rétrécie qu'on a l'impression de vivre. La seule manière d'en sortir, ou en tout cas une première chose que l'on peut faire par rapport à tout cela, c'est de... quand on a l'impression que la vie est mal foutue c'est de se demander si elle est réellement mal foutue en attendant elle est ce qu'elle est mais c'est probablement davantage d'interroger au regard de quoi je juge que la vie est mal foutue c'est-à-dire au regard de quelles attentes Je peux dire que comme elles ne sont pas remplies, ces attentes, elles ne sont pas rencontrées, ben oui, forcément, la vie est mal foutue. Et la question qu'on doit se poser ensuite, c'est, si j'ai des attentes vis-à-vis des gens, vis-à-vis de la vie, vis-à-vis de moi-même, etc., que valent ces attentes ?

  • Speaker #0

    Et comment lâcher ces attentes ? Ou comment faire le deuil ?

  • Speaker #1

    Il y a plusieurs voies possibles, évidemment. Donc ça, c'est un souci, évidemment. Il peut y avoir comme petit marche-pied, mais ça ne suffit pas à mon sens. Il peut y avoir la philosophie ou d'autres disciplines du même genre. Il n'y a pas que la philosophie qui parle de ces sujets-là, évidemment. Ou d'abord, on peut au moins essayer d'en prendre conscience, prendre conscience de ce qui nous agite. de ce qui nous traverse, de à partir de quoi nous vivons notre vie, si on n'en prend même pas conscience qu'on se contente de vivre. Ça rejoint le propos de tout à l'heure. On va traverser l'existence et puis on va mourir. Et si on a encore toute sa tête à ce moment-là, on se dira, c'est passé si vite et je n'ai pas compris ce que j'ai vécu. C'était donc que cela vivre. Donc, soit on traverse la vie sans se poser des questions. La philosophie peut être un des moyens qui parle à certains, qui ne parle pas à tous, mais un des moyens par lesquels on peut commencer à faire quoi. Comment c'est ? Ça, c'est la première étape, me semble-t-il. Essayer de savoir un peu qui on est. De ne pas traverser la vie comme un étranger, si vous voulez, et de mourir en ne sachant pas très bien à quoi on a joué, finalement. Et une fois qu'on connaît un peu ce qu'on est, en tout cas qu'on lève le coin de certains voiles, parce qu'on n'en finira jamais à se demander ce qu'on est, évidemment, mais une fois qu'on lève un peu le coin de certains voiles et qu'on voit, par exemple, pour revenir à notre propos, que c'est vrai que je suis traversé par des attentes. qui viennent de je ne sais pas trop où de mon éducation ma culture de mes expériences passées peut-être mais enfin après il y a toute une série d'attentes et ces attentes quand j'essaye de comprendre ce qu'elles sont je me rends compte qu'elles ne sont que dans ma tête et que la réalité n'en a que faire c'est-à-dire que ces attentes ça relève finalement de l'ordre enfin c'est de l'ordre de l'imaginaire et malheureusement les lois de l'univers n'ont que faire que j'imagine que le monde devrait être comme ceci ou devrait être autrement le monde il est comme il est donc quand je prends conscience que Mes attentes le plus souvent relèvent de l'ordre de l'imaginaire et que c'est à partir de là que je juge le monde et que bien souvent, malheureusement, ça fait apparaître le monde comme étant mal fait au regard de mes attentes. Donc voilà la question et je retrouve votre question, c'est d'abord j'en prends conscience et puis je me pose la question, c'est mais qu'est-ce que je peux faire ? Est-ce que je peux changer le monde comme il va ? il y a des petites choses qu'on peut changer, et il faut toujours changer tout ce qu'on peut changer dans le monde, évidemment. Mais par rapport à l'ensemble de l'existence et du monde en tant que tel, j'ai l'impression que je ne peux rien changer. Ce n'est pas qu'une impression, j'ai essayé une fois ou l'autre, et puis on se rend compte que ça n'empêche pas quand même les guerres, ça n'empêche pas le malheur, ça n'empêche pas les gens que j'aime de mourir, ça ne m'empêche pas moi de me tromper dans des relations, ou je ne sais pas quoi, ou de vivre des malheurs. Enfin bref, donc à un moment donné, c'est vrai que je me dis que si je ne peux pas changer le monde pour toute une série de choses... partout où je peux intervenir il faut le faire mais il y a bien des domaines par exemple je ne peux pas empêcher que je meure un jour je ne peux pas empêcher non plus que je vieillisse et que le temps passe et je peux danser sur ma tête je n'y arriverai jamais donc la question c'est si je ne peux pas garder l'instant fugace le figer est-ce que je ne devrais pas plutôt que d'essayer de le conserver et de vivre une vie de mort vivant, pour reprendre l'expression de tantôt, est-ce que je ne peux pas essayer de faire un petit effort pour me libérer des attentes à partir desquelles je déprécie le monde, ou à partir desquelles j'ai l'impression que le monde finalement c'est tellement rapide, c'est tellement malheureux, c'est tellement mal fait. Et sur les attentes qui m'animent, ça tout le monde peut le constater, c'est vrai que ça ne dépend que de moi. Encore faut-il que j'en prenne conscience, mais une fois que j'en prends conscience, peut-être que je peux commencer à faire un travail pour essayer de me libérer de ces attentes. Alors se libérer de ces attentes, ça veut dire non pas ne pas avoir d'attente, mais tout simplement apprendre à ne plus juger le monde à partir d'elle. Et quand on fait ce petit travail-là...

  • Speaker #0

    Ah oui, mais on fait comment alors ? Est-ce que c'est jouir de l'instant présent alors, qui nous permet de...

  • Speaker #1

    Vous rendez possible le fait qu'on rejouisse à nouveau de l'instant présent, quand on fait ce travail-là. Mais maintenant, comment on fait ce travail-là ? Alors, c'est pour en arriver à ça que je précise un peu les choses. Donc, la philosophie est un début. Mais malheureusement, nos attentes sont liées au viscéral, c'est-à-dire c'est souvent de l'ordre de... ou c'est en tout cas lié aux émotions.

  • Speaker #0

    C'est plus profond.

  • Speaker #1

    Donc c'est plus profond, donc la philosophie ne suffit pas. La philosophie, ce ne sont malheureusement que des mots, ce sont que des tentatives de dire les choses. Et comme le disait par exemple Spinoza, la raison ne peut rien contre les passions. Donc là, il ne faut pas être dupe, évidemment. La philosophie ou le travail de mise en mots ne suffit pas pour faire ce travail-là. Alors du coup... Comment les gens se débrouillent ? Comment vous et moi dans la vie de tous les jours on se débrouille ? C'est un peu décevant de dire ça, mais ce que l'on entend le plus, donc il n'y a pas que ça, mais ce que l'on entend le plus, c'est que c'est tout simplement à l'usure de l'expérience de la vie que beaucoup parmi nous, on corrige un peu les attentes qu'on avait au départ par rapport à la vie. Donc en d'autres termes, c'est terrible de dire ça, mais c'est quand on se casse la figure.

  • Speaker #0

    C'est l'expérience.

  • Speaker #1

    Donc c'est l'expérience de l'échec, c'est l'expérience de la déception éventuellement, de l'ennui dont on parlait tout à l'heure. Enfin voilà, c'est à l'usure du monde et pas à travers bien souvent des grandes théories que l'on se dit mais ça ne va pas, je ne suis pas bien. Et c'est parce que je ne suis pas bien qu'en général on se met en mouvement ou bien on est cassé évidemment. Mais dans la majorité des cas où on arrive à se relever et puis on ne veut pas rester dans un... un marasme insupportable, et donc on se demande comment je peux agir, et c'est dans ce mouvement-là où je ne me sens pas bien, qu'en réalité ce qui se joue par-delà ce que j'imagine, ce qui se joue c'est quoi ? C'est le fait que mes idéaux, mes attentes, ce que je rêve, etc., ça commence à être mis en question. Donc en d'autres termes, ce que je veux dire, c'est que pour beaucoup d'entre nous, et pour tout le monde, même pour les philosophes, Il y a pas mal d'attentes qui nous enferment, qui nous empêchent de vivre, qui sont remises en question simplement du fait de vivre, si vous voulez. Et de se confronter aux autres, de se confronter à la dureté du monde, de se confronter à... Et de constater, de vivre dans son corps, dans sa chair, le fait que le monde ne fonctionne pas comme moi je voudrais bien.

  • Speaker #0

    Donc ça, vous pouvez nous donner un exemple concret ?

  • Speaker #1

    L'exemple le plus simple, évidemment, qui est relativement général. c'est celui de vieillir. Il y a un moment où le fait d'être pris dans le temps, c'est ce qu'on appelle dans des beaux savants, on appelle ça la sénescence, le phénomène de vieillissement. On peut toujours en parler, et tant qu'on tout va bien, ce sont que des théories, effectivement. On peut faire des beaux discours sur le fait de vieillir, tout ce qu'on veut, et on brasse de l'air, quoi, si vous voulez, mais en même temps, on dit peut-être des choses intéressantes. Mais pour chacun d'entre nous, comment est-ce qu'effectivement le franc va tomber ? C'est-à-dire, comment est-ce que je vais intégrer dans ma vie le fait que je suis une personne vieillissante ? Tant que je peux croire que je suis jeune, que tout va bien. je laisse causer les autres. Alors, de nouveau, les autres disent peut-être des choses intéressantes, ça me fait réfléchir, mais vous comprenez, ce ne sont que des mots. Dans ma vie, en attendant, je vis comme si j'avais 25 ans, et même si j'en ai 50, tout va bien, la vie me sourit, j'ai toujours la santé, j'ai tout ce que vous voulez. Comment est-ce qu'on fait ? Les gens le racontent. Comment est-ce que tout d'un coup le franc tombe ? Je vais vous donner un exemple tout simple, et là c'est le réel qui nous rappelle à l'ordre. C'est par exemple le jour où on vous dit madame monsieur voilà vous avez un petit souci de santé je vais vous envoyer en gériatrie ah ben y a des patients qui racontent quand j'ai entendu ce mot-là je vais être en gériatrie là tout d'un coup c'est tout ce que je croyais être qui s'effondre l'image de moi-même et on me renvoie une réalité et c'est terrible c'est horrible on me renvoie une réalité qui est que ben oui c'est vrai que j'ai soixante-cinq ans Et c'est vrai que le temps est passé, enfin. Mais tant que je n'ai pas entendu ça, tant que je n'ai pas été confronté à la réalité, non pas d'une maladie, parce que quand on est jeune, on peut aussi être malade, mais que tout d'un coup, on me dit, voilà, vous, ce sera en gériatrie. Là, il y a quelque chose qui se joue. Enfin, pour certaines personnes, ce n'est pas une règle générale, mais c'est un événement dans l'expérience. Ce n'est pas moi qui fais un travail sur moi-même, etc. C'est tout d'un coup le réel qui me rappelle alors. Et alors, soit je suis blessé. Et de nouveau, pourquoi est-ce que je suis blessé ? C'est parce que dans ma tête, je suis toujours quelqu'un. Et à un moment donné, soit je m'ajuste, soit je reste convaincu que je suis jeune. Et donc, c'est dégueulasse de m'avoir dit ça comme ça. Et je serai en colère contre la paix. Donc, en fonction de l'attitude que l'on aura. et de la confrontation réelle, du regard que les autres portent sur nous, par exemple, dans le quotidien, c'est vrai que c'est dans cette vie-là réelle que tout d'un coup, on est mis en décalage, en porte-à-faux. Ça ne cadre pas avec comment on perçoit la vie. Et donc de deux choses. L'une, soit je dis aux autres maintenant vous vous taisez, ce que vous dites est scandaleux quand vous me dites que je dois aller en gériatrie ou bien alors je me dis ma représentation de moi-même doit peut-être changer, parce que c'est vrai que j'ai tel âge, c'est vrai que le temps est passé, c'est vrai que je ne peux pas faire marche arrière Je peux bien me teindre les cheveux ou faire des liftings ou je sais pas quoi pour essayer de garder l'apparence, mais en attendant j'ai l'âge que j'ai et c'est vrai que peut-être c'est plus facile, en tout cas j'ai prise là-dessus, d'essayer d'accepter ce que je suis. qui sera en phase avec ce que le monde par ailleurs me renvoie, que de continuer à jouer un jeu qui, à un moment donné, devient tellement en décalage que ça devient intenable. Donc s'il faut prendre une expérience générale, dans des choses que l'on entend, c'est ce genre de... Plus jeune. Donc ici, ce n'est même pas une personne de 65 ans, c'est une personne qui a une jeune dame, si on veut, en tout cas par rapport à mon âge, et elle me dit que j'ai été choqué. Et elle a vécu mal le jour où dans les transports en commun, il y a quelqu'un qui s'est levé et qui m'a dit Madame, si vous voulez vous asseoir et en désignant la place qu'il venait de libérer. Et ce qui a choqué cette jeune femme, c'est quoi ? C'est pas qu'on lui propose de s'asseoir, mais c'est qu'on lui ait dit Madame Donc vous voyez, c'est une bêtise, c'est deux fois rien, mais c'est rester dans sa tête comme étant quelque chose de… Mais voilà qu'on me parle comme une madame, et puis tout d'un coup, c'est vrai que j'ai 30 ans, je ne sais plus quel âge elle avait, mais en tout cas, elle était relativement jeune, et ça a été un choc. Et puis après, c'est vrai que je ne suis plus une étudiante, c'est vrai que je suis maman d'enfant. Et tout d'un coup, l'image, la réalité qui est la sienne, a pu se réconcilier avec la représentation qu'elle avait d'elle-même. Mais ça a demandé qu'elle sorte d'une espèce de... d'illusion, si vous voulez, de représentation non interrogée de soi, où j'ai l'impression que je suis toujours la même personne et que je suis toujours jeune. Tout d'un coup, il y a un petit événement.

  • Speaker #0

    Une petite chose qui fait que... On parlait du fait d'accepter, effectivement, de vieillir et que ça nous ramenait à plusieurs choses, à nos limites, à nos relations et aux sentiments d'injustice et à l'avenir. Est-ce que vous pourriez un petit peu développer ces trois aspects ?

  • Speaker #1

    Quel que soit le deuil que l'on a à faire, c'est vrai que ça bouleverse les vrais deuils. Avant de commencer, on pourrait peut-être d'abord donner une définition de ce qu'est le deuil, en tout cas une caractéristique du deuil. Le deuil concerne toutes les situations que nous vivons qui sont par définition donc irréversibles. Donc c'est ce qui permet de distinguer le deuil d'une crise par exemple. Donc tout n'est pas deuil évidemment. Donc par exemple, je peux passer un mauvais moment dans ma vie, et puis quand j'ai traversé ce mauvais moment, qui peut durer, mais enfin peu importe ici, une fois que j'en suis sorti, je reprends plus ou moins ma vie comme avant. Dans ce cas-là, vous n'avez pas vécu un deuil, vous avez vécu une crise. Quand on est dans un deuil, quand vous allez recommencer à vivre un peu, quand on sort du chagrin, de la tristesse, de la colère, enfin que voilà, on sort du mauvais moment qu'on a traversé à cause d'un deuil, vous n'allez plus. Retrouvez la vie d'avant. Vous ne recommencez pas à vivre comme avant. Donc vous êtes dans quelque chose qui est irréversible, qui vous empêche de pouvoir revenir en arrière.

  • Speaker #0

    C'est une question de rupture ? Il y a une rupture ?

  • Speaker #1

    Donc ça veut dire qu'il y a un avant et un après. Et donc il y a quelque chose de l'ordre d'une rupture, si vous voulez. Et dans ce cas-là, alors vous êtes dans un deuil. Donc le mot deuil est réservé à toutes ces expériences dans la vie où il y a un avant, il y a un après, et je ne suis plus le même qu'avant une fois que je remonte la pente et que je commence à revivre un peu. On a été transformé, si vous voulez.

  • Speaker #0

    Par rapport à la société dans laquelle on est aujourd'hui, qui est quand même une société où on est en transition avec le Covid il y a quelques années, puis la crise économique, les bouleversements sociaux, est-ce qu'on est dans un processus de deuil par rapport à une société d'avant, une société qui se transforme ? Ou bien on ne parle pas là d'un deuil ?

  • Speaker #1

    Là, on parlera plutôt d'une crise, parce que si vous regardez avec la crise Covid, c'est l'expression qu'on a consacrée finalement. Donc là, pour le coup, c'est tout à fait judicieux. Donc quand vous regardez la crise Covid, on a repris notre vie comme avant. Et sur toute une série de plans, c'est même pire qu'avant. Malheureusement. Les avions redécollent encore plus qu'avant. On aurait pu espérer, il y a des gens qui avaient espéré ça, je ne sais pas si vous vous souvenez, que ce soit effectivement un moment de rupture, ce qu'on appelle maintenant la crise Covid, pour pouvoir ouvrir un nouveau monde, un nouveau rapport éventuellement au travail, avec les problèmes d'environnement. Puisqu'on avait mis les compteurs à zéro, on avait arrêté le jeu économique, c'était l'occasion de se demander si on ne pouvait pas redémarrer un peu autrement. Et là, on aurait été dans un avant et un après. Ici, non, pas du tout. Donc, on essaie d'oublier le plus vite possible et on repart dans le monde. Et on retravaille comme avant et on retrouve tout ce qu'on a laissé avant. Enfin, voilà. Maintenant, petit détail pour des personnes individuelles. qui ont perdu par exemple un être cher pendant la crise Covid, pour des parents qui ont vu leur enfant en décrochage, je ne sais pas quoi, là, ce n'est pas tout à fait une crise. Là, ça devient plus un deuil. Il y a un avant et un après. Avant, mon père, ma mère ou je ne sais pas qui, j'étais toujours avec. Et puis, je pouvais les voir, je pouvais discuter avec eux. Et puis, ils sont morts à cause du virus ou je ne sais pas quoi. Peu importe, ils sont morts durant cette période-là. Et maintenant que la crise est terminée, ma vie n'est plus la même qu'avant. parce que j'ai perdu un être cher ou plusieurs êtres chers. Quand on discute dans le monde hospitalier avec des soignants qui ont perdu des collègues, Là, c'est clair que pour eux, ce n'est pas une crise. Il y a un avant et un après. Chaque jour où ils retournent à leur travail, c'est pour retrouver un lieu où il n'y a plus le collègue qui était censé encore être là. De manière sociétale, la crise Covid a bien été une crise et la société a repris la route. On est reparti pour faire tout et n'importe quoi. Mais au niveau individuel maintenant, il faut discuter avec les gens. Pour certains, ce n'est pas une crise. qu'il faut oublier. On n'en est pas sortis indemnes. Il y a des jeunes pour lesquels on sait bien qu'il y a eu un phénomène de décrochage. Il suffit de parler avec les psychiatres, les pédopsychiatres. Ça a été difficile et donc ce sont des familles qui sont touchées en plein cœur. Enfin bon, toujours est-il que. Donc quand on parle de deuil, ça c'est la première chose quand même qu'il faut rappeler. C'est que vous parlez uniquement des situations et il y en a une infinité dans notre vie où il y a un avant et un après. Et impossible de revenir en arrière. C'est toute la discussion qu'on a eue. précédemment le temps qui passe fait que la minute que vous vivez maintenant vous ne la revivrez plus jamais vous pouvez en avoir la mémoire mais vous ne pourrez pas faire marche arrière et la revivre enfin voilà donc déjà rien que d'être dans le temps Un être vieillissant, nous sommes condamnés à devoir en permanence, de manière irréversible, nous libérer de la minute écoulée pour accepter de vivre la suivante.

  • Speaker #0

    Donc la vie est un processus de deuil.

  • Speaker #1

    Alors de ce point de vue-là, ce n'est pas comme ça qu'on le dira, mais c'est ça l'idée. Si on est d'accord pour réserver le mot deuil à l'irréversibilité de l'existence qui nous condamne donc à lâcher ce qui est irréversiblement perdu, ça ne sert à rien de vouloir le maintenir à tout prix. Il est perdu, il est perdu. Ça veut dire, et c'est pour ça que les philosophes s'intéressent à la question, donc on dira dans le jargon des philosophes, l'essence même de l'existence, ce que c'est que de vivre, si on veut rester vivant dans la vie, c'est précisément, ce n'est pas que ça, mais pour rester vivant et pour pouvoir continuer à jouir de l'existence, c'est constamment de pouvoir nous libérer, donc lâcher, faire le deuil.

  • Speaker #0

    de tout ce que nous avons vécu, que ce soit des moments malheureux ou que ce soit des moments heureux. Peu importe, mais c'est en me libérant du passé, en en faisant un souvenir, et en arrêtant de vouloir que le passé dure, qu'on peut s'ouvrir à un avenir, aussi court soit-il. Donc vous pouvez avoir des personnes âgées, qui savent bien que statistiquement, elles n'en ont plus pour 50 ans à vivre, mais néanmoins, d'être dans ce mouvement-là, c'est ce qui va se traduire par, vous le disiez tout à l'heure très justement, par le fait qu'on va essayer de continuer à jouir de l'instant présent. Mais vous vous rendez bien compte que pour jouir de l'instant présent, si je suis enfermé dans mes souvenirs et que le bon vieux temps est le seul temps heureux de ma vie, je dilapide l'instant présent. Je perds l'instant présent pour en faire le moment nostalgique et donc souffreteux du regret du temps écoulé. Donc ça, ce n'est plus une vie.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qu'on dit alors à quelqu'un qui est enfermé justement là-dedans ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qu'on lui dit, on essaye tout simplement, il me semble en tout cas, dans ce que l'on peut faire quand on accompagne des gens qui sont là-dedans, c'est d'abord d'essayer de les entendre, donc de les entendre dans ce regret, etc., dans la nostalgie, dans le souvenir des bons moments. Et puis après, alors, ce que l'on fait, en tout cas, moi je ne suis pas thérapeute, mais dans ce que l'on entend que les thérapeutes font, ou dans ce qu'on peut faire en philosophie, quand on est dans un entretien philosophique, c'est à un moment donné... de moins se concentrer, donc de moins écouter ce que la personne dit de son passé, là où elle fouille, là où elle se projette, donc on essaye de faire moins attention à ça que à la façon qu'elle a d'en parler. Donc par exemple, imaginons que mon conjoint soit décédé, voilà j'ai 65 ans, 70 ans, 80 ans, enfin peu importe, et je ne vis plus que dans le souvenir de ce bon vieux temps où j'étais avec la personne que j'aimais. Ce que l'on peut faire, c'est soit de parler pendant des heures et des heures du conjoint disparu, et du temps passé, de ce temps qui ne reviendra pas, etc. Ou bien alors, je peux essayer, quand j'accompagne quelqu'un, je peux essayer d'entendre comment est-ce qu'elle parle de ce bon vieux temps. Pour essayer de faire quoi ? Pour essayer tout simplement de la ramener à aujourd'hui, là maintenant. Et par exemple, on peut dire à quelqu'un, pendant que vous me parlez de votre maison, de votre métier quand vous travaillez, de tout ce que la personne regrette, de cette relation qui a été perdue éventuellement, de cette rupture que vous avez vécue, Je sens, je perçois que vous êtes triste ou Je perçois que vous êtes en colère ou Je perçois que… ce genre de choses. Quand vous faites ça, c'est tout bête. Vous sortez de l'écoute de ce qui est dit pour vous intéresser à comment la personne le dit. Et vous essayez de nommer, mettre des mots, toujours mettre des mots, essayer de nommer ce que la personne vit pendant qu'elle se remémore ce bon vieux temps où tout allait mieux, où tout était merveilleux. Et quand on fait ça donc, ce que l'on essaye de faire, c'est de la ramener. en accord dans l'instant présent qu'elle est en train de vivre, qui n'est donc pas très joyeux, si on est dans la nostalgie, le regret ou je ne sais pas quoi, mais au moins d'essayer de la sortir de cette fuite en avant dans les souvenirs, pour essayer donc de retrouver ce qui est encore vivant. Être malheureuse, c'est encore être vivant. Et puis à partir de là, alors en fonction de ce que la personne vous raconte, en fonction de ce qu'elle dit, des perches qu'elle tend, c'est d'essayer d'interroger pourquoi elle est malheureuse, pourquoi elle est en colère. quelle est la bonne raison ? C'est la question que j'ai tendance à poser. C'est quelle est la bonne raison qui fait que quand vous vous souvenez de tel moment, je perçois qu'il y a toujours un petit pincement au cœur. Et alors une fois qu'on fait ça, on retrouve quoi ? Ce dont on parlait tout à l'heure, ce qu'on retrouve alors, ce sont les attentes. Mais je pense qu'elle aurait dû toujours être là. Pourquoi est-ce qu'elle est partie avant moi ? Pourquoi est-ce que je suis ici maintenant ? Donc c'est d'interroger les attentes au regard desquelles la situation présente est insupportable, et à partir de là, de faire un travail sur les attentes. Donc ça c'est un truc possible, mais le problème évidemment dans ce dont nous parlons ici, c'est qu'il n'y a pas de recette.

  • Speaker #1

    Non, il n'y a pas de recette.

  • Speaker #0

    Mais c'est une manière de faire, c'est toujours de sortir des projections dans le passé bien souvent, ou dans le constat que le monde est mal fait, pour essayer de retrouver ce qui est vivant chez la personne, et qui est d'abord... quelque chose de l'ordre de la souffrance, puisqu'on se plaint, puisqu'on n'arrive pas à lâcher, etc. Et puis c'est de creuser cette souffrance-là. Et l'autre manière de faire, dont on parlait tout à l'heure, c'est de permettre à la personne d'aller jusqu'au bout de sa souffrance. Donc, ce n'est pas simplement de parler sur la souffrance pour dire, derrière votre souffrance, il y a des attentes et vous pourriez, etc. Tout ça, c'est des conseils qui n'ont aucun intérêt. Mais enfin, mettre des mots, ça peut être intéressant déjà, ça peut aider à prendre confiance. Et puis, c'est de permettre à la personne de continuer à ne pas lâcher l'affaire, à rester accrochée à ses attentes. pour le moment en tout cas, et puis de s'user, de s'user jusqu'au moment où avec les mots, avec l'attention qu'on a, etc., pour elle, peut-être qu'elle osera avoir un peu de bonheur dans l'instant présent. Par exemple, il y a des gens, je dis ça parce que je pense à une situation qui est... relativement habituel. Tout le monde ne vit pas ça. Mais il y a des gens qui vont, en étant dans ces moments de deuil-là, qui vont s'interdire d'être heureux parce qu'ils ont l'impression qu'en étant heureux maintenant, en riant, en partageant un bon moment, ils trahissent la mémoire, par exemple, d'un défunt. Et donc, il s'empêche littéralement. C'est faire tout ce travail pour essayer de retrouver l'instant présent, et puis là-dedans, de retrouver peut-être une forme de liberté, de pouvoir encore être heureux, même si j'ai perdu ceci, même si je ne ferai pas marche arrière, même si je ne pourrai pas retrouver mon passé. Mais c'est maintenant que je vis, et c'est maintenant que je dois essayer encore peut-être d'être heureux. Voilà, et donc c'est ça qu'on essaye de faire, bien évidemment.

  • Speaker #1

    Et par rapport à l'expérience de... Donc vous parlez dans votre livre de finitude, solitude et incertitude. Est-ce que vous pouvez expliquer en quelques mots ?

  • Speaker #0

    Oui. Donc quand on se demande, quand on a le luxe de pouvoir ne pas être confronté à un deuil. Donc on en a vécu, enfin j'en ai vécu comme tout le monde. Mais pour le moment, ça va bien. Une question qu'on peut se poser, quand on est en deuil, on s'en fout de ces questions-là, évidemment. Mais pourtant, c'est important. Mais voilà, c'est en général quand on va un peu mieux qu'on peut commencer à se poser ce genre de questions. Laquelle ? Qu'est-ce que les deuils révèlent de ce que je suis en tant qu'être humain ? Quand je perds tout ? ma vie bascule. Imaginons des deuils importants. Je perds mon emploi, je perds ma santé, je perds quelqu'un que j'aime, peu importe. Ma vie bascule et j'ai l'impression que tout devient absurde. La question qu'on va poser, c'est plutôt que de dire il n'y a plus rien, je suis foutu, autant se tirer une balle dans la tête. La question qu'on peut encore poser, que les psys aussi posent, donc une fois encore, les philosophes n'ont pas de monopole là-dessus, sur la question et sur la manière d'y répondre. Mais quand on se demande, mais qu'est-ce qui reste de moi quand je suis complètement anéanti ? quand j'ai été secoué par la vie. Et ce que l'on découvre, en tout cas, ce que les philosophes arrivent à dire sur cette question-là, donc ce n'est jamais qu'une partie de ce que nous sommes, on n'épuisera jamais le sujet, mais ce que l'on découvre, c'est que dans le fond, dans les deuils, et c'est vrai que c'est dur, c'est pas très sympathique de prime abord, et pourtant c'est tellement important. c'est qu'il y a trois caractéristiques de notre existence qui là tout d'un coup émergent, apparaissent si vous voulez, et pas simplement intellectuellement. Mais quand on vit un deuil, on le vit. C'est ça qui est terrible. Alors la première chose que l'on découvre, c'est quoi ? C'est que je suis quelqu'un qui est limité.

  • Speaker #1

    Donc on veut l'expérience de ses propres limites. Voilà.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas pu empêcher le drame de se produire. Je n'ai pas pu retenir le passé. Je n'ai pas pu retenir la personne que je l'aimais. Et du coup, je ne suis pas tout puissant. En tout cas, je ne mène pas ma vie comme je le voudrais. Et là, ce que je découvre, et dans les deuils, c'est donc ce qui apparaît d'abord dans les tripes, avant que ça ne vienne au langage. Ce que l'on découvre, c'est que nous sommes quelqu'un qui est donc limité. Alors maintenant, vous voyez l'affaire. Si je ne supporte pas d'être quelqu'un qui est limité, les deuils, c'est horrible, parce que là, tout d'un coup, il n'y a plus de masque. Je me vois comme je suis. Je suis impuissant. Je pleure. Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. Je suis anéanti. Je fais l'expérience de mes limites. Si je n'aime pas ça, le fait d'être limité, Que je veux continuer à rester tout-puissant, vous comprenez l'affaire, on rejoint ce qu'on a déjà dit tout à l'heure, c'est-à-dire que plus je veux rester tout-puissant, plus je vais évidemment souffrir d'être ramené à mes limites. Et tous ceux qui me rappellent que je suis d'ailleurs limité, je ne les supporte pas ces gens-là. Enfin bref, je vais être en guerre totale. La seule chose que l'on peut faire quand on est confronté à ses limites, Alors on peut toujours travailler ses limites pour essayer de les reporter, mais il y a des limites aux limites. Il n'y a pas moyen de faire autrement. Et donc, dans les deuils, c'est ce qui apparaît. Eh bien, ce que je peux faire pour essayer de m'en sortir, c'est quoi ? C'est essayer tout simplement de me réconcilier avec le fait que je suis limité. D'accepter que je ne peux pas tout, que je ne peux pas tout pour les gens que j'aime, que je ne peux pas tout dans le monde du travail où je suis, où pourtant je travaille bien, ça n'empêche pas que je puisse être licencié, etc. Donc c'est d'accepter. Que je ne suis qu'un humain, qu'un homme, une femme, que je suis quelqu'un qui est limité, qui doit faire tout ce qu'il peut évidemment quand il agit, mais faire tout ce que je peux, ce n'est pas faire tout ce que j'aimerais bien.

  • Speaker #1

    Que je fais ma part.

  • Speaker #0

    Je dois faire ma part, mais c'est une part qui est limitée finalement, par rapport à tout ce que j'aimerais bien pouvoir faire. plus je suis à l'aise plus je me réconcilie avec le fait que je suis quelqu'un qui est limité moins je souffrirai d'y être confronté dans les deuils par exemple ou dans les aléas de la vie par contre plus je veux être tout-puissant Et mener ma vie comme je veux, comme je l'entends, etc. Chaque fois que la vie va me ramener à mes limites, c'est un supplice, c'est insupportable. Si je veux essayer de traverser les épreuves que la vie m'impose, vous avez là une direction à suivre. C'est de faire avec ses limites. Donc ce qui suppose une chose, quand je travaille avec des gens, parfois je pose cette question-là, c'est est-ce que vous êtes d'accord pour dire qu'en tant qu'être humain, qu'on le veuille ou pas, qu'on l'aime ou pas, on est quelqu'un qui est limité. Alors tout le monde, évidemment, oui, c'est vrai qu'on est limité, on le sait bien, etc. Maintenant, deuxième question, c'est celle-là qui est redoutable. Donc vous êtes d'accord pour dire qu'on est limité. Est-ce que vous pouvez, là, tout de suite, maintenant, sur la table, me dire cinq limites qui vous caractérisent, vous, comme être humain ? Et là, en général, j'ai un blanc, c'est-à-dire que les gens doivent réfléchir. Donc on sait qu'on est limité, mais on ne sait pas mes limites à moi. Ce n'est pas celle de mon voisin. On est tous différents. Est-ce que je me connais un petit peu, quand même, pour dire, Eh bien voilà, moi, je sais bien que là, ça ne va pas, que... Les gens ne savent pas. Et donc voilà qu'on retrouve le thème de tout à l'heure. La majorité d'entre nous... Nous traversons la vie et probablement, enfin non ça c'est sûr, nous mourrons, mais probablement sans savoir qui on est. Même concernant nos limites, c'est quand même terrible qu'il faille qu'on se casse la figure pour les connaître. Et encore le plus souvent, quand on ne comprend pas trop ce qu'on vit dans ces moments-là, on va passer son temps à essayer de fuir ça, parce qu'on ne supporte pas d'y avoir été confronté évidemment. Donc ici en philosophie, mais c'est comme ce qu'on fait aussi en psychothérapie. Quand vous avez des gens qui sont bouleversés par la vie, on va les aider à essayer de non pas fuir ce qui se révèle dans ces moments où les masques tombent. On va essayer au contraire de regarder ce qui reste de nous et puis on va essayer d'amener la personne à aimer ça. Pourquoi ? Mais c'est parce que c'est ce qu'on ne peut pas vous reprendre. C'est ce que vous êtes. Quand la vie vous reprend tout, voilà ce qui reste de vous. C'est l'ossature si vous voulez. Et donc si vous pouvez aimer ce que vous êtes en tant que limité, et puis après essayer de construire à partir de là, évidemment ne pas s'y réduire, mais si au moins vous pouvez aimer ce que la vie ne vous prendra jamais, les limites qui sont les vôtres, votre vie peut commencer à avancer, même quand vous traversez des moments qui vous y ramènent. Vous comprenez ? C'est enlever les couches. Voilà, et c'est ce qu'on appelle, exactement, tout à fait, c'est le pouvoir des deuils, c'est pour ça qu'on aime assez bien l'expérience du deuil, même si c'est désagréable le plus souvent, c'est parce que c'est une expérience qui nous dépouille. Là, tout d'un coup, c'est pas qu'une idée de philosophe, je vois bien que j'y arrive pas, une mise à nu, tout à fait. Et donc les philosophes contre nature vont, puisque la nature nous pousserait à essayer de fuir ça, donc de ne pas s'y confronter, ce que font les philosophes souvent c'est de dire, on va s'y arrêter. Et on va essayer d'abord de voir ce que c'est, est-ce qu'il y a quelque chose ou pas, est-ce qu'on peut mettre des mots là-dessus. Et pour reprendre votre question de tout à l'heure, c'est ce que l'on appelle effectivement la finitude. Donc nous sommes, bon c'est jamais qu'un mot ça, mais c'est pour essayer de dire. ce que nous sommes en tant qu'êtres humains. Nous ne sommes pas quelqu'un de tout puissant, nous sommes quelqu'un qui est fini. Et donc, il vaut mieux essayer d'aimer ce que nous sommes réellement plutôt que d'aimer un rêve de nous-mêmes qui n'existe que dans nos désirs. Donc, il faut essayer d'aimer cette finitude le plus possible.

  • Speaker #1

    Et donc, pour terminer, parce que je vois qu'il reste 2-3 minutes, et ça touche aussi à nos relations et aux sentiments d'injustice, est-ce que vous pourriez expliquer ça ?

  • Speaker #0

    de la bande, quoi, si vous voulez. Et c'est vrai que le désir de fusion est peut-être un peu fort, mais maintenant, pensez à des relations comme avec nos enfants ou avec nos amours. C'est vrai qu'avec nos amours, il y a l'idée de fusionner avec un être cher, évidemment, qu'on fasse un à deux, si vous voulez. Et concernant les enfants, ce n'est pas compliqué de percevoir. On aime bien tous les enfants du monde, mais nos enfants, on les a dans la peau. Il y a quelque chose, s'ils ne vont pas bien, je ne vais pas bien. Donc il y a quelque chose de fusionnel là aussi. Et ce que les deux nous rappellent. Donc là, on peut prendre l'exemple de la mort, pour le coup. Ce que la mort des gens que nous aimons nous rappelle, c'est qu'on a beau croire qu'on fusionne, on a beau même avoir l'impression réelle qu'on est proche, qu'on fait partie de la même histoire, de la même vie, etc. Ce que la mort nous rappelle, c'est pour ça que les philosophes méditent beaucoup la mort, c'est que l'autre ne nous appartient pas. Et que donc cette idée de fusion est une illusion. Et quand vous découvrez ça... à travers les trahisons, à travers les problèmes de communication, et puis à travers la mort de l'autre, qui est l'expérience la plus radicale, évidemment, parce que celle-là, elle était réversible. Quand vous découvrez ça, ce que vous découvrez c'est quoi ? C'est un drôle de paradoxe. C'est qu'à la fois je suis en relation avec les gens que j'aime, et même ceux que je n'aime pas d'ailleurs, donc on est en relation, et ces relations me modifient, elles me rendent heureuse ou bien elles me rendent malheureux, heureux ou malheureux, mais en attendant, même si ces relations sont bien réelles et ont un impact sur moi, ce qui est important de voir, c'est que je suis pourtant dans ces relations une solitude. C'est-à-dire que je ne rejoins jamais l'autre. Et ça, c'est ce que les deux nous apprennent.

  • Speaker #1

    Qu'on est seul.

  • Speaker #0

    Donc, on est en relation, mais au cœur des relations. Donc, c'est un paradoxe, parce qu'on dit deux trucs opposés. À la fois, je suis en relation et je suis nourri par ces relations. Et pourtant, en même temps... Je n'arriverai jamais à rejoindre la personne que j'aime. C'est curieux, il m'échappe toujours. Je n'ai que son corps, je n'ai que ses mots, mais je ne peux pas retrouver son vécu et partager son vécu. Et c'est là qu'il y a une solitude qui est donc une solitude indépassable. Et une fois encore que la mort vient consacrée, effectivement. On peut vivre à deux toute sa vie. La mort me rappelle qu'on n'a jamais été un à deux, on a toujours été deux et on est resté deux. Ça n'empêche pas qu'on a été en relation, mais c'est vrai, jamais je n'arriverai à rejoindre l'autre dans ce qu'il vit, là où il s'éprouve d'une façon ou d'une autre. Et alors pour l'autre thème, dans notre rapport à l'avenir, c'est vrai que là aussi il y a un désir qui est à l'œuvre, et qui est le désir qui est, par exemple, un désir qu'on pourrait traduire en termes d'attente légitime. Si je fais quelque chose de bien, il m'est dû que j'ai un merci, si vous voulez. Voilà, les attentes par rapport à... Si j'ai été gentil, il m'est dû que je sois récompensé, que j'ai une vieillesse heureuse, enfin voilà, ce genre de... Et ce qu'on découvre à travers l'histoire des uns et des autres, et à travers notre propre histoire, c'est que malheureusement, vous pouvez avoir été gentil, par exemple. le destin peut s'acharner sur vous et vous tomber dessus et vous mourrez avant même de pouvoir profiter de votre pension enfin bref il n'y a rien qui est dû à personne et là aussi c'est la même réflexion plus je veux vivre une vie dans laquelle tout m'est dû où elle est prévisible. Si je fais ça, forcément j'aurai ceci, l'injuste sera forcément puni, le juste sera forcément récompensé. Plus je veux vivre une vie dans laquelle je crois que tout est dû aux braves, aux gentils, etc., plus je vais aller de désillusion en désillusion.

  • Speaker #1

    Et plus je fais l'expérience du sentiment d'injustice.

  • Speaker #0

    Voilà, et c'est le sentiment d'injustice qui apparaît là. La vie est mal foutue. Enfin, moi j'ai tout bien fait. Et voilà que je dois mourir à 65 ans parce que j'ai un cancer. Et mon voisin qui est un salaud de première catégorie, qui a fait tous les mauvais coups possibles, jusqu'à trahir sa femme, enfin je ne sais pas quoi, ses enfants. Et lui, il a 85 ans, il a une santé, il fait encore du vélo. Enfin zut, il y a quelque chose d'injuste. Et bien, ce que ça nous apprend, c'est tout simplement que dans la vie, il n'y a rien qui est dû à personne. et ce qu'on doit donc essayer d'accepter le plus tôt possible, il ne faut pas attendre d'être vieux pour ça, c'est que la vie que nous vivons est une vie incertaine, incertitude de l'existence, et que c'est dans une vie qui ne nous doit rien qu'on doit essayer d'être heureux. Alors la chose positive, et on peut terminer avec ça si vous voulez, la chose positive c'est quoi ? C'est que si la vie ne me doit rien et que je veux quand même être heureux, ça veut dire au moins une chose, que je dois me bouger pour essayer d'être heureux. Et donc ça se traduit par une invitation. Vous voulez être heureux, n'attendez pas que la vie vous tombe dessus et vous donne le bonheur que vous attendez. Puisque la vie ne vous doit rien, et bien bougez-vous pour essayer d'être heureux. et donc nous sommes renvoyés à notre propre responsabilité.

  • Speaker #1

    Eh bien, un tout grand merci Jean-Michel Longnot pour votre participation aujourd'hui. Je me réjouis de vous écouter bientôt en conférence, puisque j'organise un cycle de conférences avec vous à partir du mois d'octobre. Donc octobre, novembre, décembre, vous serez avec nous à la Vénérie. On parlera du deuil et de l'expérience de nos limites. du deuil et quand le deuil touche à nos relations et deuil et sentiments d'injustice donc ces trois conférences un cycle de trois conférences à la veinerie vous trouverez toutes les informations sur mon site donc trois fois w sandrine corbiot point b e slash agenda donc sur la page agenda Je me réjouis de ces trois moments avec vous. Vous serez également au Matin Philo. Vous animerez un cycle de conférences sur Spinoza. Vous trouverez toutes les infos sur le site des Matins Philo. Et puis, si vous voulez aller plus loin, évidemment, il y a le livre Finitude, Solitude et Incertitude, Philosophie du deuil, qui a été publié aux éditions. Puff ?

  • Speaker #0

    Puff.

  • Speaker #1

    Puff, voilà. C'est Puff. Voilà, un tout grand merci en tout cas.

  • Speaker #0

    Avec plaisir.

  • Speaker #1

    Et moi, je vous donne rendez-vous au prochain épisode. Et si vous avez envie d'avoir plus d'infos sur mes actualités, n'hésitez pas à vous inscrire à ma newsletter. Donc, www.sandrinecorbio.be slash newsletter. Je vous souhaite une très bonne après-midi et à très bientôt. J'espère que ce podcast vous a aidé à se miner. Si vous avez aimé ce podcast, n'hésitez pas à le partager ou à le commenter. Et si vous voulez plus d'infos sur mes activités, n'hésitez pas à vous inscrire à ma newsletter. Je mettrai tous les liens sous ce poste. Ce podcast fait aussi partie d'une émission diffusée sur Radio Alma tous les deuxièmes mardi et dernier mardi du mois. J'en profite pour remercier David Martinez pour la réalisation de ce podcast. Pour rappel, je suis Sandrine Corbiot, j'adore faciliter les prises de conscience et le changement et je me réjouis de vous retrouver la prochaine fois. A bientôt !

Description

Nul n'échappe aux deuils : non seulement à travers la mort d'un être cher, mais aussi à travers les multiples pertes auxquelles le simple fait de vivre nous expose tous.

...Qu'il s'agisse d'une rupture amoureuse, la perte d'un emploi, un exil forcé, les enfants qui quittent le nid, tomber malade, vivre un échec, ou tout simplement vieillir.


Dans cet épisode, j'ai le plaisir d'accueillir Jean-Michel Longneaux, Docteur en philosophie et auteur du livre « Finitude, solitude, incertitude ».

Ensemble, nous explorons le thème du deuil.


Jean-Michel Longneaux nous éclaire sur la manière dont ces expériences de perte nous façonnent, révélant notre vulnérabilité et nous offrant l'opportunité de renaître à nous-mêmes.

Un épisode qui invite à la réflexion et à la transformation intérieure.


Ressources :

Le livre de Jean-Michel Longneaux : "Finitude, solitude, incertitude"

Cycle de conférences sur le deuil - à partir du 8 octobre 2024 :

Rejoignez-nous pour un cycle de conférences sur le deuil animé par Jean-Michel Longneaux

A suivre en présentiel : https://www.sandrinecorbiau.be/agenda

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  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans J'ai 50 ans et alors, un podcast qui accompagne nos transitions. Je suis Sandrine Corbiot, j'adore faciliter les liens, les prises de conscience et le changement. Dans ce podcast, je vous partage des inspirations, des réflexions, des rencontres qui enrichissent mon quotidien. Pas de recettes toutes faites, juste des moments authentiques pour vous inspirer. Un rendez-vous qui fait du bien, une parenthèse qu'on s'octroie dans son quotidien pour marcher vers soi à son rythme. Alors aujourd'hui, nous avons le plaisir d'être en compagnie de Jean-Michel Longnot, qui est docteur en philosophie, chargé de cours à l'UNAMUR, conseiller en éthique dans le monde de la santé et de l'éducation, rédacteur en chef de la revue Ethica Clinica Finitude, solitude et incertitude, philosophie du deuil. Bonjour Jean-Michel Longnot.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Bienvenue, je suis ravie de vous accueillir ici dans le studio de Radio Alma. Nous allons parler du deuil, mais le deuil c'est un sujet qui peut évidemment être délicat, mais le deuil n'est pas que la perte d'un être cher. Il peut s'agir aussi d'une rupture amoureuse, de la perte d'un emploi. d'un exil forcé, des enfants qui quittent le nid, de tomber malade, un burn-out, vivre un échec ou tout simplement le fait de vieillir. Alors avant de passer au cœur du sujet, j'aurais voulu vous demander de vous présenter. Qu'est-ce qui vous a amené à la philosophie ?

  • Speaker #1

    Ah, eh bien donc ce sont des rencontres. Oui, principalement des rencontres et alors une espèce d'évidence. Donc les rencontres, c'est dans le cadre de mes études quand j'étais en secondaire. À la fin, comme je faisais des latins grecs, on a fréquenté des auteurs comme Platon notamment. qui est un incontournable. Et c'est vrai que c'est là que je me suis rendu compte que ça résonnait avec ce que j'étais, en tout cas sans trop savoir ce que j'étais à l'époque, mais en tout cas ça me parlait beaucoup. Et puis alors des rencontres qui sont venues par la suite sans doute, c'est-à-dire des personnes avec qui j'ai eu l'occasion de discuter, mais peut-être en amateur, et à l'époque j'étais encore très jeune, mais donc ce n'était pas au départ des philosophes comme tels de métier. mais des personnes qui avaient une tournure en tout cas philosophique, qui interrogeaient le monde, qui essayaient de le faire parler un petit peu, au-delà du bruit qu'il fait. Et comment... Donc c'est vrai que ces gens-là, voilà, ça m'a donné des clés, ça m'a parlé énormément. et donc sans doute une espèce de curiosité qui fait que en rencontrant des auteurs qui apportent ou qui essayent d'apporter des réponses, des gens qui m'ont amené des questions et une façon d'interroger le monde, ben voilà, le tour ensemble, la sauce a pris et puis je me suis embarqué dans l'aventure sans savoir où j'allais aller. Parce que quand on fait des études de philosophie, c'est vrai que bien souvent, on aime bien ce qu'on fait, on l'a choisi, mais on ne sait pas très bien à quoi ça va nous conduire. Et puis alors j'ai eu la chance par la suite de pouvoir en faire un métier. notamment en étant repris à l'université pour donner cours. Et donc, de fil en aiguille, on est payé pour se poser des questions. Et on peut en vivre, effectivement. Et alors, c'est à 100% là-dedans.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qui vous anime le plus quand vous donnez cours ?

  • Speaker #1

    Ah, je crois que c'est... C'est de transmettre à mon tour ce que j'ai reçu de manière un peu hasardeuse au début, la capacité de pouvoir se poser des questions. Je crois que c'est ça. Je crois que ce qui m'anime le plus, c'est de transmettre. de faire en sorte que les gens comprennent, parce qu'il y a parfois des auteurs en philosophie qui sont quand même assez durs, assez abstraits, on n'a parfois plus vraiment le vocabulaire pour comprendre des auteurs anciens qui étaient dans un autre contexte culturel. Donc c'est de passer son temps, et c'est là que je perds le plus de temps d'ailleurs, quand je dois préparer des cours, c'est plus tellement dans la matière à enseigner, mais dans comment je vais l'enseigner pour que les gens puissent se le réapproprier et éventuellement en faire quelque chose qui peut les aider à se poser des questions. et puis peut-être trouver aussi des débuts de réponses, évidemment. Donc c'est sans doute ça qui m'anime le plus. Quand je vois que les gens ont l'impression, ou me renvoient en tout cas, le fait qu'il y a des petites lumières qui se sont éclairées, si vous voulez. Et souvent, ce qu'il faut rajouter peut-être, mais je ne sais pas si c'est intéressant, c'est que j'ai l'impression d'avoir bien fait mon travail quand les gens... me disent, dans le fond, vous ne m'avez rien appris, mais vous m'avez donné des mots pour le penser. Voilà, donc quand on dit qu'on éveille des petites lumières, c'est des petites lumières qui sont déjà là, évidemment. Je m'inquièterais, par exemple, si les gens disaient Tchô, vous m'avez raconté un truc, ça j'avais jamais pensé, j'ai jamais entendu, d'où ça vient ce truc-là ? Là, je m'inquièterais, parce que probablement que ce que je raconte alors tombe du ciel et ne s'accroche à rien. Donc peut-être que c'est intéressant en soi, tout ce qu'on veut, mais en tout cas, quand par contre, ce qu'on raconte en philosophie... ne fait que mettre des mots sur ce qu'on sait déjà, sur ce qu'on a déjà vécu, je pense qu'on a fait ce qu'on a pu en philosophie, c'est-à-dire qu'est-ce qu'on peut en philosophie, c'est aider chacun d'entre nous à prolonger l'expérience que l'on fait de la vie jusque dans ce qu'elle donne à penser. Et alors ça sert à quoi de faire un truc pareil ? Ça sert tout simplement à pouvoir s'en libérer. Quand on n'arrive pas à pousser ce qu'on vit jusque dans ce que ça donne à penser, on vit avec, on a ça en soi, et alors éventuellement, on se sent encombré, on n'est pas bien, on tourne en rond, il y a quelque chose là. Mais comme on n'a pas les mots pour le dire, comme on n'a pas les mots pour le penser, ben oui, c'est vrai, ça nous encombre, c'est là, et on ne sait rien en faire, et on mourra avec, avec éventuellement en plus le drame d'avoir transmis ça à nos enfants. Si on veut rester libre, si on veut rester vivant, tout simplement, l'impression que j'ai, moi en tout cas, il y a des sagesses philosophiques qui donnent à penser ça, ce qu'il faut pouvoir faire, c'est vivre pleinement l'instant présent. Et puis c'est de pouvoir tourner la page et passer à l'instant suivant, évidemment. Et donc, on ne peut se libérer d'une expérience que quand on arrive à la pousser jusqu'à son terme, jusqu'à son bout, si vous voulez, pour pouvoir en sortir et aller jusqu'au bout d'une expérience. Ce n'est pas simplement la vivre. et puis ne pas savoir quoi faire avec, mais c'est la vivre jusque dans ce qu'elle donne à penser, jusque dans ce qu'elle donne à transmettre éventuellement, etc. Et une fois qu'on est allé aussi loin qu'on n'a pu là-dedans, on se donne une chance de pouvoir s'en libérer.

  • Speaker #0

    Vous auriez un exemple concret qui illustre ça ?

  • Speaker #1

    Oui, et c'est en lien peut-être avec le deuil d'ailleurs, mais imaginez que vous vivez un moment heureux. le drame évidemment d'un moment heureux un moment heureux c'est un moment heureux c'est pas un drame évidemment mais le drame que l'on peut vivre parfois c'est qu'on a vécu un moment heureux tellement heureux qu'on ne veut plus que rester dans ce moment heureux et du coup ça vous prive de tout l'avenir que vous avez devant vous où le seul avenir que l'on s'octroie désormais c'est de vivre dans la mémoire de ce moment heureux tellement heureux qu'on n'imagine pas d'autre vie que d'être enfermé dans ce moment heureux tout le travail que l'on doit faire si on veut rester vivant c'est évidemment de jouir de l'instant heureux le plus possible quand on le vit, mais après c'est de savoir le quitter pour pouvoir se rendre disponible pour de nouveaux moments que l'on vivra, qui seront peut-être heureux, peut-être moins heureux, peut-être malheureux éventuellement, mais pour rester vivant. Il y a une phrase que j'aime bien qui dit ceci, qui dit Oh, qui stagne ou qui pue Le pire qui peut arriver pour un être humain, c'est de rester sclérosé, si vous voulez, figé, dans un instant qui a été tellement heureux ou tellement malheureux éventuellement qu'on n'arrive plus à en sortir. Donc c'est tout ce travail par lequel une fois que j'ai vécu ce que j'ai vécu, que je l'ai choisi, que je ne l'ai pas choisi, que je l'ai voulu ou pas voulu, etc. Peu importe, ça peut aller donc, c'est tout le spectre de ce qu'on peut vivre, des moments heureux jusqu'aux moments malheureux. C'est comment je fais pour en profiter pleinement tout en acceptant que ça ne durera pas. puisque quoi ? puisque nous sommes dans le temps tout simplement donc en philosophie c'est ce qu'on va vous dire pour aller tout de suite à l'essentiel nous sommes des êtres temporels et donc la minute que nous vivons maintenant elle disparaît de manière irréversible et donc la question c'est est-ce que je ne suis plus que le mausolée le tombeau de mon passé que j'essaye de préserver comme une momie ou est-ce que j'accepte pour ne pas tomber dans ce que l'on serait alors une espèce de mort vivant est-ce que pour rester vivant je dois accepter Moi je ne vois pas comment on peut faire autrement. Est-ce que je dois accepter donc de me libérer de ce que j'ai vécu pour... Non pas recommencer à zéro, on ne recommence jamais rien à zéro dans sa vie, mais pour, à partir de ce que j'ai vécu, pouvoir m'ouvrir à autre chose.

  • Speaker #0

    Et donc c'est ça, faire son deuil.

  • Speaker #1

    Et alors du coup, de manière fondamentale, quand on va au-delà des questions de mort d'un proche, auquel on associe souvent le mot deuil, dire que nous sommes, en tant qu'êtres humains, concernés par le deuil, c'est dire qu'étant donné ce que nous sommes, c'est-à-dire des êtres dans le temps, pour le dire simplement. en devenir, étant donné ce que nous sommes, nous ne pouvons rester vivants qu'à la condition de pouvoir nous libérer de ce qui n'est plus, et que nous ne revivrons plus jamais. Donc une deuxième fois, par exemple, je peux rencontrer quelqu'un dans la rue, et c'est la femme de ma vie, ou c'est l'homme de ma vie, et je l'ai rencontré la première fois, c'est unique, c'est merveilleux, du coup le lendemain, parce que je n'ai rien osé lui dire, je vais me remettre dans la rue en espérant que la personne passe à nouveau. Ben, elle va passer à nouveau, imaginons. mais vous vous rendez compte on a déjà tout perdu parce que ce sera une deuxième fois ce ne sera pas et ce ne sera plus jamais une nouvelle première fois évidemment vous êtes déjà dans la répétition mais vous voyez si jamais je veux revivre exactement l'instant premier où j'ai été ébloui par la personne parce que c'était la première fois que je la voyais je serais déçu Parce que la deuxième fois, c'est déjà du réchauffé, si vous voulez. Et donc on ira comme ça de déception en déception jusqu'à l'ennui. Finalement, si je vis avec la personne, c'est encore pire, parce que tous les matins elle est là, et à un moment donné, on essaye de retrouver l'instant où on a vibré la première fois, mais ça s'émousse, ça s'émousse, et finalement, c'est le malheur, c'est l'ennui, et c'est la séparation, ou c'est le drame, ou je ne sais quoi d'autre, les reproches que l'on fait à l'autre. quand on veut pouvoir rester par exemple avec quelqu'un ici pour prendre cet exemple là un vivre ou en tout cas partager un bout de chemin avec quelqu'un c'est vrai que si je reste donc enfermé dans l'émerveillement du départ je condamne l'autre à être décevant et que la seule manière de pouvoir s'en sortir c'est effectivement de se dire la chance qu'on a eue de pouvoir être émerveillé une première fois et donc au moment où ça se produit avec l'expérience on peut se dire, on peut arriver à ça en tout cas, c'est d'en jouir pleinement et puis après c'est de ne plus demander à l'autre de reproduire évidemment le souvenir dans lequel je voudrais rester enfermé pour vivre autre chose avec l'autre et aller ainsi pour que la relation, pour le dire autrement et plus simplement, pour que la relation reste vivante. Souvent on se condamne dans tous les aspects de sa vie On se condamne à vivre une vie que l'on trouve finalement trop courte, trop fade, ennuyeuse, etc. parce que l'on reste enfermé dans des attentes dont on n'arrive pas à faire le deuil. Voilà, et ce sont les attentes souvent qui peuvent nous pousser en avant, c'est vrai, ça c'est le côté positif, mais c'est aussi ce qui malheureusement déprécie le réel, parce que le réel n'étant jamais à la hauteur de nos attentes, ou en tout cas rarement, cette déception, finalement c'était que ça, et c'est une espèce de vie rétrécie qu'on a l'impression de vivre. La seule manière d'en sortir, ou en tout cas une première chose que l'on peut faire par rapport à tout cela, c'est de... quand on a l'impression que la vie est mal foutue c'est de se demander si elle est réellement mal foutue en attendant elle est ce qu'elle est mais c'est probablement davantage d'interroger au regard de quoi je juge que la vie est mal foutue c'est-à-dire au regard de quelles attentes Je peux dire que comme elles ne sont pas remplies, ces attentes, elles ne sont pas rencontrées, ben oui, forcément, la vie est mal foutue. Et la question qu'on doit se poser ensuite, c'est, si j'ai des attentes vis-à-vis des gens, vis-à-vis de la vie, vis-à-vis de moi-même, etc., que valent ces attentes ?

  • Speaker #0

    Et comment lâcher ces attentes ? Ou comment faire le deuil ?

  • Speaker #1

    Il y a plusieurs voies possibles, évidemment. Donc ça, c'est un souci, évidemment. Il peut y avoir comme petit marche-pied, mais ça ne suffit pas à mon sens. Il peut y avoir la philosophie ou d'autres disciplines du même genre. Il n'y a pas que la philosophie qui parle de ces sujets-là, évidemment. Ou d'abord, on peut au moins essayer d'en prendre conscience, prendre conscience de ce qui nous agite. de ce qui nous traverse, de à partir de quoi nous vivons notre vie, si on n'en prend même pas conscience qu'on se contente de vivre. Ça rejoint le propos de tout à l'heure. On va traverser l'existence et puis on va mourir. Et si on a encore toute sa tête à ce moment-là, on se dira, c'est passé si vite et je n'ai pas compris ce que j'ai vécu. C'était donc que cela vivre. Donc, soit on traverse la vie sans se poser des questions. La philosophie peut être un des moyens qui parle à certains, qui ne parle pas à tous, mais un des moyens par lesquels on peut commencer à faire quoi. Comment c'est ? Ça, c'est la première étape, me semble-t-il. Essayer de savoir un peu qui on est. De ne pas traverser la vie comme un étranger, si vous voulez, et de mourir en ne sachant pas très bien à quoi on a joué, finalement. Et une fois qu'on connaît un peu ce qu'on est, en tout cas qu'on lève le coin de certains voiles, parce qu'on n'en finira jamais à se demander ce qu'on est, évidemment, mais une fois qu'on lève un peu le coin de certains voiles et qu'on voit, par exemple, pour revenir à notre propos, que c'est vrai que je suis traversé par des attentes. qui viennent de je ne sais pas trop où de mon éducation ma culture de mes expériences passées peut-être mais enfin après il y a toute une série d'attentes et ces attentes quand j'essaye de comprendre ce qu'elles sont je me rends compte qu'elles ne sont que dans ma tête et que la réalité n'en a que faire c'est-à-dire que ces attentes ça relève finalement de l'ordre enfin c'est de l'ordre de l'imaginaire et malheureusement les lois de l'univers n'ont que faire que j'imagine que le monde devrait être comme ceci ou devrait être autrement le monde il est comme il est donc quand je prends conscience que Mes attentes le plus souvent relèvent de l'ordre de l'imaginaire et que c'est à partir de là que je juge le monde et que bien souvent, malheureusement, ça fait apparaître le monde comme étant mal fait au regard de mes attentes. Donc voilà la question et je retrouve votre question, c'est d'abord j'en prends conscience et puis je me pose la question, c'est mais qu'est-ce que je peux faire ? Est-ce que je peux changer le monde comme il va ? il y a des petites choses qu'on peut changer, et il faut toujours changer tout ce qu'on peut changer dans le monde, évidemment. Mais par rapport à l'ensemble de l'existence et du monde en tant que tel, j'ai l'impression que je ne peux rien changer. Ce n'est pas qu'une impression, j'ai essayé une fois ou l'autre, et puis on se rend compte que ça n'empêche pas quand même les guerres, ça n'empêche pas le malheur, ça n'empêche pas les gens que j'aime de mourir, ça ne m'empêche pas moi de me tromper dans des relations, ou je ne sais pas quoi, ou de vivre des malheurs. Enfin bref, donc à un moment donné, c'est vrai que je me dis que si je ne peux pas changer le monde pour toute une série de choses... partout où je peux intervenir il faut le faire mais il y a bien des domaines par exemple je ne peux pas empêcher que je meure un jour je ne peux pas empêcher non plus que je vieillisse et que le temps passe et je peux danser sur ma tête je n'y arriverai jamais donc la question c'est si je ne peux pas garder l'instant fugace le figer est-ce que je ne devrais pas plutôt que d'essayer de le conserver et de vivre une vie de mort vivant, pour reprendre l'expression de tantôt, est-ce que je ne peux pas essayer de faire un petit effort pour me libérer des attentes à partir desquelles je déprécie le monde, ou à partir desquelles j'ai l'impression que le monde finalement c'est tellement rapide, c'est tellement malheureux, c'est tellement mal fait. Et sur les attentes qui m'animent, ça tout le monde peut le constater, c'est vrai que ça ne dépend que de moi. Encore faut-il que j'en prenne conscience, mais une fois que j'en prends conscience, peut-être que je peux commencer à faire un travail pour essayer de me libérer de ces attentes. Alors se libérer de ces attentes, ça veut dire non pas ne pas avoir d'attente, mais tout simplement apprendre à ne plus juger le monde à partir d'elle. Et quand on fait ce petit travail-là...

  • Speaker #0

    Ah oui, mais on fait comment alors ? Est-ce que c'est jouir de l'instant présent alors, qui nous permet de...

  • Speaker #1

    Vous rendez possible le fait qu'on rejouisse à nouveau de l'instant présent, quand on fait ce travail-là. Mais maintenant, comment on fait ce travail-là ? Alors, c'est pour en arriver à ça que je précise un peu les choses. Donc, la philosophie est un début. Mais malheureusement, nos attentes sont liées au viscéral, c'est-à-dire c'est souvent de l'ordre de... ou c'est en tout cas lié aux émotions.

  • Speaker #0

    C'est plus profond.

  • Speaker #1

    Donc c'est plus profond, donc la philosophie ne suffit pas. La philosophie, ce ne sont malheureusement que des mots, ce sont que des tentatives de dire les choses. Et comme le disait par exemple Spinoza, la raison ne peut rien contre les passions. Donc là, il ne faut pas être dupe, évidemment. La philosophie ou le travail de mise en mots ne suffit pas pour faire ce travail-là. Alors du coup... Comment les gens se débrouillent ? Comment vous et moi dans la vie de tous les jours on se débrouille ? C'est un peu décevant de dire ça, mais ce que l'on entend le plus, donc il n'y a pas que ça, mais ce que l'on entend le plus, c'est que c'est tout simplement à l'usure de l'expérience de la vie que beaucoup parmi nous, on corrige un peu les attentes qu'on avait au départ par rapport à la vie. Donc en d'autres termes, c'est terrible de dire ça, mais c'est quand on se casse la figure.

  • Speaker #0

    C'est l'expérience.

  • Speaker #1

    Donc c'est l'expérience de l'échec, c'est l'expérience de la déception éventuellement, de l'ennui dont on parlait tout à l'heure. Enfin voilà, c'est à l'usure du monde et pas à travers bien souvent des grandes théories que l'on se dit mais ça ne va pas, je ne suis pas bien. Et c'est parce que je ne suis pas bien qu'en général on se met en mouvement ou bien on est cassé évidemment. Mais dans la majorité des cas où on arrive à se relever et puis on ne veut pas rester dans un... un marasme insupportable, et donc on se demande comment je peux agir, et c'est dans ce mouvement-là où je ne me sens pas bien, qu'en réalité ce qui se joue par-delà ce que j'imagine, ce qui se joue c'est quoi ? C'est le fait que mes idéaux, mes attentes, ce que je rêve, etc., ça commence à être mis en question. Donc en d'autres termes, ce que je veux dire, c'est que pour beaucoup d'entre nous, et pour tout le monde, même pour les philosophes, Il y a pas mal d'attentes qui nous enferment, qui nous empêchent de vivre, qui sont remises en question simplement du fait de vivre, si vous voulez. Et de se confronter aux autres, de se confronter à la dureté du monde, de se confronter à... Et de constater, de vivre dans son corps, dans sa chair, le fait que le monde ne fonctionne pas comme moi je voudrais bien.

  • Speaker #0

    Donc ça, vous pouvez nous donner un exemple concret ?

  • Speaker #1

    L'exemple le plus simple, évidemment, qui est relativement général. c'est celui de vieillir. Il y a un moment où le fait d'être pris dans le temps, c'est ce qu'on appelle dans des beaux savants, on appelle ça la sénescence, le phénomène de vieillissement. On peut toujours en parler, et tant qu'on tout va bien, ce sont que des théories, effectivement. On peut faire des beaux discours sur le fait de vieillir, tout ce qu'on veut, et on brasse de l'air, quoi, si vous voulez, mais en même temps, on dit peut-être des choses intéressantes. Mais pour chacun d'entre nous, comment est-ce qu'effectivement le franc va tomber ? C'est-à-dire, comment est-ce que je vais intégrer dans ma vie le fait que je suis une personne vieillissante ? Tant que je peux croire que je suis jeune, que tout va bien. je laisse causer les autres. Alors, de nouveau, les autres disent peut-être des choses intéressantes, ça me fait réfléchir, mais vous comprenez, ce ne sont que des mots. Dans ma vie, en attendant, je vis comme si j'avais 25 ans, et même si j'en ai 50, tout va bien, la vie me sourit, j'ai toujours la santé, j'ai tout ce que vous voulez. Comment est-ce qu'on fait ? Les gens le racontent. Comment est-ce que tout d'un coup le franc tombe ? Je vais vous donner un exemple tout simple, et là c'est le réel qui nous rappelle à l'ordre. C'est par exemple le jour où on vous dit madame monsieur voilà vous avez un petit souci de santé je vais vous envoyer en gériatrie ah ben y a des patients qui racontent quand j'ai entendu ce mot-là je vais être en gériatrie là tout d'un coup c'est tout ce que je croyais être qui s'effondre l'image de moi-même et on me renvoie une réalité et c'est terrible c'est horrible on me renvoie une réalité qui est que ben oui c'est vrai que j'ai soixante-cinq ans Et c'est vrai que le temps est passé, enfin. Mais tant que je n'ai pas entendu ça, tant que je n'ai pas été confronté à la réalité, non pas d'une maladie, parce que quand on est jeune, on peut aussi être malade, mais que tout d'un coup, on me dit, voilà, vous, ce sera en gériatrie. Là, il y a quelque chose qui se joue. Enfin, pour certaines personnes, ce n'est pas une règle générale, mais c'est un événement dans l'expérience. Ce n'est pas moi qui fais un travail sur moi-même, etc. C'est tout d'un coup le réel qui me rappelle alors. Et alors, soit je suis blessé. Et de nouveau, pourquoi est-ce que je suis blessé ? C'est parce que dans ma tête, je suis toujours quelqu'un. Et à un moment donné, soit je m'ajuste, soit je reste convaincu que je suis jeune. Et donc, c'est dégueulasse de m'avoir dit ça comme ça. Et je serai en colère contre la paix. Donc, en fonction de l'attitude que l'on aura. et de la confrontation réelle, du regard que les autres portent sur nous, par exemple, dans le quotidien, c'est vrai que c'est dans cette vie-là réelle que tout d'un coup, on est mis en décalage, en porte-à-faux. Ça ne cadre pas avec comment on perçoit la vie. Et donc de deux choses. L'une, soit je dis aux autres maintenant vous vous taisez, ce que vous dites est scandaleux quand vous me dites que je dois aller en gériatrie ou bien alors je me dis ma représentation de moi-même doit peut-être changer, parce que c'est vrai que j'ai tel âge, c'est vrai que le temps est passé, c'est vrai que je ne peux pas faire marche arrière Je peux bien me teindre les cheveux ou faire des liftings ou je sais pas quoi pour essayer de garder l'apparence, mais en attendant j'ai l'âge que j'ai et c'est vrai que peut-être c'est plus facile, en tout cas j'ai prise là-dessus, d'essayer d'accepter ce que je suis. qui sera en phase avec ce que le monde par ailleurs me renvoie, que de continuer à jouer un jeu qui, à un moment donné, devient tellement en décalage que ça devient intenable. Donc s'il faut prendre une expérience générale, dans des choses que l'on entend, c'est ce genre de... Plus jeune. Donc ici, ce n'est même pas une personne de 65 ans, c'est une personne qui a une jeune dame, si on veut, en tout cas par rapport à mon âge, et elle me dit que j'ai été choqué. Et elle a vécu mal le jour où dans les transports en commun, il y a quelqu'un qui s'est levé et qui m'a dit Madame, si vous voulez vous asseoir et en désignant la place qu'il venait de libérer. Et ce qui a choqué cette jeune femme, c'est quoi ? C'est pas qu'on lui propose de s'asseoir, mais c'est qu'on lui ait dit Madame Donc vous voyez, c'est une bêtise, c'est deux fois rien, mais c'est rester dans sa tête comme étant quelque chose de… Mais voilà qu'on me parle comme une madame, et puis tout d'un coup, c'est vrai que j'ai 30 ans, je ne sais plus quel âge elle avait, mais en tout cas, elle était relativement jeune, et ça a été un choc. Et puis après, c'est vrai que je ne suis plus une étudiante, c'est vrai que je suis maman d'enfant. Et tout d'un coup, l'image, la réalité qui est la sienne, a pu se réconcilier avec la représentation qu'elle avait d'elle-même. Mais ça a demandé qu'elle sorte d'une espèce de... d'illusion, si vous voulez, de représentation non interrogée de soi, où j'ai l'impression que je suis toujours la même personne et que je suis toujours jeune. Tout d'un coup, il y a un petit événement.

  • Speaker #0

    Une petite chose qui fait que... On parlait du fait d'accepter, effectivement, de vieillir et que ça nous ramenait à plusieurs choses, à nos limites, à nos relations et aux sentiments d'injustice et à l'avenir. Est-ce que vous pourriez un petit peu développer ces trois aspects ?

  • Speaker #1

    Quel que soit le deuil que l'on a à faire, c'est vrai que ça bouleverse les vrais deuils. Avant de commencer, on pourrait peut-être d'abord donner une définition de ce qu'est le deuil, en tout cas une caractéristique du deuil. Le deuil concerne toutes les situations que nous vivons qui sont par définition donc irréversibles. Donc c'est ce qui permet de distinguer le deuil d'une crise par exemple. Donc tout n'est pas deuil évidemment. Donc par exemple, je peux passer un mauvais moment dans ma vie, et puis quand j'ai traversé ce mauvais moment, qui peut durer, mais enfin peu importe ici, une fois que j'en suis sorti, je reprends plus ou moins ma vie comme avant. Dans ce cas-là, vous n'avez pas vécu un deuil, vous avez vécu une crise. Quand on est dans un deuil, quand vous allez recommencer à vivre un peu, quand on sort du chagrin, de la tristesse, de la colère, enfin que voilà, on sort du mauvais moment qu'on a traversé à cause d'un deuil, vous n'allez plus. Retrouvez la vie d'avant. Vous ne recommencez pas à vivre comme avant. Donc vous êtes dans quelque chose qui est irréversible, qui vous empêche de pouvoir revenir en arrière.

  • Speaker #0

    C'est une question de rupture ? Il y a une rupture ?

  • Speaker #1

    Donc ça veut dire qu'il y a un avant et un après. Et donc il y a quelque chose de l'ordre d'une rupture, si vous voulez. Et dans ce cas-là, alors vous êtes dans un deuil. Donc le mot deuil est réservé à toutes ces expériences dans la vie où il y a un avant, il y a un après, et je ne suis plus le même qu'avant une fois que je remonte la pente et que je commence à revivre un peu. On a été transformé, si vous voulez.

  • Speaker #0

    Par rapport à la société dans laquelle on est aujourd'hui, qui est quand même une société où on est en transition avec le Covid il y a quelques années, puis la crise économique, les bouleversements sociaux, est-ce qu'on est dans un processus de deuil par rapport à une société d'avant, une société qui se transforme ? Ou bien on ne parle pas là d'un deuil ?

  • Speaker #1

    Là, on parlera plutôt d'une crise, parce que si vous regardez avec la crise Covid, c'est l'expression qu'on a consacrée finalement. Donc là, pour le coup, c'est tout à fait judicieux. Donc quand vous regardez la crise Covid, on a repris notre vie comme avant. Et sur toute une série de plans, c'est même pire qu'avant. Malheureusement. Les avions redécollent encore plus qu'avant. On aurait pu espérer, il y a des gens qui avaient espéré ça, je ne sais pas si vous vous souvenez, que ce soit effectivement un moment de rupture, ce qu'on appelle maintenant la crise Covid, pour pouvoir ouvrir un nouveau monde, un nouveau rapport éventuellement au travail, avec les problèmes d'environnement. Puisqu'on avait mis les compteurs à zéro, on avait arrêté le jeu économique, c'était l'occasion de se demander si on ne pouvait pas redémarrer un peu autrement. Et là, on aurait été dans un avant et un après. Ici, non, pas du tout. Donc, on essaie d'oublier le plus vite possible et on repart dans le monde. Et on retravaille comme avant et on retrouve tout ce qu'on a laissé avant. Enfin, voilà. Maintenant, petit détail pour des personnes individuelles. qui ont perdu par exemple un être cher pendant la crise Covid, pour des parents qui ont vu leur enfant en décrochage, je ne sais pas quoi, là, ce n'est pas tout à fait une crise. Là, ça devient plus un deuil. Il y a un avant et un après. Avant, mon père, ma mère ou je ne sais pas qui, j'étais toujours avec. Et puis, je pouvais les voir, je pouvais discuter avec eux. Et puis, ils sont morts à cause du virus ou je ne sais pas quoi. Peu importe, ils sont morts durant cette période-là. Et maintenant que la crise est terminée, ma vie n'est plus la même qu'avant. parce que j'ai perdu un être cher ou plusieurs êtres chers. Quand on discute dans le monde hospitalier avec des soignants qui ont perdu des collègues, Là, c'est clair que pour eux, ce n'est pas une crise. Il y a un avant et un après. Chaque jour où ils retournent à leur travail, c'est pour retrouver un lieu où il n'y a plus le collègue qui était censé encore être là. De manière sociétale, la crise Covid a bien été une crise et la société a repris la route. On est reparti pour faire tout et n'importe quoi. Mais au niveau individuel maintenant, il faut discuter avec les gens. Pour certains, ce n'est pas une crise. qu'il faut oublier. On n'en est pas sortis indemnes. Il y a des jeunes pour lesquels on sait bien qu'il y a eu un phénomène de décrochage. Il suffit de parler avec les psychiatres, les pédopsychiatres. Ça a été difficile et donc ce sont des familles qui sont touchées en plein cœur. Enfin bon, toujours est-il que. Donc quand on parle de deuil, ça c'est la première chose quand même qu'il faut rappeler. C'est que vous parlez uniquement des situations et il y en a une infinité dans notre vie où il y a un avant et un après. Et impossible de revenir en arrière. C'est toute la discussion qu'on a eue. précédemment le temps qui passe fait que la minute que vous vivez maintenant vous ne la revivrez plus jamais vous pouvez en avoir la mémoire mais vous ne pourrez pas faire marche arrière et la revivre enfin voilà donc déjà rien que d'être dans le temps Un être vieillissant, nous sommes condamnés à devoir en permanence, de manière irréversible, nous libérer de la minute écoulée pour accepter de vivre la suivante.

  • Speaker #0

    Donc la vie est un processus de deuil.

  • Speaker #1

    Alors de ce point de vue-là, ce n'est pas comme ça qu'on le dira, mais c'est ça l'idée. Si on est d'accord pour réserver le mot deuil à l'irréversibilité de l'existence qui nous condamne donc à lâcher ce qui est irréversiblement perdu, ça ne sert à rien de vouloir le maintenir à tout prix. Il est perdu, il est perdu. Ça veut dire, et c'est pour ça que les philosophes s'intéressent à la question, donc on dira dans le jargon des philosophes, l'essence même de l'existence, ce que c'est que de vivre, si on veut rester vivant dans la vie, c'est précisément, ce n'est pas que ça, mais pour rester vivant et pour pouvoir continuer à jouir de l'existence, c'est constamment de pouvoir nous libérer, donc lâcher, faire le deuil.

  • Speaker #0

    de tout ce que nous avons vécu, que ce soit des moments malheureux ou que ce soit des moments heureux. Peu importe, mais c'est en me libérant du passé, en en faisant un souvenir, et en arrêtant de vouloir que le passé dure, qu'on peut s'ouvrir à un avenir, aussi court soit-il. Donc vous pouvez avoir des personnes âgées, qui savent bien que statistiquement, elles n'en ont plus pour 50 ans à vivre, mais néanmoins, d'être dans ce mouvement-là, c'est ce qui va se traduire par, vous le disiez tout à l'heure très justement, par le fait qu'on va essayer de continuer à jouir de l'instant présent. Mais vous vous rendez bien compte que pour jouir de l'instant présent, si je suis enfermé dans mes souvenirs et que le bon vieux temps est le seul temps heureux de ma vie, je dilapide l'instant présent. Je perds l'instant présent pour en faire le moment nostalgique et donc souffreteux du regret du temps écoulé. Donc ça, ce n'est plus une vie.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qu'on dit alors à quelqu'un qui est enfermé justement là-dedans ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qu'on lui dit, on essaye tout simplement, il me semble en tout cas, dans ce que l'on peut faire quand on accompagne des gens qui sont là-dedans, c'est d'abord d'essayer de les entendre, donc de les entendre dans ce regret, etc., dans la nostalgie, dans le souvenir des bons moments. Et puis après, alors, ce que l'on fait, en tout cas, moi je ne suis pas thérapeute, mais dans ce que l'on entend que les thérapeutes font, ou dans ce qu'on peut faire en philosophie, quand on est dans un entretien philosophique, c'est à un moment donné... de moins se concentrer, donc de moins écouter ce que la personne dit de son passé, là où elle fouille, là où elle se projette, donc on essaye de faire moins attention à ça que à la façon qu'elle a d'en parler. Donc par exemple, imaginons que mon conjoint soit décédé, voilà j'ai 65 ans, 70 ans, 80 ans, enfin peu importe, et je ne vis plus que dans le souvenir de ce bon vieux temps où j'étais avec la personne que j'aimais. Ce que l'on peut faire, c'est soit de parler pendant des heures et des heures du conjoint disparu, et du temps passé, de ce temps qui ne reviendra pas, etc. Ou bien alors, je peux essayer, quand j'accompagne quelqu'un, je peux essayer d'entendre comment est-ce qu'elle parle de ce bon vieux temps. Pour essayer de faire quoi ? Pour essayer tout simplement de la ramener à aujourd'hui, là maintenant. Et par exemple, on peut dire à quelqu'un, pendant que vous me parlez de votre maison, de votre métier quand vous travaillez, de tout ce que la personne regrette, de cette relation qui a été perdue éventuellement, de cette rupture que vous avez vécue, Je sens, je perçois que vous êtes triste ou Je perçois que vous êtes en colère ou Je perçois que… ce genre de choses. Quand vous faites ça, c'est tout bête. Vous sortez de l'écoute de ce qui est dit pour vous intéresser à comment la personne le dit. Et vous essayez de nommer, mettre des mots, toujours mettre des mots, essayer de nommer ce que la personne vit pendant qu'elle se remémore ce bon vieux temps où tout allait mieux, où tout était merveilleux. Et quand on fait ça donc, ce que l'on essaye de faire, c'est de la ramener. en accord dans l'instant présent qu'elle est en train de vivre, qui n'est donc pas très joyeux, si on est dans la nostalgie, le regret ou je ne sais pas quoi, mais au moins d'essayer de la sortir de cette fuite en avant dans les souvenirs, pour essayer donc de retrouver ce qui est encore vivant. Être malheureuse, c'est encore être vivant. Et puis à partir de là, alors en fonction de ce que la personne vous raconte, en fonction de ce qu'elle dit, des perches qu'elle tend, c'est d'essayer d'interroger pourquoi elle est malheureuse, pourquoi elle est en colère. quelle est la bonne raison ? C'est la question que j'ai tendance à poser. C'est quelle est la bonne raison qui fait que quand vous vous souvenez de tel moment, je perçois qu'il y a toujours un petit pincement au cœur. Et alors une fois qu'on fait ça, on retrouve quoi ? Ce dont on parlait tout à l'heure, ce qu'on retrouve alors, ce sont les attentes. Mais je pense qu'elle aurait dû toujours être là. Pourquoi est-ce qu'elle est partie avant moi ? Pourquoi est-ce que je suis ici maintenant ? Donc c'est d'interroger les attentes au regard desquelles la situation présente est insupportable, et à partir de là, de faire un travail sur les attentes. Donc ça c'est un truc possible, mais le problème évidemment dans ce dont nous parlons ici, c'est qu'il n'y a pas de recette.

  • Speaker #1

    Non, il n'y a pas de recette.

  • Speaker #0

    Mais c'est une manière de faire, c'est toujours de sortir des projections dans le passé bien souvent, ou dans le constat que le monde est mal fait, pour essayer de retrouver ce qui est vivant chez la personne, et qui est d'abord... quelque chose de l'ordre de la souffrance, puisqu'on se plaint, puisqu'on n'arrive pas à lâcher, etc. Et puis c'est de creuser cette souffrance-là. Et l'autre manière de faire, dont on parlait tout à l'heure, c'est de permettre à la personne d'aller jusqu'au bout de sa souffrance. Donc, ce n'est pas simplement de parler sur la souffrance pour dire, derrière votre souffrance, il y a des attentes et vous pourriez, etc. Tout ça, c'est des conseils qui n'ont aucun intérêt. Mais enfin, mettre des mots, ça peut être intéressant déjà, ça peut aider à prendre confiance. Et puis, c'est de permettre à la personne de continuer à ne pas lâcher l'affaire, à rester accrochée à ses attentes. pour le moment en tout cas, et puis de s'user, de s'user jusqu'au moment où avec les mots, avec l'attention qu'on a, etc., pour elle, peut-être qu'elle osera avoir un peu de bonheur dans l'instant présent. Par exemple, il y a des gens, je dis ça parce que je pense à une situation qui est... relativement habituel. Tout le monde ne vit pas ça. Mais il y a des gens qui vont, en étant dans ces moments de deuil-là, qui vont s'interdire d'être heureux parce qu'ils ont l'impression qu'en étant heureux maintenant, en riant, en partageant un bon moment, ils trahissent la mémoire, par exemple, d'un défunt. Et donc, il s'empêche littéralement. C'est faire tout ce travail pour essayer de retrouver l'instant présent, et puis là-dedans, de retrouver peut-être une forme de liberté, de pouvoir encore être heureux, même si j'ai perdu ceci, même si je ne ferai pas marche arrière, même si je ne pourrai pas retrouver mon passé. Mais c'est maintenant que je vis, et c'est maintenant que je dois essayer encore peut-être d'être heureux. Voilà, et donc c'est ça qu'on essaye de faire, bien évidemment.

  • Speaker #1

    Et par rapport à l'expérience de... Donc vous parlez dans votre livre de finitude, solitude et incertitude. Est-ce que vous pouvez expliquer en quelques mots ?

  • Speaker #0

    Oui. Donc quand on se demande, quand on a le luxe de pouvoir ne pas être confronté à un deuil. Donc on en a vécu, enfin j'en ai vécu comme tout le monde. Mais pour le moment, ça va bien. Une question qu'on peut se poser, quand on est en deuil, on s'en fout de ces questions-là, évidemment. Mais pourtant, c'est important. Mais voilà, c'est en général quand on va un peu mieux qu'on peut commencer à se poser ce genre de questions. Laquelle ? Qu'est-ce que les deuils révèlent de ce que je suis en tant qu'être humain ? Quand je perds tout ? ma vie bascule. Imaginons des deuils importants. Je perds mon emploi, je perds ma santé, je perds quelqu'un que j'aime, peu importe. Ma vie bascule et j'ai l'impression que tout devient absurde. La question qu'on va poser, c'est plutôt que de dire il n'y a plus rien, je suis foutu, autant se tirer une balle dans la tête. La question qu'on peut encore poser, que les psys aussi posent, donc une fois encore, les philosophes n'ont pas de monopole là-dessus, sur la question et sur la manière d'y répondre. Mais quand on se demande, mais qu'est-ce qui reste de moi quand je suis complètement anéanti ? quand j'ai été secoué par la vie. Et ce que l'on découvre, en tout cas, ce que les philosophes arrivent à dire sur cette question-là, donc ce n'est jamais qu'une partie de ce que nous sommes, on n'épuisera jamais le sujet, mais ce que l'on découvre, c'est que dans le fond, dans les deuils, et c'est vrai que c'est dur, c'est pas très sympathique de prime abord, et pourtant c'est tellement important. c'est qu'il y a trois caractéristiques de notre existence qui là tout d'un coup émergent, apparaissent si vous voulez, et pas simplement intellectuellement. Mais quand on vit un deuil, on le vit. C'est ça qui est terrible. Alors la première chose que l'on découvre, c'est quoi ? C'est que je suis quelqu'un qui est limité.

  • Speaker #1

    Donc on veut l'expérience de ses propres limites. Voilà.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas pu empêcher le drame de se produire. Je n'ai pas pu retenir le passé. Je n'ai pas pu retenir la personne que je l'aimais. Et du coup, je ne suis pas tout puissant. En tout cas, je ne mène pas ma vie comme je le voudrais. Et là, ce que je découvre, et dans les deuils, c'est donc ce qui apparaît d'abord dans les tripes, avant que ça ne vienne au langage. Ce que l'on découvre, c'est que nous sommes quelqu'un qui est donc limité. Alors maintenant, vous voyez l'affaire. Si je ne supporte pas d'être quelqu'un qui est limité, les deuils, c'est horrible, parce que là, tout d'un coup, il n'y a plus de masque. Je me vois comme je suis. Je suis impuissant. Je pleure. Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. Je suis anéanti. Je fais l'expérience de mes limites. Si je n'aime pas ça, le fait d'être limité, Que je veux continuer à rester tout-puissant, vous comprenez l'affaire, on rejoint ce qu'on a déjà dit tout à l'heure, c'est-à-dire que plus je veux rester tout-puissant, plus je vais évidemment souffrir d'être ramené à mes limites. Et tous ceux qui me rappellent que je suis d'ailleurs limité, je ne les supporte pas ces gens-là. Enfin bref, je vais être en guerre totale. La seule chose que l'on peut faire quand on est confronté à ses limites, Alors on peut toujours travailler ses limites pour essayer de les reporter, mais il y a des limites aux limites. Il n'y a pas moyen de faire autrement. Et donc, dans les deuils, c'est ce qui apparaît. Eh bien, ce que je peux faire pour essayer de m'en sortir, c'est quoi ? C'est essayer tout simplement de me réconcilier avec le fait que je suis limité. D'accepter que je ne peux pas tout, que je ne peux pas tout pour les gens que j'aime, que je ne peux pas tout dans le monde du travail où je suis, où pourtant je travaille bien, ça n'empêche pas que je puisse être licencié, etc. Donc c'est d'accepter. Que je ne suis qu'un humain, qu'un homme, une femme, que je suis quelqu'un qui est limité, qui doit faire tout ce qu'il peut évidemment quand il agit, mais faire tout ce que je peux, ce n'est pas faire tout ce que j'aimerais bien.

  • Speaker #1

    Que je fais ma part.

  • Speaker #0

    Je dois faire ma part, mais c'est une part qui est limitée finalement, par rapport à tout ce que j'aimerais bien pouvoir faire. plus je suis à l'aise plus je me réconcilie avec le fait que je suis quelqu'un qui est limité moins je souffrirai d'y être confronté dans les deuils par exemple ou dans les aléas de la vie par contre plus je veux être tout-puissant Et mener ma vie comme je veux, comme je l'entends, etc. Chaque fois que la vie va me ramener à mes limites, c'est un supplice, c'est insupportable. Si je veux essayer de traverser les épreuves que la vie m'impose, vous avez là une direction à suivre. C'est de faire avec ses limites. Donc ce qui suppose une chose, quand je travaille avec des gens, parfois je pose cette question-là, c'est est-ce que vous êtes d'accord pour dire qu'en tant qu'être humain, qu'on le veuille ou pas, qu'on l'aime ou pas, on est quelqu'un qui est limité. Alors tout le monde, évidemment, oui, c'est vrai qu'on est limité, on le sait bien, etc. Maintenant, deuxième question, c'est celle-là qui est redoutable. Donc vous êtes d'accord pour dire qu'on est limité. Est-ce que vous pouvez, là, tout de suite, maintenant, sur la table, me dire cinq limites qui vous caractérisent, vous, comme être humain ? Et là, en général, j'ai un blanc, c'est-à-dire que les gens doivent réfléchir. Donc on sait qu'on est limité, mais on ne sait pas mes limites à moi. Ce n'est pas celle de mon voisin. On est tous différents. Est-ce que je me connais un petit peu, quand même, pour dire, Eh bien voilà, moi, je sais bien que là, ça ne va pas, que... Les gens ne savent pas. Et donc voilà qu'on retrouve le thème de tout à l'heure. La majorité d'entre nous... Nous traversons la vie et probablement, enfin non ça c'est sûr, nous mourrons, mais probablement sans savoir qui on est. Même concernant nos limites, c'est quand même terrible qu'il faille qu'on se casse la figure pour les connaître. Et encore le plus souvent, quand on ne comprend pas trop ce qu'on vit dans ces moments-là, on va passer son temps à essayer de fuir ça, parce qu'on ne supporte pas d'y avoir été confronté évidemment. Donc ici en philosophie, mais c'est comme ce qu'on fait aussi en psychothérapie. Quand vous avez des gens qui sont bouleversés par la vie, on va les aider à essayer de non pas fuir ce qui se révèle dans ces moments où les masques tombent. On va essayer au contraire de regarder ce qui reste de nous et puis on va essayer d'amener la personne à aimer ça. Pourquoi ? Mais c'est parce que c'est ce qu'on ne peut pas vous reprendre. C'est ce que vous êtes. Quand la vie vous reprend tout, voilà ce qui reste de vous. C'est l'ossature si vous voulez. Et donc si vous pouvez aimer ce que vous êtes en tant que limité, et puis après essayer de construire à partir de là, évidemment ne pas s'y réduire, mais si au moins vous pouvez aimer ce que la vie ne vous prendra jamais, les limites qui sont les vôtres, votre vie peut commencer à avancer, même quand vous traversez des moments qui vous y ramènent. Vous comprenez ? C'est enlever les couches. Voilà, et c'est ce qu'on appelle, exactement, tout à fait, c'est le pouvoir des deuils, c'est pour ça qu'on aime assez bien l'expérience du deuil, même si c'est désagréable le plus souvent, c'est parce que c'est une expérience qui nous dépouille. Là, tout d'un coup, c'est pas qu'une idée de philosophe, je vois bien que j'y arrive pas, une mise à nu, tout à fait. Et donc les philosophes contre nature vont, puisque la nature nous pousserait à essayer de fuir ça, donc de ne pas s'y confronter, ce que font les philosophes souvent c'est de dire, on va s'y arrêter. Et on va essayer d'abord de voir ce que c'est, est-ce qu'il y a quelque chose ou pas, est-ce qu'on peut mettre des mots là-dessus. Et pour reprendre votre question de tout à l'heure, c'est ce que l'on appelle effectivement la finitude. Donc nous sommes, bon c'est jamais qu'un mot ça, mais c'est pour essayer de dire. ce que nous sommes en tant qu'êtres humains. Nous ne sommes pas quelqu'un de tout puissant, nous sommes quelqu'un qui est fini. Et donc, il vaut mieux essayer d'aimer ce que nous sommes réellement plutôt que d'aimer un rêve de nous-mêmes qui n'existe que dans nos désirs. Donc, il faut essayer d'aimer cette finitude le plus possible.

  • Speaker #1

    Et donc, pour terminer, parce que je vois qu'il reste 2-3 minutes, et ça touche aussi à nos relations et aux sentiments d'injustice, est-ce que vous pourriez expliquer ça ?

  • Speaker #0

    de la bande, quoi, si vous voulez. Et c'est vrai que le désir de fusion est peut-être un peu fort, mais maintenant, pensez à des relations comme avec nos enfants ou avec nos amours. C'est vrai qu'avec nos amours, il y a l'idée de fusionner avec un être cher, évidemment, qu'on fasse un à deux, si vous voulez. Et concernant les enfants, ce n'est pas compliqué de percevoir. On aime bien tous les enfants du monde, mais nos enfants, on les a dans la peau. Il y a quelque chose, s'ils ne vont pas bien, je ne vais pas bien. Donc il y a quelque chose de fusionnel là aussi. Et ce que les deux nous rappellent. Donc là, on peut prendre l'exemple de la mort, pour le coup. Ce que la mort des gens que nous aimons nous rappelle, c'est qu'on a beau croire qu'on fusionne, on a beau même avoir l'impression réelle qu'on est proche, qu'on fait partie de la même histoire, de la même vie, etc. Ce que la mort nous rappelle, c'est pour ça que les philosophes méditent beaucoup la mort, c'est que l'autre ne nous appartient pas. Et que donc cette idée de fusion est une illusion. Et quand vous découvrez ça... à travers les trahisons, à travers les problèmes de communication, et puis à travers la mort de l'autre, qui est l'expérience la plus radicale, évidemment, parce que celle-là, elle était réversible. Quand vous découvrez ça, ce que vous découvrez c'est quoi ? C'est un drôle de paradoxe. C'est qu'à la fois je suis en relation avec les gens que j'aime, et même ceux que je n'aime pas d'ailleurs, donc on est en relation, et ces relations me modifient, elles me rendent heureuse ou bien elles me rendent malheureux, heureux ou malheureux, mais en attendant, même si ces relations sont bien réelles et ont un impact sur moi, ce qui est important de voir, c'est que je suis pourtant dans ces relations une solitude. C'est-à-dire que je ne rejoins jamais l'autre. Et ça, c'est ce que les deux nous apprennent.

  • Speaker #1

    Qu'on est seul.

  • Speaker #0

    Donc, on est en relation, mais au cœur des relations. Donc, c'est un paradoxe, parce qu'on dit deux trucs opposés. À la fois, je suis en relation et je suis nourri par ces relations. Et pourtant, en même temps... Je n'arriverai jamais à rejoindre la personne que j'aime. C'est curieux, il m'échappe toujours. Je n'ai que son corps, je n'ai que ses mots, mais je ne peux pas retrouver son vécu et partager son vécu. Et c'est là qu'il y a une solitude qui est donc une solitude indépassable. Et une fois encore que la mort vient consacrée, effectivement. On peut vivre à deux toute sa vie. La mort me rappelle qu'on n'a jamais été un à deux, on a toujours été deux et on est resté deux. Ça n'empêche pas qu'on a été en relation, mais c'est vrai, jamais je n'arriverai à rejoindre l'autre dans ce qu'il vit, là où il s'éprouve d'une façon ou d'une autre. Et alors pour l'autre thème, dans notre rapport à l'avenir, c'est vrai que là aussi il y a un désir qui est à l'œuvre, et qui est le désir qui est, par exemple, un désir qu'on pourrait traduire en termes d'attente légitime. Si je fais quelque chose de bien, il m'est dû que j'ai un merci, si vous voulez. Voilà, les attentes par rapport à... Si j'ai été gentil, il m'est dû que je sois récompensé, que j'ai une vieillesse heureuse, enfin voilà, ce genre de... Et ce qu'on découvre à travers l'histoire des uns et des autres, et à travers notre propre histoire, c'est que malheureusement, vous pouvez avoir été gentil, par exemple. le destin peut s'acharner sur vous et vous tomber dessus et vous mourrez avant même de pouvoir profiter de votre pension enfin bref il n'y a rien qui est dû à personne et là aussi c'est la même réflexion plus je veux vivre une vie dans laquelle tout m'est dû où elle est prévisible. Si je fais ça, forcément j'aurai ceci, l'injuste sera forcément puni, le juste sera forcément récompensé. Plus je veux vivre une vie dans laquelle je crois que tout est dû aux braves, aux gentils, etc., plus je vais aller de désillusion en désillusion.

  • Speaker #1

    Et plus je fais l'expérience du sentiment d'injustice.

  • Speaker #0

    Voilà, et c'est le sentiment d'injustice qui apparaît là. La vie est mal foutue. Enfin, moi j'ai tout bien fait. Et voilà que je dois mourir à 65 ans parce que j'ai un cancer. Et mon voisin qui est un salaud de première catégorie, qui a fait tous les mauvais coups possibles, jusqu'à trahir sa femme, enfin je ne sais pas quoi, ses enfants. Et lui, il a 85 ans, il a une santé, il fait encore du vélo. Enfin zut, il y a quelque chose d'injuste. Et bien, ce que ça nous apprend, c'est tout simplement que dans la vie, il n'y a rien qui est dû à personne. et ce qu'on doit donc essayer d'accepter le plus tôt possible, il ne faut pas attendre d'être vieux pour ça, c'est que la vie que nous vivons est une vie incertaine, incertitude de l'existence, et que c'est dans une vie qui ne nous doit rien qu'on doit essayer d'être heureux. Alors la chose positive, et on peut terminer avec ça si vous voulez, la chose positive c'est quoi ? C'est que si la vie ne me doit rien et que je veux quand même être heureux, ça veut dire au moins une chose, que je dois me bouger pour essayer d'être heureux. Et donc ça se traduit par une invitation. Vous voulez être heureux, n'attendez pas que la vie vous tombe dessus et vous donne le bonheur que vous attendez. Puisque la vie ne vous doit rien, et bien bougez-vous pour essayer d'être heureux. et donc nous sommes renvoyés à notre propre responsabilité.

  • Speaker #1

    Eh bien, un tout grand merci Jean-Michel Longnot pour votre participation aujourd'hui. Je me réjouis de vous écouter bientôt en conférence, puisque j'organise un cycle de conférences avec vous à partir du mois d'octobre. Donc octobre, novembre, décembre, vous serez avec nous à la Vénérie. On parlera du deuil et de l'expérience de nos limites. du deuil et quand le deuil touche à nos relations et deuil et sentiments d'injustice donc ces trois conférences un cycle de trois conférences à la veinerie vous trouverez toutes les informations sur mon site donc trois fois w sandrine corbiot point b e slash agenda donc sur la page agenda Je me réjouis de ces trois moments avec vous. Vous serez également au Matin Philo. Vous animerez un cycle de conférences sur Spinoza. Vous trouverez toutes les infos sur le site des Matins Philo. Et puis, si vous voulez aller plus loin, évidemment, il y a le livre Finitude, Solitude et Incertitude, Philosophie du deuil, qui a été publié aux éditions. Puff ?

  • Speaker #0

    Puff.

  • Speaker #1

    Puff, voilà. C'est Puff. Voilà, un tout grand merci en tout cas.

  • Speaker #0

    Avec plaisir.

  • Speaker #1

    Et moi, je vous donne rendez-vous au prochain épisode. Et si vous avez envie d'avoir plus d'infos sur mes actualités, n'hésitez pas à vous inscrire à ma newsletter. Donc, www.sandrinecorbio.be slash newsletter. Je vous souhaite une très bonne après-midi et à très bientôt. J'espère que ce podcast vous a aidé à se miner. Si vous avez aimé ce podcast, n'hésitez pas à le partager ou à le commenter. Et si vous voulez plus d'infos sur mes activités, n'hésitez pas à vous inscrire à ma newsletter. Je mettrai tous les liens sous ce poste. Ce podcast fait aussi partie d'une émission diffusée sur Radio Alma tous les deuxièmes mardi et dernier mardi du mois. J'en profite pour remercier David Martinez pour la réalisation de ce podcast. Pour rappel, je suis Sandrine Corbiot, j'adore faciliter les prises de conscience et le changement et je me réjouis de vous retrouver la prochaine fois. A bientôt !

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Nul n'échappe aux deuils : non seulement à travers la mort d'un être cher, mais aussi à travers les multiples pertes auxquelles le simple fait de vivre nous expose tous.

...Qu'il s'agisse d'une rupture amoureuse, la perte d'un emploi, un exil forcé, les enfants qui quittent le nid, tomber malade, vivre un échec, ou tout simplement vieillir.


Dans cet épisode, j'ai le plaisir d'accueillir Jean-Michel Longneaux, Docteur en philosophie et auteur du livre « Finitude, solitude, incertitude ».

Ensemble, nous explorons le thème du deuil.


Jean-Michel Longneaux nous éclaire sur la manière dont ces expériences de perte nous façonnent, révélant notre vulnérabilité et nous offrant l'opportunité de renaître à nous-mêmes.

Un épisode qui invite à la réflexion et à la transformation intérieure.


Ressources :

Le livre de Jean-Michel Longneaux : "Finitude, solitude, incertitude"

Cycle de conférences sur le deuil - à partir du 8 octobre 2024 :

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    Bonjour et bienvenue dans J'ai 50 ans et alors, un podcast qui accompagne nos transitions. Je suis Sandrine Corbiot, j'adore faciliter les liens, les prises de conscience et le changement. Dans ce podcast, je vous partage des inspirations, des réflexions, des rencontres qui enrichissent mon quotidien. Pas de recettes toutes faites, juste des moments authentiques pour vous inspirer. Un rendez-vous qui fait du bien, une parenthèse qu'on s'octroie dans son quotidien pour marcher vers soi à son rythme. Alors aujourd'hui, nous avons le plaisir d'être en compagnie de Jean-Michel Longnot, qui est docteur en philosophie, chargé de cours à l'UNAMUR, conseiller en éthique dans le monde de la santé et de l'éducation, rédacteur en chef de la revue Ethica Clinica Finitude, solitude et incertitude, philosophie du deuil. Bonjour Jean-Michel Longnot.

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    Bonjour.

  • Speaker #0

    Bienvenue, je suis ravie de vous accueillir ici dans le studio de Radio Alma. Nous allons parler du deuil, mais le deuil c'est un sujet qui peut évidemment être délicat, mais le deuil n'est pas que la perte d'un être cher. Il peut s'agir aussi d'une rupture amoureuse, de la perte d'un emploi. d'un exil forcé, des enfants qui quittent le nid, de tomber malade, un burn-out, vivre un échec ou tout simplement le fait de vieillir. Alors avant de passer au cœur du sujet, j'aurais voulu vous demander de vous présenter. Qu'est-ce qui vous a amené à la philosophie ?

  • Speaker #1

    Ah, eh bien donc ce sont des rencontres. Oui, principalement des rencontres et alors une espèce d'évidence. Donc les rencontres, c'est dans le cadre de mes études quand j'étais en secondaire. À la fin, comme je faisais des latins grecs, on a fréquenté des auteurs comme Platon notamment. qui est un incontournable. Et c'est vrai que c'est là que je me suis rendu compte que ça résonnait avec ce que j'étais, en tout cas sans trop savoir ce que j'étais à l'époque, mais en tout cas ça me parlait beaucoup. Et puis alors des rencontres qui sont venues par la suite sans doute, c'est-à-dire des personnes avec qui j'ai eu l'occasion de discuter, mais peut-être en amateur, et à l'époque j'étais encore très jeune, mais donc ce n'était pas au départ des philosophes comme tels de métier. mais des personnes qui avaient une tournure en tout cas philosophique, qui interrogeaient le monde, qui essayaient de le faire parler un petit peu, au-delà du bruit qu'il fait. Et comment... Donc c'est vrai que ces gens-là, voilà, ça m'a donné des clés, ça m'a parlé énormément. et donc sans doute une espèce de curiosité qui fait que en rencontrant des auteurs qui apportent ou qui essayent d'apporter des réponses, des gens qui m'ont amené des questions et une façon d'interroger le monde, ben voilà, le tour ensemble, la sauce a pris et puis je me suis embarqué dans l'aventure sans savoir où j'allais aller. Parce que quand on fait des études de philosophie, c'est vrai que bien souvent, on aime bien ce qu'on fait, on l'a choisi, mais on ne sait pas très bien à quoi ça va nous conduire. Et puis alors j'ai eu la chance par la suite de pouvoir en faire un métier. notamment en étant repris à l'université pour donner cours. Et donc, de fil en aiguille, on est payé pour se poser des questions. Et on peut en vivre, effectivement. Et alors, c'est à 100% là-dedans.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qui vous anime le plus quand vous donnez cours ?

  • Speaker #1

    Ah, je crois que c'est... C'est de transmettre à mon tour ce que j'ai reçu de manière un peu hasardeuse au début, la capacité de pouvoir se poser des questions. Je crois que c'est ça. Je crois que ce qui m'anime le plus, c'est de transmettre. de faire en sorte que les gens comprennent, parce qu'il y a parfois des auteurs en philosophie qui sont quand même assez durs, assez abstraits, on n'a parfois plus vraiment le vocabulaire pour comprendre des auteurs anciens qui étaient dans un autre contexte culturel. Donc c'est de passer son temps, et c'est là que je perds le plus de temps d'ailleurs, quand je dois préparer des cours, c'est plus tellement dans la matière à enseigner, mais dans comment je vais l'enseigner pour que les gens puissent se le réapproprier et éventuellement en faire quelque chose qui peut les aider à se poser des questions. et puis peut-être trouver aussi des débuts de réponses, évidemment. Donc c'est sans doute ça qui m'anime le plus. Quand je vois que les gens ont l'impression, ou me renvoient en tout cas, le fait qu'il y a des petites lumières qui se sont éclairées, si vous voulez. Et souvent, ce qu'il faut rajouter peut-être, mais je ne sais pas si c'est intéressant, c'est que j'ai l'impression d'avoir bien fait mon travail quand les gens... me disent, dans le fond, vous ne m'avez rien appris, mais vous m'avez donné des mots pour le penser. Voilà, donc quand on dit qu'on éveille des petites lumières, c'est des petites lumières qui sont déjà là, évidemment. Je m'inquièterais, par exemple, si les gens disaient Tchô, vous m'avez raconté un truc, ça j'avais jamais pensé, j'ai jamais entendu, d'où ça vient ce truc-là ? Là, je m'inquièterais, parce que probablement que ce que je raconte alors tombe du ciel et ne s'accroche à rien. Donc peut-être que c'est intéressant en soi, tout ce qu'on veut, mais en tout cas, quand par contre, ce qu'on raconte en philosophie... ne fait que mettre des mots sur ce qu'on sait déjà, sur ce qu'on a déjà vécu, je pense qu'on a fait ce qu'on a pu en philosophie, c'est-à-dire qu'est-ce qu'on peut en philosophie, c'est aider chacun d'entre nous à prolonger l'expérience que l'on fait de la vie jusque dans ce qu'elle donne à penser. Et alors ça sert à quoi de faire un truc pareil ? Ça sert tout simplement à pouvoir s'en libérer. Quand on n'arrive pas à pousser ce qu'on vit jusque dans ce que ça donne à penser, on vit avec, on a ça en soi, et alors éventuellement, on se sent encombré, on n'est pas bien, on tourne en rond, il y a quelque chose là. Mais comme on n'a pas les mots pour le dire, comme on n'a pas les mots pour le penser, ben oui, c'est vrai, ça nous encombre, c'est là, et on ne sait rien en faire, et on mourra avec, avec éventuellement en plus le drame d'avoir transmis ça à nos enfants. Si on veut rester libre, si on veut rester vivant, tout simplement, l'impression que j'ai, moi en tout cas, il y a des sagesses philosophiques qui donnent à penser ça, ce qu'il faut pouvoir faire, c'est vivre pleinement l'instant présent. Et puis c'est de pouvoir tourner la page et passer à l'instant suivant, évidemment. Et donc, on ne peut se libérer d'une expérience que quand on arrive à la pousser jusqu'à son terme, jusqu'à son bout, si vous voulez, pour pouvoir en sortir et aller jusqu'au bout d'une expérience. Ce n'est pas simplement la vivre. et puis ne pas savoir quoi faire avec, mais c'est la vivre jusque dans ce qu'elle donne à penser, jusque dans ce qu'elle donne à transmettre éventuellement, etc. Et une fois qu'on est allé aussi loin qu'on n'a pu là-dedans, on se donne une chance de pouvoir s'en libérer.

  • Speaker #0

    Vous auriez un exemple concret qui illustre ça ?

  • Speaker #1

    Oui, et c'est en lien peut-être avec le deuil d'ailleurs, mais imaginez que vous vivez un moment heureux. le drame évidemment d'un moment heureux un moment heureux c'est un moment heureux c'est pas un drame évidemment mais le drame que l'on peut vivre parfois c'est qu'on a vécu un moment heureux tellement heureux qu'on ne veut plus que rester dans ce moment heureux et du coup ça vous prive de tout l'avenir que vous avez devant vous où le seul avenir que l'on s'octroie désormais c'est de vivre dans la mémoire de ce moment heureux tellement heureux qu'on n'imagine pas d'autre vie que d'être enfermé dans ce moment heureux tout le travail que l'on doit faire si on veut rester vivant c'est évidemment de jouir de l'instant heureux le plus possible quand on le vit, mais après c'est de savoir le quitter pour pouvoir se rendre disponible pour de nouveaux moments que l'on vivra, qui seront peut-être heureux, peut-être moins heureux, peut-être malheureux éventuellement, mais pour rester vivant. Il y a une phrase que j'aime bien qui dit ceci, qui dit Oh, qui stagne ou qui pue Le pire qui peut arriver pour un être humain, c'est de rester sclérosé, si vous voulez, figé, dans un instant qui a été tellement heureux ou tellement malheureux éventuellement qu'on n'arrive plus à en sortir. Donc c'est tout ce travail par lequel une fois que j'ai vécu ce que j'ai vécu, que je l'ai choisi, que je ne l'ai pas choisi, que je l'ai voulu ou pas voulu, etc. Peu importe, ça peut aller donc, c'est tout le spectre de ce qu'on peut vivre, des moments heureux jusqu'aux moments malheureux. C'est comment je fais pour en profiter pleinement tout en acceptant que ça ne durera pas. puisque quoi ? puisque nous sommes dans le temps tout simplement donc en philosophie c'est ce qu'on va vous dire pour aller tout de suite à l'essentiel nous sommes des êtres temporels et donc la minute que nous vivons maintenant elle disparaît de manière irréversible et donc la question c'est est-ce que je ne suis plus que le mausolée le tombeau de mon passé que j'essaye de préserver comme une momie ou est-ce que j'accepte pour ne pas tomber dans ce que l'on serait alors une espèce de mort vivant est-ce que pour rester vivant je dois accepter Moi je ne vois pas comment on peut faire autrement. Est-ce que je dois accepter donc de me libérer de ce que j'ai vécu pour... Non pas recommencer à zéro, on ne recommence jamais rien à zéro dans sa vie, mais pour, à partir de ce que j'ai vécu, pouvoir m'ouvrir à autre chose.

  • Speaker #0

    Et donc c'est ça, faire son deuil.

  • Speaker #1

    Et alors du coup, de manière fondamentale, quand on va au-delà des questions de mort d'un proche, auquel on associe souvent le mot deuil, dire que nous sommes, en tant qu'êtres humains, concernés par le deuil, c'est dire qu'étant donné ce que nous sommes, c'est-à-dire des êtres dans le temps, pour le dire simplement. en devenir, étant donné ce que nous sommes, nous ne pouvons rester vivants qu'à la condition de pouvoir nous libérer de ce qui n'est plus, et que nous ne revivrons plus jamais. Donc une deuxième fois, par exemple, je peux rencontrer quelqu'un dans la rue, et c'est la femme de ma vie, ou c'est l'homme de ma vie, et je l'ai rencontré la première fois, c'est unique, c'est merveilleux, du coup le lendemain, parce que je n'ai rien osé lui dire, je vais me remettre dans la rue en espérant que la personne passe à nouveau. Ben, elle va passer à nouveau, imaginons. mais vous vous rendez compte on a déjà tout perdu parce que ce sera une deuxième fois ce ne sera pas et ce ne sera plus jamais une nouvelle première fois évidemment vous êtes déjà dans la répétition mais vous voyez si jamais je veux revivre exactement l'instant premier où j'ai été ébloui par la personne parce que c'était la première fois que je la voyais je serais déçu Parce que la deuxième fois, c'est déjà du réchauffé, si vous voulez. Et donc on ira comme ça de déception en déception jusqu'à l'ennui. Finalement, si je vis avec la personne, c'est encore pire, parce que tous les matins elle est là, et à un moment donné, on essaye de retrouver l'instant où on a vibré la première fois, mais ça s'émousse, ça s'émousse, et finalement, c'est le malheur, c'est l'ennui, et c'est la séparation, ou c'est le drame, ou je ne sais quoi d'autre, les reproches que l'on fait à l'autre. quand on veut pouvoir rester par exemple avec quelqu'un ici pour prendre cet exemple là un vivre ou en tout cas partager un bout de chemin avec quelqu'un c'est vrai que si je reste donc enfermé dans l'émerveillement du départ je condamne l'autre à être décevant et que la seule manière de pouvoir s'en sortir c'est effectivement de se dire la chance qu'on a eue de pouvoir être émerveillé une première fois et donc au moment où ça se produit avec l'expérience on peut se dire, on peut arriver à ça en tout cas, c'est d'en jouir pleinement et puis après c'est de ne plus demander à l'autre de reproduire évidemment le souvenir dans lequel je voudrais rester enfermé pour vivre autre chose avec l'autre et aller ainsi pour que la relation, pour le dire autrement et plus simplement, pour que la relation reste vivante. Souvent on se condamne dans tous les aspects de sa vie On se condamne à vivre une vie que l'on trouve finalement trop courte, trop fade, ennuyeuse, etc. parce que l'on reste enfermé dans des attentes dont on n'arrive pas à faire le deuil. Voilà, et ce sont les attentes souvent qui peuvent nous pousser en avant, c'est vrai, ça c'est le côté positif, mais c'est aussi ce qui malheureusement déprécie le réel, parce que le réel n'étant jamais à la hauteur de nos attentes, ou en tout cas rarement, cette déception, finalement c'était que ça, et c'est une espèce de vie rétrécie qu'on a l'impression de vivre. La seule manière d'en sortir, ou en tout cas une première chose que l'on peut faire par rapport à tout cela, c'est de... quand on a l'impression que la vie est mal foutue c'est de se demander si elle est réellement mal foutue en attendant elle est ce qu'elle est mais c'est probablement davantage d'interroger au regard de quoi je juge que la vie est mal foutue c'est-à-dire au regard de quelles attentes Je peux dire que comme elles ne sont pas remplies, ces attentes, elles ne sont pas rencontrées, ben oui, forcément, la vie est mal foutue. Et la question qu'on doit se poser ensuite, c'est, si j'ai des attentes vis-à-vis des gens, vis-à-vis de la vie, vis-à-vis de moi-même, etc., que valent ces attentes ?

  • Speaker #0

    Et comment lâcher ces attentes ? Ou comment faire le deuil ?

  • Speaker #1

    Il y a plusieurs voies possibles, évidemment. Donc ça, c'est un souci, évidemment. Il peut y avoir comme petit marche-pied, mais ça ne suffit pas à mon sens. Il peut y avoir la philosophie ou d'autres disciplines du même genre. Il n'y a pas que la philosophie qui parle de ces sujets-là, évidemment. Ou d'abord, on peut au moins essayer d'en prendre conscience, prendre conscience de ce qui nous agite. de ce qui nous traverse, de à partir de quoi nous vivons notre vie, si on n'en prend même pas conscience qu'on se contente de vivre. Ça rejoint le propos de tout à l'heure. On va traverser l'existence et puis on va mourir. Et si on a encore toute sa tête à ce moment-là, on se dira, c'est passé si vite et je n'ai pas compris ce que j'ai vécu. C'était donc que cela vivre. Donc, soit on traverse la vie sans se poser des questions. La philosophie peut être un des moyens qui parle à certains, qui ne parle pas à tous, mais un des moyens par lesquels on peut commencer à faire quoi. Comment c'est ? Ça, c'est la première étape, me semble-t-il. Essayer de savoir un peu qui on est. De ne pas traverser la vie comme un étranger, si vous voulez, et de mourir en ne sachant pas très bien à quoi on a joué, finalement. Et une fois qu'on connaît un peu ce qu'on est, en tout cas qu'on lève le coin de certains voiles, parce qu'on n'en finira jamais à se demander ce qu'on est, évidemment, mais une fois qu'on lève un peu le coin de certains voiles et qu'on voit, par exemple, pour revenir à notre propos, que c'est vrai que je suis traversé par des attentes. qui viennent de je ne sais pas trop où de mon éducation ma culture de mes expériences passées peut-être mais enfin après il y a toute une série d'attentes et ces attentes quand j'essaye de comprendre ce qu'elles sont je me rends compte qu'elles ne sont que dans ma tête et que la réalité n'en a que faire c'est-à-dire que ces attentes ça relève finalement de l'ordre enfin c'est de l'ordre de l'imaginaire et malheureusement les lois de l'univers n'ont que faire que j'imagine que le monde devrait être comme ceci ou devrait être autrement le monde il est comme il est donc quand je prends conscience que Mes attentes le plus souvent relèvent de l'ordre de l'imaginaire et que c'est à partir de là que je juge le monde et que bien souvent, malheureusement, ça fait apparaître le monde comme étant mal fait au regard de mes attentes. Donc voilà la question et je retrouve votre question, c'est d'abord j'en prends conscience et puis je me pose la question, c'est mais qu'est-ce que je peux faire ? Est-ce que je peux changer le monde comme il va ? il y a des petites choses qu'on peut changer, et il faut toujours changer tout ce qu'on peut changer dans le monde, évidemment. Mais par rapport à l'ensemble de l'existence et du monde en tant que tel, j'ai l'impression que je ne peux rien changer. Ce n'est pas qu'une impression, j'ai essayé une fois ou l'autre, et puis on se rend compte que ça n'empêche pas quand même les guerres, ça n'empêche pas le malheur, ça n'empêche pas les gens que j'aime de mourir, ça ne m'empêche pas moi de me tromper dans des relations, ou je ne sais pas quoi, ou de vivre des malheurs. Enfin bref, donc à un moment donné, c'est vrai que je me dis que si je ne peux pas changer le monde pour toute une série de choses... partout où je peux intervenir il faut le faire mais il y a bien des domaines par exemple je ne peux pas empêcher que je meure un jour je ne peux pas empêcher non plus que je vieillisse et que le temps passe et je peux danser sur ma tête je n'y arriverai jamais donc la question c'est si je ne peux pas garder l'instant fugace le figer est-ce que je ne devrais pas plutôt que d'essayer de le conserver et de vivre une vie de mort vivant, pour reprendre l'expression de tantôt, est-ce que je ne peux pas essayer de faire un petit effort pour me libérer des attentes à partir desquelles je déprécie le monde, ou à partir desquelles j'ai l'impression que le monde finalement c'est tellement rapide, c'est tellement malheureux, c'est tellement mal fait. Et sur les attentes qui m'animent, ça tout le monde peut le constater, c'est vrai que ça ne dépend que de moi. Encore faut-il que j'en prenne conscience, mais une fois que j'en prends conscience, peut-être que je peux commencer à faire un travail pour essayer de me libérer de ces attentes. Alors se libérer de ces attentes, ça veut dire non pas ne pas avoir d'attente, mais tout simplement apprendre à ne plus juger le monde à partir d'elle. Et quand on fait ce petit travail-là...

  • Speaker #0

    Ah oui, mais on fait comment alors ? Est-ce que c'est jouir de l'instant présent alors, qui nous permet de...

  • Speaker #1

    Vous rendez possible le fait qu'on rejouisse à nouveau de l'instant présent, quand on fait ce travail-là. Mais maintenant, comment on fait ce travail-là ? Alors, c'est pour en arriver à ça que je précise un peu les choses. Donc, la philosophie est un début. Mais malheureusement, nos attentes sont liées au viscéral, c'est-à-dire c'est souvent de l'ordre de... ou c'est en tout cas lié aux émotions.

  • Speaker #0

    C'est plus profond.

  • Speaker #1

    Donc c'est plus profond, donc la philosophie ne suffit pas. La philosophie, ce ne sont malheureusement que des mots, ce sont que des tentatives de dire les choses. Et comme le disait par exemple Spinoza, la raison ne peut rien contre les passions. Donc là, il ne faut pas être dupe, évidemment. La philosophie ou le travail de mise en mots ne suffit pas pour faire ce travail-là. Alors du coup... Comment les gens se débrouillent ? Comment vous et moi dans la vie de tous les jours on se débrouille ? C'est un peu décevant de dire ça, mais ce que l'on entend le plus, donc il n'y a pas que ça, mais ce que l'on entend le plus, c'est que c'est tout simplement à l'usure de l'expérience de la vie que beaucoup parmi nous, on corrige un peu les attentes qu'on avait au départ par rapport à la vie. Donc en d'autres termes, c'est terrible de dire ça, mais c'est quand on se casse la figure.

  • Speaker #0

    C'est l'expérience.

  • Speaker #1

    Donc c'est l'expérience de l'échec, c'est l'expérience de la déception éventuellement, de l'ennui dont on parlait tout à l'heure. Enfin voilà, c'est à l'usure du monde et pas à travers bien souvent des grandes théories que l'on se dit mais ça ne va pas, je ne suis pas bien. Et c'est parce que je ne suis pas bien qu'en général on se met en mouvement ou bien on est cassé évidemment. Mais dans la majorité des cas où on arrive à se relever et puis on ne veut pas rester dans un... un marasme insupportable, et donc on se demande comment je peux agir, et c'est dans ce mouvement-là où je ne me sens pas bien, qu'en réalité ce qui se joue par-delà ce que j'imagine, ce qui se joue c'est quoi ? C'est le fait que mes idéaux, mes attentes, ce que je rêve, etc., ça commence à être mis en question. Donc en d'autres termes, ce que je veux dire, c'est que pour beaucoup d'entre nous, et pour tout le monde, même pour les philosophes, Il y a pas mal d'attentes qui nous enferment, qui nous empêchent de vivre, qui sont remises en question simplement du fait de vivre, si vous voulez. Et de se confronter aux autres, de se confronter à la dureté du monde, de se confronter à... Et de constater, de vivre dans son corps, dans sa chair, le fait que le monde ne fonctionne pas comme moi je voudrais bien.

  • Speaker #0

    Donc ça, vous pouvez nous donner un exemple concret ?

  • Speaker #1

    L'exemple le plus simple, évidemment, qui est relativement général. c'est celui de vieillir. Il y a un moment où le fait d'être pris dans le temps, c'est ce qu'on appelle dans des beaux savants, on appelle ça la sénescence, le phénomène de vieillissement. On peut toujours en parler, et tant qu'on tout va bien, ce sont que des théories, effectivement. On peut faire des beaux discours sur le fait de vieillir, tout ce qu'on veut, et on brasse de l'air, quoi, si vous voulez, mais en même temps, on dit peut-être des choses intéressantes. Mais pour chacun d'entre nous, comment est-ce qu'effectivement le franc va tomber ? C'est-à-dire, comment est-ce que je vais intégrer dans ma vie le fait que je suis une personne vieillissante ? Tant que je peux croire que je suis jeune, que tout va bien. je laisse causer les autres. Alors, de nouveau, les autres disent peut-être des choses intéressantes, ça me fait réfléchir, mais vous comprenez, ce ne sont que des mots. Dans ma vie, en attendant, je vis comme si j'avais 25 ans, et même si j'en ai 50, tout va bien, la vie me sourit, j'ai toujours la santé, j'ai tout ce que vous voulez. Comment est-ce qu'on fait ? Les gens le racontent. Comment est-ce que tout d'un coup le franc tombe ? Je vais vous donner un exemple tout simple, et là c'est le réel qui nous rappelle à l'ordre. C'est par exemple le jour où on vous dit madame monsieur voilà vous avez un petit souci de santé je vais vous envoyer en gériatrie ah ben y a des patients qui racontent quand j'ai entendu ce mot-là je vais être en gériatrie là tout d'un coup c'est tout ce que je croyais être qui s'effondre l'image de moi-même et on me renvoie une réalité et c'est terrible c'est horrible on me renvoie une réalité qui est que ben oui c'est vrai que j'ai soixante-cinq ans Et c'est vrai que le temps est passé, enfin. Mais tant que je n'ai pas entendu ça, tant que je n'ai pas été confronté à la réalité, non pas d'une maladie, parce que quand on est jeune, on peut aussi être malade, mais que tout d'un coup, on me dit, voilà, vous, ce sera en gériatrie. Là, il y a quelque chose qui se joue. Enfin, pour certaines personnes, ce n'est pas une règle générale, mais c'est un événement dans l'expérience. Ce n'est pas moi qui fais un travail sur moi-même, etc. C'est tout d'un coup le réel qui me rappelle alors. Et alors, soit je suis blessé. Et de nouveau, pourquoi est-ce que je suis blessé ? C'est parce que dans ma tête, je suis toujours quelqu'un. Et à un moment donné, soit je m'ajuste, soit je reste convaincu que je suis jeune. Et donc, c'est dégueulasse de m'avoir dit ça comme ça. Et je serai en colère contre la paix. Donc, en fonction de l'attitude que l'on aura. et de la confrontation réelle, du regard que les autres portent sur nous, par exemple, dans le quotidien, c'est vrai que c'est dans cette vie-là réelle que tout d'un coup, on est mis en décalage, en porte-à-faux. Ça ne cadre pas avec comment on perçoit la vie. Et donc de deux choses. L'une, soit je dis aux autres maintenant vous vous taisez, ce que vous dites est scandaleux quand vous me dites que je dois aller en gériatrie ou bien alors je me dis ma représentation de moi-même doit peut-être changer, parce que c'est vrai que j'ai tel âge, c'est vrai que le temps est passé, c'est vrai que je ne peux pas faire marche arrière Je peux bien me teindre les cheveux ou faire des liftings ou je sais pas quoi pour essayer de garder l'apparence, mais en attendant j'ai l'âge que j'ai et c'est vrai que peut-être c'est plus facile, en tout cas j'ai prise là-dessus, d'essayer d'accepter ce que je suis. qui sera en phase avec ce que le monde par ailleurs me renvoie, que de continuer à jouer un jeu qui, à un moment donné, devient tellement en décalage que ça devient intenable. Donc s'il faut prendre une expérience générale, dans des choses que l'on entend, c'est ce genre de... Plus jeune. Donc ici, ce n'est même pas une personne de 65 ans, c'est une personne qui a une jeune dame, si on veut, en tout cas par rapport à mon âge, et elle me dit que j'ai été choqué. Et elle a vécu mal le jour où dans les transports en commun, il y a quelqu'un qui s'est levé et qui m'a dit Madame, si vous voulez vous asseoir et en désignant la place qu'il venait de libérer. Et ce qui a choqué cette jeune femme, c'est quoi ? C'est pas qu'on lui propose de s'asseoir, mais c'est qu'on lui ait dit Madame Donc vous voyez, c'est une bêtise, c'est deux fois rien, mais c'est rester dans sa tête comme étant quelque chose de… Mais voilà qu'on me parle comme une madame, et puis tout d'un coup, c'est vrai que j'ai 30 ans, je ne sais plus quel âge elle avait, mais en tout cas, elle était relativement jeune, et ça a été un choc. Et puis après, c'est vrai que je ne suis plus une étudiante, c'est vrai que je suis maman d'enfant. Et tout d'un coup, l'image, la réalité qui est la sienne, a pu se réconcilier avec la représentation qu'elle avait d'elle-même. Mais ça a demandé qu'elle sorte d'une espèce de... d'illusion, si vous voulez, de représentation non interrogée de soi, où j'ai l'impression que je suis toujours la même personne et que je suis toujours jeune. Tout d'un coup, il y a un petit événement.

  • Speaker #0

    Une petite chose qui fait que... On parlait du fait d'accepter, effectivement, de vieillir et que ça nous ramenait à plusieurs choses, à nos limites, à nos relations et aux sentiments d'injustice et à l'avenir. Est-ce que vous pourriez un petit peu développer ces trois aspects ?

  • Speaker #1

    Quel que soit le deuil que l'on a à faire, c'est vrai que ça bouleverse les vrais deuils. Avant de commencer, on pourrait peut-être d'abord donner une définition de ce qu'est le deuil, en tout cas une caractéristique du deuil. Le deuil concerne toutes les situations que nous vivons qui sont par définition donc irréversibles. Donc c'est ce qui permet de distinguer le deuil d'une crise par exemple. Donc tout n'est pas deuil évidemment. Donc par exemple, je peux passer un mauvais moment dans ma vie, et puis quand j'ai traversé ce mauvais moment, qui peut durer, mais enfin peu importe ici, une fois que j'en suis sorti, je reprends plus ou moins ma vie comme avant. Dans ce cas-là, vous n'avez pas vécu un deuil, vous avez vécu une crise. Quand on est dans un deuil, quand vous allez recommencer à vivre un peu, quand on sort du chagrin, de la tristesse, de la colère, enfin que voilà, on sort du mauvais moment qu'on a traversé à cause d'un deuil, vous n'allez plus. Retrouvez la vie d'avant. Vous ne recommencez pas à vivre comme avant. Donc vous êtes dans quelque chose qui est irréversible, qui vous empêche de pouvoir revenir en arrière.

  • Speaker #0

    C'est une question de rupture ? Il y a une rupture ?

  • Speaker #1

    Donc ça veut dire qu'il y a un avant et un après. Et donc il y a quelque chose de l'ordre d'une rupture, si vous voulez. Et dans ce cas-là, alors vous êtes dans un deuil. Donc le mot deuil est réservé à toutes ces expériences dans la vie où il y a un avant, il y a un après, et je ne suis plus le même qu'avant une fois que je remonte la pente et que je commence à revivre un peu. On a été transformé, si vous voulez.

  • Speaker #0

    Par rapport à la société dans laquelle on est aujourd'hui, qui est quand même une société où on est en transition avec le Covid il y a quelques années, puis la crise économique, les bouleversements sociaux, est-ce qu'on est dans un processus de deuil par rapport à une société d'avant, une société qui se transforme ? Ou bien on ne parle pas là d'un deuil ?

  • Speaker #1

    Là, on parlera plutôt d'une crise, parce que si vous regardez avec la crise Covid, c'est l'expression qu'on a consacrée finalement. Donc là, pour le coup, c'est tout à fait judicieux. Donc quand vous regardez la crise Covid, on a repris notre vie comme avant. Et sur toute une série de plans, c'est même pire qu'avant. Malheureusement. Les avions redécollent encore plus qu'avant. On aurait pu espérer, il y a des gens qui avaient espéré ça, je ne sais pas si vous vous souvenez, que ce soit effectivement un moment de rupture, ce qu'on appelle maintenant la crise Covid, pour pouvoir ouvrir un nouveau monde, un nouveau rapport éventuellement au travail, avec les problèmes d'environnement. Puisqu'on avait mis les compteurs à zéro, on avait arrêté le jeu économique, c'était l'occasion de se demander si on ne pouvait pas redémarrer un peu autrement. Et là, on aurait été dans un avant et un après. Ici, non, pas du tout. Donc, on essaie d'oublier le plus vite possible et on repart dans le monde. Et on retravaille comme avant et on retrouve tout ce qu'on a laissé avant. Enfin, voilà. Maintenant, petit détail pour des personnes individuelles. qui ont perdu par exemple un être cher pendant la crise Covid, pour des parents qui ont vu leur enfant en décrochage, je ne sais pas quoi, là, ce n'est pas tout à fait une crise. Là, ça devient plus un deuil. Il y a un avant et un après. Avant, mon père, ma mère ou je ne sais pas qui, j'étais toujours avec. Et puis, je pouvais les voir, je pouvais discuter avec eux. Et puis, ils sont morts à cause du virus ou je ne sais pas quoi. Peu importe, ils sont morts durant cette période-là. Et maintenant que la crise est terminée, ma vie n'est plus la même qu'avant. parce que j'ai perdu un être cher ou plusieurs êtres chers. Quand on discute dans le monde hospitalier avec des soignants qui ont perdu des collègues, Là, c'est clair que pour eux, ce n'est pas une crise. Il y a un avant et un après. Chaque jour où ils retournent à leur travail, c'est pour retrouver un lieu où il n'y a plus le collègue qui était censé encore être là. De manière sociétale, la crise Covid a bien été une crise et la société a repris la route. On est reparti pour faire tout et n'importe quoi. Mais au niveau individuel maintenant, il faut discuter avec les gens. Pour certains, ce n'est pas une crise. qu'il faut oublier. On n'en est pas sortis indemnes. Il y a des jeunes pour lesquels on sait bien qu'il y a eu un phénomène de décrochage. Il suffit de parler avec les psychiatres, les pédopsychiatres. Ça a été difficile et donc ce sont des familles qui sont touchées en plein cœur. Enfin bon, toujours est-il que. Donc quand on parle de deuil, ça c'est la première chose quand même qu'il faut rappeler. C'est que vous parlez uniquement des situations et il y en a une infinité dans notre vie où il y a un avant et un après. Et impossible de revenir en arrière. C'est toute la discussion qu'on a eue. précédemment le temps qui passe fait que la minute que vous vivez maintenant vous ne la revivrez plus jamais vous pouvez en avoir la mémoire mais vous ne pourrez pas faire marche arrière et la revivre enfin voilà donc déjà rien que d'être dans le temps Un être vieillissant, nous sommes condamnés à devoir en permanence, de manière irréversible, nous libérer de la minute écoulée pour accepter de vivre la suivante.

  • Speaker #0

    Donc la vie est un processus de deuil.

  • Speaker #1

    Alors de ce point de vue-là, ce n'est pas comme ça qu'on le dira, mais c'est ça l'idée. Si on est d'accord pour réserver le mot deuil à l'irréversibilité de l'existence qui nous condamne donc à lâcher ce qui est irréversiblement perdu, ça ne sert à rien de vouloir le maintenir à tout prix. Il est perdu, il est perdu. Ça veut dire, et c'est pour ça que les philosophes s'intéressent à la question, donc on dira dans le jargon des philosophes, l'essence même de l'existence, ce que c'est que de vivre, si on veut rester vivant dans la vie, c'est précisément, ce n'est pas que ça, mais pour rester vivant et pour pouvoir continuer à jouir de l'existence, c'est constamment de pouvoir nous libérer, donc lâcher, faire le deuil.

  • Speaker #0

    de tout ce que nous avons vécu, que ce soit des moments malheureux ou que ce soit des moments heureux. Peu importe, mais c'est en me libérant du passé, en en faisant un souvenir, et en arrêtant de vouloir que le passé dure, qu'on peut s'ouvrir à un avenir, aussi court soit-il. Donc vous pouvez avoir des personnes âgées, qui savent bien que statistiquement, elles n'en ont plus pour 50 ans à vivre, mais néanmoins, d'être dans ce mouvement-là, c'est ce qui va se traduire par, vous le disiez tout à l'heure très justement, par le fait qu'on va essayer de continuer à jouir de l'instant présent. Mais vous vous rendez bien compte que pour jouir de l'instant présent, si je suis enfermé dans mes souvenirs et que le bon vieux temps est le seul temps heureux de ma vie, je dilapide l'instant présent. Je perds l'instant présent pour en faire le moment nostalgique et donc souffreteux du regret du temps écoulé. Donc ça, ce n'est plus une vie.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qu'on dit alors à quelqu'un qui est enfermé justement là-dedans ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qu'on lui dit, on essaye tout simplement, il me semble en tout cas, dans ce que l'on peut faire quand on accompagne des gens qui sont là-dedans, c'est d'abord d'essayer de les entendre, donc de les entendre dans ce regret, etc., dans la nostalgie, dans le souvenir des bons moments. Et puis après, alors, ce que l'on fait, en tout cas, moi je ne suis pas thérapeute, mais dans ce que l'on entend que les thérapeutes font, ou dans ce qu'on peut faire en philosophie, quand on est dans un entretien philosophique, c'est à un moment donné... de moins se concentrer, donc de moins écouter ce que la personne dit de son passé, là où elle fouille, là où elle se projette, donc on essaye de faire moins attention à ça que à la façon qu'elle a d'en parler. Donc par exemple, imaginons que mon conjoint soit décédé, voilà j'ai 65 ans, 70 ans, 80 ans, enfin peu importe, et je ne vis plus que dans le souvenir de ce bon vieux temps où j'étais avec la personne que j'aimais. Ce que l'on peut faire, c'est soit de parler pendant des heures et des heures du conjoint disparu, et du temps passé, de ce temps qui ne reviendra pas, etc. Ou bien alors, je peux essayer, quand j'accompagne quelqu'un, je peux essayer d'entendre comment est-ce qu'elle parle de ce bon vieux temps. Pour essayer de faire quoi ? Pour essayer tout simplement de la ramener à aujourd'hui, là maintenant. Et par exemple, on peut dire à quelqu'un, pendant que vous me parlez de votre maison, de votre métier quand vous travaillez, de tout ce que la personne regrette, de cette relation qui a été perdue éventuellement, de cette rupture que vous avez vécue, Je sens, je perçois que vous êtes triste ou Je perçois que vous êtes en colère ou Je perçois que… ce genre de choses. Quand vous faites ça, c'est tout bête. Vous sortez de l'écoute de ce qui est dit pour vous intéresser à comment la personne le dit. Et vous essayez de nommer, mettre des mots, toujours mettre des mots, essayer de nommer ce que la personne vit pendant qu'elle se remémore ce bon vieux temps où tout allait mieux, où tout était merveilleux. Et quand on fait ça donc, ce que l'on essaye de faire, c'est de la ramener. en accord dans l'instant présent qu'elle est en train de vivre, qui n'est donc pas très joyeux, si on est dans la nostalgie, le regret ou je ne sais pas quoi, mais au moins d'essayer de la sortir de cette fuite en avant dans les souvenirs, pour essayer donc de retrouver ce qui est encore vivant. Être malheureuse, c'est encore être vivant. Et puis à partir de là, alors en fonction de ce que la personne vous raconte, en fonction de ce qu'elle dit, des perches qu'elle tend, c'est d'essayer d'interroger pourquoi elle est malheureuse, pourquoi elle est en colère. quelle est la bonne raison ? C'est la question que j'ai tendance à poser. C'est quelle est la bonne raison qui fait que quand vous vous souvenez de tel moment, je perçois qu'il y a toujours un petit pincement au cœur. Et alors une fois qu'on fait ça, on retrouve quoi ? Ce dont on parlait tout à l'heure, ce qu'on retrouve alors, ce sont les attentes. Mais je pense qu'elle aurait dû toujours être là. Pourquoi est-ce qu'elle est partie avant moi ? Pourquoi est-ce que je suis ici maintenant ? Donc c'est d'interroger les attentes au regard desquelles la situation présente est insupportable, et à partir de là, de faire un travail sur les attentes. Donc ça c'est un truc possible, mais le problème évidemment dans ce dont nous parlons ici, c'est qu'il n'y a pas de recette.

  • Speaker #1

    Non, il n'y a pas de recette.

  • Speaker #0

    Mais c'est une manière de faire, c'est toujours de sortir des projections dans le passé bien souvent, ou dans le constat que le monde est mal fait, pour essayer de retrouver ce qui est vivant chez la personne, et qui est d'abord... quelque chose de l'ordre de la souffrance, puisqu'on se plaint, puisqu'on n'arrive pas à lâcher, etc. Et puis c'est de creuser cette souffrance-là. Et l'autre manière de faire, dont on parlait tout à l'heure, c'est de permettre à la personne d'aller jusqu'au bout de sa souffrance. Donc, ce n'est pas simplement de parler sur la souffrance pour dire, derrière votre souffrance, il y a des attentes et vous pourriez, etc. Tout ça, c'est des conseils qui n'ont aucun intérêt. Mais enfin, mettre des mots, ça peut être intéressant déjà, ça peut aider à prendre confiance. Et puis, c'est de permettre à la personne de continuer à ne pas lâcher l'affaire, à rester accrochée à ses attentes. pour le moment en tout cas, et puis de s'user, de s'user jusqu'au moment où avec les mots, avec l'attention qu'on a, etc., pour elle, peut-être qu'elle osera avoir un peu de bonheur dans l'instant présent. Par exemple, il y a des gens, je dis ça parce que je pense à une situation qui est... relativement habituel. Tout le monde ne vit pas ça. Mais il y a des gens qui vont, en étant dans ces moments de deuil-là, qui vont s'interdire d'être heureux parce qu'ils ont l'impression qu'en étant heureux maintenant, en riant, en partageant un bon moment, ils trahissent la mémoire, par exemple, d'un défunt. Et donc, il s'empêche littéralement. C'est faire tout ce travail pour essayer de retrouver l'instant présent, et puis là-dedans, de retrouver peut-être une forme de liberté, de pouvoir encore être heureux, même si j'ai perdu ceci, même si je ne ferai pas marche arrière, même si je ne pourrai pas retrouver mon passé. Mais c'est maintenant que je vis, et c'est maintenant que je dois essayer encore peut-être d'être heureux. Voilà, et donc c'est ça qu'on essaye de faire, bien évidemment.

  • Speaker #1

    Et par rapport à l'expérience de... Donc vous parlez dans votre livre de finitude, solitude et incertitude. Est-ce que vous pouvez expliquer en quelques mots ?

  • Speaker #0

    Oui. Donc quand on se demande, quand on a le luxe de pouvoir ne pas être confronté à un deuil. Donc on en a vécu, enfin j'en ai vécu comme tout le monde. Mais pour le moment, ça va bien. Une question qu'on peut se poser, quand on est en deuil, on s'en fout de ces questions-là, évidemment. Mais pourtant, c'est important. Mais voilà, c'est en général quand on va un peu mieux qu'on peut commencer à se poser ce genre de questions. Laquelle ? Qu'est-ce que les deuils révèlent de ce que je suis en tant qu'être humain ? Quand je perds tout ? ma vie bascule. Imaginons des deuils importants. Je perds mon emploi, je perds ma santé, je perds quelqu'un que j'aime, peu importe. Ma vie bascule et j'ai l'impression que tout devient absurde. La question qu'on va poser, c'est plutôt que de dire il n'y a plus rien, je suis foutu, autant se tirer une balle dans la tête. La question qu'on peut encore poser, que les psys aussi posent, donc une fois encore, les philosophes n'ont pas de monopole là-dessus, sur la question et sur la manière d'y répondre. Mais quand on se demande, mais qu'est-ce qui reste de moi quand je suis complètement anéanti ? quand j'ai été secoué par la vie. Et ce que l'on découvre, en tout cas, ce que les philosophes arrivent à dire sur cette question-là, donc ce n'est jamais qu'une partie de ce que nous sommes, on n'épuisera jamais le sujet, mais ce que l'on découvre, c'est que dans le fond, dans les deuils, et c'est vrai que c'est dur, c'est pas très sympathique de prime abord, et pourtant c'est tellement important. c'est qu'il y a trois caractéristiques de notre existence qui là tout d'un coup émergent, apparaissent si vous voulez, et pas simplement intellectuellement. Mais quand on vit un deuil, on le vit. C'est ça qui est terrible. Alors la première chose que l'on découvre, c'est quoi ? C'est que je suis quelqu'un qui est limité.

  • Speaker #1

    Donc on veut l'expérience de ses propres limites. Voilà.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas pu empêcher le drame de se produire. Je n'ai pas pu retenir le passé. Je n'ai pas pu retenir la personne que je l'aimais. Et du coup, je ne suis pas tout puissant. En tout cas, je ne mène pas ma vie comme je le voudrais. Et là, ce que je découvre, et dans les deuils, c'est donc ce qui apparaît d'abord dans les tripes, avant que ça ne vienne au langage. Ce que l'on découvre, c'est que nous sommes quelqu'un qui est donc limité. Alors maintenant, vous voyez l'affaire. Si je ne supporte pas d'être quelqu'un qui est limité, les deuils, c'est horrible, parce que là, tout d'un coup, il n'y a plus de masque. Je me vois comme je suis. Je suis impuissant. Je pleure. Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. Je suis anéanti. Je fais l'expérience de mes limites. Si je n'aime pas ça, le fait d'être limité, Que je veux continuer à rester tout-puissant, vous comprenez l'affaire, on rejoint ce qu'on a déjà dit tout à l'heure, c'est-à-dire que plus je veux rester tout-puissant, plus je vais évidemment souffrir d'être ramené à mes limites. Et tous ceux qui me rappellent que je suis d'ailleurs limité, je ne les supporte pas ces gens-là. Enfin bref, je vais être en guerre totale. La seule chose que l'on peut faire quand on est confronté à ses limites, Alors on peut toujours travailler ses limites pour essayer de les reporter, mais il y a des limites aux limites. Il n'y a pas moyen de faire autrement. Et donc, dans les deuils, c'est ce qui apparaît. Eh bien, ce que je peux faire pour essayer de m'en sortir, c'est quoi ? C'est essayer tout simplement de me réconcilier avec le fait que je suis limité. D'accepter que je ne peux pas tout, que je ne peux pas tout pour les gens que j'aime, que je ne peux pas tout dans le monde du travail où je suis, où pourtant je travaille bien, ça n'empêche pas que je puisse être licencié, etc. Donc c'est d'accepter. Que je ne suis qu'un humain, qu'un homme, une femme, que je suis quelqu'un qui est limité, qui doit faire tout ce qu'il peut évidemment quand il agit, mais faire tout ce que je peux, ce n'est pas faire tout ce que j'aimerais bien.

  • Speaker #1

    Que je fais ma part.

  • Speaker #0

    Je dois faire ma part, mais c'est une part qui est limitée finalement, par rapport à tout ce que j'aimerais bien pouvoir faire. plus je suis à l'aise plus je me réconcilie avec le fait que je suis quelqu'un qui est limité moins je souffrirai d'y être confronté dans les deuils par exemple ou dans les aléas de la vie par contre plus je veux être tout-puissant Et mener ma vie comme je veux, comme je l'entends, etc. Chaque fois que la vie va me ramener à mes limites, c'est un supplice, c'est insupportable. Si je veux essayer de traverser les épreuves que la vie m'impose, vous avez là une direction à suivre. C'est de faire avec ses limites. Donc ce qui suppose une chose, quand je travaille avec des gens, parfois je pose cette question-là, c'est est-ce que vous êtes d'accord pour dire qu'en tant qu'être humain, qu'on le veuille ou pas, qu'on l'aime ou pas, on est quelqu'un qui est limité. Alors tout le monde, évidemment, oui, c'est vrai qu'on est limité, on le sait bien, etc. Maintenant, deuxième question, c'est celle-là qui est redoutable. Donc vous êtes d'accord pour dire qu'on est limité. Est-ce que vous pouvez, là, tout de suite, maintenant, sur la table, me dire cinq limites qui vous caractérisent, vous, comme être humain ? Et là, en général, j'ai un blanc, c'est-à-dire que les gens doivent réfléchir. Donc on sait qu'on est limité, mais on ne sait pas mes limites à moi. Ce n'est pas celle de mon voisin. On est tous différents. Est-ce que je me connais un petit peu, quand même, pour dire, Eh bien voilà, moi, je sais bien que là, ça ne va pas, que... Les gens ne savent pas. Et donc voilà qu'on retrouve le thème de tout à l'heure. La majorité d'entre nous... Nous traversons la vie et probablement, enfin non ça c'est sûr, nous mourrons, mais probablement sans savoir qui on est. Même concernant nos limites, c'est quand même terrible qu'il faille qu'on se casse la figure pour les connaître. Et encore le plus souvent, quand on ne comprend pas trop ce qu'on vit dans ces moments-là, on va passer son temps à essayer de fuir ça, parce qu'on ne supporte pas d'y avoir été confronté évidemment. Donc ici en philosophie, mais c'est comme ce qu'on fait aussi en psychothérapie. Quand vous avez des gens qui sont bouleversés par la vie, on va les aider à essayer de non pas fuir ce qui se révèle dans ces moments où les masques tombent. On va essayer au contraire de regarder ce qui reste de nous et puis on va essayer d'amener la personne à aimer ça. Pourquoi ? Mais c'est parce que c'est ce qu'on ne peut pas vous reprendre. C'est ce que vous êtes. Quand la vie vous reprend tout, voilà ce qui reste de vous. C'est l'ossature si vous voulez. Et donc si vous pouvez aimer ce que vous êtes en tant que limité, et puis après essayer de construire à partir de là, évidemment ne pas s'y réduire, mais si au moins vous pouvez aimer ce que la vie ne vous prendra jamais, les limites qui sont les vôtres, votre vie peut commencer à avancer, même quand vous traversez des moments qui vous y ramènent. Vous comprenez ? C'est enlever les couches. Voilà, et c'est ce qu'on appelle, exactement, tout à fait, c'est le pouvoir des deuils, c'est pour ça qu'on aime assez bien l'expérience du deuil, même si c'est désagréable le plus souvent, c'est parce que c'est une expérience qui nous dépouille. Là, tout d'un coup, c'est pas qu'une idée de philosophe, je vois bien que j'y arrive pas, une mise à nu, tout à fait. Et donc les philosophes contre nature vont, puisque la nature nous pousserait à essayer de fuir ça, donc de ne pas s'y confronter, ce que font les philosophes souvent c'est de dire, on va s'y arrêter. Et on va essayer d'abord de voir ce que c'est, est-ce qu'il y a quelque chose ou pas, est-ce qu'on peut mettre des mots là-dessus. Et pour reprendre votre question de tout à l'heure, c'est ce que l'on appelle effectivement la finitude. Donc nous sommes, bon c'est jamais qu'un mot ça, mais c'est pour essayer de dire. ce que nous sommes en tant qu'êtres humains. Nous ne sommes pas quelqu'un de tout puissant, nous sommes quelqu'un qui est fini. Et donc, il vaut mieux essayer d'aimer ce que nous sommes réellement plutôt que d'aimer un rêve de nous-mêmes qui n'existe que dans nos désirs. Donc, il faut essayer d'aimer cette finitude le plus possible.

  • Speaker #1

    Et donc, pour terminer, parce que je vois qu'il reste 2-3 minutes, et ça touche aussi à nos relations et aux sentiments d'injustice, est-ce que vous pourriez expliquer ça ?

  • Speaker #0

    de la bande, quoi, si vous voulez. Et c'est vrai que le désir de fusion est peut-être un peu fort, mais maintenant, pensez à des relations comme avec nos enfants ou avec nos amours. C'est vrai qu'avec nos amours, il y a l'idée de fusionner avec un être cher, évidemment, qu'on fasse un à deux, si vous voulez. Et concernant les enfants, ce n'est pas compliqué de percevoir. On aime bien tous les enfants du monde, mais nos enfants, on les a dans la peau. Il y a quelque chose, s'ils ne vont pas bien, je ne vais pas bien. Donc il y a quelque chose de fusionnel là aussi. Et ce que les deux nous rappellent. Donc là, on peut prendre l'exemple de la mort, pour le coup. Ce que la mort des gens que nous aimons nous rappelle, c'est qu'on a beau croire qu'on fusionne, on a beau même avoir l'impression réelle qu'on est proche, qu'on fait partie de la même histoire, de la même vie, etc. Ce que la mort nous rappelle, c'est pour ça que les philosophes méditent beaucoup la mort, c'est que l'autre ne nous appartient pas. Et que donc cette idée de fusion est une illusion. Et quand vous découvrez ça... à travers les trahisons, à travers les problèmes de communication, et puis à travers la mort de l'autre, qui est l'expérience la plus radicale, évidemment, parce que celle-là, elle était réversible. Quand vous découvrez ça, ce que vous découvrez c'est quoi ? C'est un drôle de paradoxe. C'est qu'à la fois je suis en relation avec les gens que j'aime, et même ceux que je n'aime pas d'ailleurs, donc on est en relation, et ces relations me modifient, elles me rendent heureuse ou bien elles me rendent malheureux, heureux ou malheureux, mais en attendant, même si ces relations sont bien réelles et ont un impact sur moi, ce qui est important de voir, c'est que je suis pourtant dans ces relations une solitude. C'est-à-dire que je ne rejoins jamais l'autre. Et ça, c'est ce que les deux nous apprennent.

  • Speaker #1

    Qu'on est seul.

  • Speaker #0

    Donc, on est en relation, mais au cœur des relations. Donc, c'est un paradoxe, parce qu'on dit deux trucs opposés. À la fois, je suis en relation et je suis nourri par ces relations. Et pourtant, en même temps... Je n'arriverai jamais à rejoindre la personne que j'aime. C'est curieux, il m'échappe toujours. Je n'ai que son corps, je n'ai que ses mots, mais je ne peux pas retrouver son vécu et partager son vécu. Et c'est là qu'il y a une solitude qui est donc une solitude indépassable. Et une fois encore que la mort vient consacrée, effectivement. On peut vivre à deux toute sa vie. La mort me rappelle qu'on n'a jamais été un à deux, on a toujours été deux et on est resté deux. Ça n'empêche pas qu'on a été en relation, mais c'est vrai, jamais je n'arriverai à rejoindre l'autre dans ce qu'il vit, là où il s'éprouve d'une façon ou d'une autre. Et alors pour l'autre thème, dans notre rapport à l'avenir, c'est vrai que là aussi il y a un désir qui est à l'œuvre, et qui est le désir qui est, par exemple, un désir qu'on pourrait traduire en termes d'attente légitime. Si je fais quelque chose de bien, il m'est dû que j'ai un merci, si vous voulez. Voilà, les attentes par rapport à... Si j'ai été gentil, il m'est dû que je sois récompensé, que j'ai une vieillesse heureuse, enfin voilà, ce genre de... Et ce qu'on découvre à travers l'histoire des uns et des autres, et à travers notre propre histoire, c'est que malheureusement, vous pouvez avoir été gentil, par exemple. le destin peut s'acharner sur vous et vous tomber dessus et vous mourrez avant même de pouvoir profiter de votre pension enfin bref il n'y a rien qui est dû à personne et là aussi c'est la même réflexion plus je veux vivre une vie dans laquelle tout m'est dû où elle est prévisible. Si je fais ça, forcément j'aurai ceci, l'injuste sera forcément puni, le juste sera forcément récompensé. Plus je veux vivre une vie dans laquelle je crois que tout est dû aux braves, aux gentils, etc., plus je vais aller de désillusion en désillusion.

  • Speaker #1

    Et plus je fais l'expérience du sentiment d'injustice.

  • Speaker #0

    Voilà, et c'est le sentiment d'injustice qui apparaît là. La vie est mal foutue. Enfin, moi j'ai tout bien fait. Et voilà que je dois mourir à 65 ans parce que j'ai un cancer. Et mon voisin qui est un salaud de première catégorie, qui a fait tous les mauvais coups possibles, jusqu'à trahir sa femme, enfin je ne sais pas quoi, ses enfants. Et lui, il a 85 ans, il a une santé, il fait encore du vélo. Enfin zut, il y a quelque chose d'injuste. Et bien, ce que ça nous apprend, c'est tout simplement que dans la vie, il n'y a rien qui est dû à personne. et ce qu'on doit donc essayer d'accepter le plus tôt possible, il ne faut pas attendre d'être vieux pour ça, c'est que la vie que nous vivons est une vie incertaine, incertitude de l'existence, et que c'est dans une vie qui ne nous doit rien qu'on doit essayer d'être heureux. Alors la chose positive, et on peut terminer avec ça si vous voulez, la chose positive c'est quoi ? C'est que si la vie ne me doit rien et que je veux quand même être heureux, ça veut dire au moins une chose, que je dois me bouger pour essayer d'être heureux. Et donc ça se traduit par une invitation. Vous voulez être heureux, n'attendez pas que la vie vous tombe dessus et vous donne le bonheur que vous attendez. Puisque la vie ne vous doit rien, et bien bougez-vous pour essayer d'être heureux. et donc nous sommes renvoyés à notre propre responsabilité.

  • Speaker #1

    Eh bien, un tout grand merci Jean-Michel Longnot pour votre participation aujourd'hui. Je me réjouis de vous écouter bientôt en conférence, puisque j'organise un cycle de conférences avec vous à partir du mois d'octobre. Donc octobre, novembre, décembre, vous serez avec nous à la Vénérie. On parlera du deuil et de l'expérience de nos limites. du deuil et quand le deuil touche à nos relations et deuil et sentiments d'injustice donc ces trois conférences un cycle de trois conférences à la veinerie vous trouverez toutes les informations sur mon site donc trois fois w sandrine corbiot point b e slash agenda donc sur la page agenda Je me réjouis de ces trois moments avec vous. Vous serez également au Matin Philo. Vous animerez un cycle de conférences sur Spinoza. Vous trouverez toutes les infos sur le site des Matins Philo. Et puis, si vous voulez aller plus loin, évidemment, il y a le livre Finitude, Solitude et Incertitude, Philosophie du deuil, qui a été publié aux éditions. Puff ?

  • Speaker #0

    Puff.

  • Speaker #1

    Puff, voilà. C'est Puff. Voilà, un tout grand merci en tout cas.

  • Speaker #0

    Avec plaisir.

  • Speaker #1

    Et moi, je vous donne rendez-vous au prochain épisode. Et si vous avez envie d'avoir plus d'infos sur mes actualités, n'hésitez pas à vous inscrire à ma newsletter. Donc, www.sandrinecorbio.be slash newsletter. Je vous souhaite une très bonne après-midi et à très bientôt. J'espère que ce podcast vous a aidé à se miner. Si vous avez aimé ce podcast, n'hésitez pas à le partager ou à le commenter. Et si vous voulez plus d'infos sur mes activités, n'hésitez pas à vous inscrire à ma newsletter. Je mettrai tous les liens sous ce poste. Ce podcast fait aussi partie d'une émission diffusée sur Radio Alma tous les deuxièmes mardi et dernier mardi du mois. J'en profite pour remercier David Martinez pour la réalisation de ce podcast. Pour rappel, je suis Sandrine Corbiot, j'adore faciliter les prises de conscience et le changement et je me réjouis de vous retrouver la prochaine fois. A bientôt !

Description

Nul n'échappe aux deuils : non seulement à travers la mort d'un être cher, mais aussi à travers les multiples pertes auxquelles le simple fait de vivre nous expose tous.

...Qu'il s'agisse d'une rupture amoureuse, la perte d'un emploi, un exil forcé, les enfants qui quittent le nid, tomber malade, vivre un échec, ou tout simplement vieillir.


Dans cet épisode, j'ai le plaisir d'accueillir Jean-Michel Longneaux, Docteur en philosophie et auteur du livre « Finitude, solitude, incertitude ».

Ensemble, nous explorons le thème du deuil.


Jean-Michel Longneaux nous éclaire sur la manière dont ces expériences de perte nous façonnent, révélant notre vulnérabilité et nous offrant l'opportunité de renaître à nous-mêmes.

Un épisode qui invite à la réflexion et à la transformation intérieure.


Ressources :

Le livre de Jean-Michel Longneaux : "Finitude, solitude, incertitude"

Cycle de conférences sur le deuil - à partir du 8 octobre 2024 :

Rejoignez-nous pour un cycle de conférences sur le deuil animé par Jean-Michel Longneaux

A suivre en présentiel : https://www.sandrinecorbiau.be/agenda

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  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans J'ai 50 ans et alors, un podcast qui accompagne nos transitions. Je suis Sandrine Corbiot, j'adore faciliter les liens, les prises de conscience et le changement. Dans ce podcast, je vous partage des inspirations, des réflexions, des rencontres qui enrichissent mon quotidien. Pas de recettes toutes faites, juste des moments authentiques pour vous inspirer. Un rendez-vous qui fait du bien, une parenthèse qu'on s'octroie dans son quotidien pour marcher vers soi à son rythme. Alors aujourd'hui, nous avons le plaisir d'être en compagnie de Jean-Michel Longnot, qui est docteur en philosophie, chargé de cours à l'UNAMUR, conseiller en éthique dans le monde de la santé et de l'éducation, rédacteur en chef de la revue Ethica Clinica Finitude, solitude et incertitude, philosophie du deuil. Bonjour Jean-Michel Longnot.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Bienvenue, je suis ravie de vous accueillir ici dans le studio de Radio Alma. Nous allons parler du deuil, mais le deuil c'est un sujet qui peut évidemment être délicat, mais le deuil n'est pas que la perte d'un être cher. Il peut s'agir aussi d'une rupture amoureuse, de la perte d'un emploi. d'un exil forcé, des enfants qui quittent le nid, de tomber malade, un burn-out, vivre un échec ou tout simplement le fait de vieillir. Alors avant de passer au cœur du sujet, j'aurais voulu vous demander de vous présenter. Qu'est-ce qui vous a amené à la philosophie ?

  • Speaker #1

    Ah, eh bien donc ce sont des rencontres. Oui, principalement des rencontres et alors une espèce d'évidence. Donc les rencontres, c'est dans le cadre de mes études quand j'étais en secondaire. À la fin, comme je faisais des latins grecs, on a fréquenté des auteurs comme Platon notamment. qui est un incontournable. Et c'est vrai que c'est là que je me suis rendu compte que ça résonnait avec ce que j'étais, en tout cas sans trop savoir ce que j'étais à l'époque, mais en tout cas ça me parlait beaucoup. Et puis alors des rencontres qui sont venues par la suite sans doute, c'est-à-dire des personnes avec qui j'ai eu l'occasion de discuter, mais peut-être en amateur, et à l'époque j'étais encore très jeune, mais donc ce n'était pas au départ des philosophes comme tels de métier. mais des personnes qui avaient une tournure en tout cas philosophique, qui interrogeaient le monde, qui essayaient de le faire parler un petit peu, au-delà du bruit qu'il fait. Et comment... Donc c'est vrai que ces gens-là, voilà, ça m'a donné des clés, ça m'a parlé énormément. et donc sans doute une espèce de curiosité qui fait que en rencontrant des auteurs qui apportent ou qui essayent d'apporter des réponses, des gens qui m'ont amené des questions et une façon d'interroger le monde, ben voilà, le tour ensemble, la sauce a pris et puis je me suis embarqué dans l'aventure sans savoir où j'allais aller. Parce que quand on fait des études de philosophie, c'est vrai que bien souvent, on aime bien ce qu'on fait, on l'a choisi, mais on ne sait pas très bien à quoi ça va nous conduire. Et puis alors j'ai eu la chance par la suite de pouvoir en faire un métier. notamment en étant repris à l'université pour donner cours. Et donc, de fil en aiguille, on est payé pour se poser des questions. Et on peut en vivre, effectivement. Et alors, c'est à 100% là-dedans.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce qui vous anime le plus quand vous donnez cours ?

  • Speaker #1

    Ah, je crois que c'est... C'est de transmettre à mon tour ce que j'ai reçu de manière un peu hasardeuse au début, la capacité de pouvoir se poser des questions. Je crois que c'est ça. Je crois que ce qui m'anime le plus, c'est de transmettre. de faire en sorte que les gens comprennent, parce qu'il y a parfois des auteurs en philosophie qui sont quand même assez durs, assez abstraits, on n'a parfois plus vraiment le vocabulaire pour comprendre des auteurs anciens qui étaient dans un autre contexte culturel. Donc c'est de passer son temps, et c'est là que je perds le plus de temps d'ailleurs, quand je dois préparer des cours, c'est plus tellement dans la matière à enseigner, mais dans comment je vais l'enseigner pour que les gens puissent se le réapproprier et éventuellement en faire quelque chose qui peut les aider à se poser des questions. et puis peut-être trouver aussi des débuts de réponses, évidemment. Donc c'est sans doute ça qui m'anime le plus. Quand je vois que les gens ont l'impression, ou me renvoient en tout cas, le fait qu'il y a des petites lumières qui se sont éclairées, si vous voulez. Et souvent, ce qu'il faut rajouter peut-être, mais je ne sais pas si c'est intéressant, c'est que j'ai l'impression d'avoir bien fait mon travail quand les gens... me disent, dans le fond, vous ne m'avez rien appris, mais vous m'avez donné des mots pour le penser. Voilà, donc quand on dit qu'on éveille des petites lumières, c'est des petites lumières qui sont déjà là, évidemment. Je m'inquièterais, par exemple, si les gens disaient Tchô, vous m'avez raconté un truc, ça j'avais jamais pensé, j'ai jamais entendu, d'où ça vient ce truc-là ? Là, je m'inquièterais, parce que probablement que ce que je raconte alors tombe du ciel et ne s'accroche à rien. Donc peut-être que c'est intéressant en soi, tout ce qu'on veut, mais en tout cas, quand par contre, ce qu'on raconte en philosophie... ne fait que mettre des mots sur ce qu'on sait déjà, sur ce qu'on a déjà vécu, je pense qu'on a fait ce qu'on a pu en philosophie, c'est-à-dire qu'est-ce qu'on peut en philosophie, c'est aider chacun d'entre nous à prolonger l'expérience que l'on fait de la vie jusque dans ce qu'elle donne à penser. Et alors ça sert à quoi de faire un truc pareil ? Ça sert tout simplement à pouvoir s'en libérer. Quand on n'arrive pas à pousser ce qu'on vit jusque dans ce que ça donne à penser, on vit avec, on a ça en soi, et alors éventuellement, on se sent encombré, on n'est pas bien, on tourne en rond, il y a quelque chose là. Mais comme on n'a pas les mots pour le dire, comme on n'a pas les mots pour le penser, ben oui, c'est vrai, ça nous encombre, c'est là, et on ne sait rien en faire, et on mourra avec, avec éventuellement en plus le drame d'avoir transmis ça à nos enfants. Si on veut rester libre, si on veut rester vivant, tout simplement, l'impression que j'ai, moi en tout cas, il y a des sagesses philosophiques qui donnent à penser ça, ce qu'il faut pouvoir faire, c'est vivre pleinement l'instant présent. Et puis c'est de pouvoir tourner la page et passer à l'instant suivant, évidemment. Et donc, on ne peut se libérer d'une expérience que quand on arrive à la pousser jusqu'à son terme, jusqu'à son bout, si vous voulez, pour pouvoir en sortir et aller jusqu'au bout d'une expérience. Ce n'est pas simplement la vivre. et puis ne pas savoir quoi faire avec, mais c'est la vivre jusque dans ce qu'elle donne à penser, jusque dans ce qu'elle donne à transmettre éventuellement, etc. Et une fois qu'on est allé aussi loin qu'on n'a pu là-dedans, on se donne une chance de pouvoir s'en libérer.

  • Speaker #0

    Vous auriez un exemple concret qui illustre ça ?

  • Speaker #1

    Oui, et c'est en lien peut-être avec le deuil d'ailleurs, mais imaginez que vous vivez un moment heureux. le drame évidemment d'un moment heureux un moment heureux c'est un moment heureux c'est pas un drame évidemment mais le drame que l'on peut vivre parfois c'est qu'on a vécu un moment heureux tellement heureux qu'on ne veut plus que rester dans ce moment heureux et du coup ça vous prive de tout l'avenir que vous avez devant vous où le seul avenir que l'on s'octroie désormais c'est de vivre dans la mémoire de ce moment heureux tellement heureux qu'on n'imagine pas d'autre vie que d'être enfermé dans ce moment heureux tout le travail que l'on doit faire si on veut rester vivant c'est évidemment de jouir de l'instant heureux le plus possible quand on le vit, mais après c'est de savoir le quitter pour pouvoir se rendre disponible pour de nouveaux moments que l'on vivra, qui seront peut-être heureux, peut-être moins heureux, peut-être malheureux éventuellement, mais pour rester vivant. Il y a une phrase que j'aime bien qui dit ceci, qui dit Oh, qui stagne ou qui pue Le pire qui peut arriver pour un être humain, c'est de rester sclérosé, si vous voulez, figé, dans un instant qui a été tellement heureux ou tellement malheureux éventuellement qu'on n'arrive plus à en sortir. Donc c'est tout ce travail par lequel une fois que j'ai vécu ce que j'ai vécu, que je l'ai choisi, que je ne l'ai pas choisi, que je l'ai voulu ou pas voulu, etc. Peu importe, ça peut aller donc, c'est tout le spectre de ce qu'on peut vivre, des moments heureux jusqu'aux moments malheureux. C'est comment je fais pour en profiter pleinement tout en acceptant que ça ne durera pas. puisque quoi ? puisque nous sommes dans le temps tout simplement donc en philosophie c'est ce qu'on va vous dire pour aller tout de suite à l'essentiel nous sommes des êtres temporels et donc la minute que nous vivons maintenant elle disparaît de manière irréversible et donc la question c'est est-ce que je ne suis plus que le mausolée le tombeau de mon passé que j'essaye de préserver comme une momie ou est-ce que j'accepte pour ne pas tomber dans ce que l'on serait alors une espèce de mort vivant est-ce que pour rester vivant je dois accepter Moi je ne vois pas comment on peut faire autrement. Est-ce que je dois accepter donc de me libérer de ce que j'ai vécu pour... Non pas recommencer à zéro, on ne recommence jamais rien à zéro dans sa vie, mais pour, à partir de ce que j'ai vécu, pouvoir m'ouvrir à autre chose.

  • Speaker #0

    Et donc c'est ça, faire son deuil.

  • Speaker #1

    Et alors du coup, de manière fondamentale, quand on va au-delà des questions de mort d'un proche, auquel on associe souvent le mot deuil, dire que nous sommes, en tant qu'êtres humains, concernés par le deuil, c'est dire qu'étant donné ce que nous sommes, c'est-à-dire des êtres dans le temps, pour le dire simplement. en devenir, étant donné ce que nous sommes, nous ne pouvons rester vivants qu'à la condition de pouvoir nous libérer de ce qui n'est plus, et que nous ne revivrons plus jamais. Donc une deuxième fois, par exemple, je peux rencontrer quelqu'un dans la rue, et c'est la femme de ma vie, ou c'est l'homme de ma vie, et je l'ai rencontré la première fois, c'est unique, c'est merveilleux, du coup le lendemain, parce que je n'ai rien osé lui dire, je vais me remettre dans la rue en espérant que la personne passe à nouveau. Ben, elle va passer à nouveau, imaginons. mais vous vous rendez compte on a déjà tout perdu parce que ce sera une deuxième fois ce ne sera pas et ce ne sera plus jamais une nouvelle première fois évidemment vous êtes déjà dans la répétition mais vous voyez si jamais je veux revivre exactement l'instant premier où j'ai été ébloui par la personne parce que c'était la première fois que je la voyais je serais déçu Parce que la deuxième fois, c'est déjà du réchauffé, si vous voulez. Et donc on ira comme ça de déception en déception jusqu'à l'ennui. Finalement, si je vis avec la personne, c'est encore pire, parce que tous les matins elle est là, et à un moment donné, on essaye de retrouver l'instant où on a vibré la première fois, mais ça s'émousse, ça s'émousse, et finalement, c'est le malheur, c'est l'ennui, et c'est la séparation, ou c'est le drame, ou je ne sais quoi d'autre, les reproches que l'on fait à l'autre. quand on veut pouvoir rester par exemple avec quelqu'un ici pour prendre cet exemple là un vivre ou en tout cas partager un bout de chemin avec quelqu'un c'est vrai que si je reste donc enfermé dans l'émerveillement du départ je condamne l'autre à être décevant et que la seule manière de pouvoir s'en sortir c'est effectivement de se dire la chance qu'on a eue de pouvoir être émerveillé une première fois et donc au moment où ça se produit avec l'expérience on peut se dire, on peut arriver à ça en tout cas, c'est d'en jouir pleinement et puis après c'est de ne plus demander à l'autre de reproduire évidemment le souvenir dans lequel je voudrais rester enfermé pour vivre autre chose avec l'autre et aller ainsi pour que la relation, pour le dire autrement et plus simplement, pour que la relation reste vivante. Souvent on se condamne dans tous les aspects de sa vie On se condamne à vivre une vie que l'on trouve finalement trop courte, trop fade, ennuyeuse, etc. parce que l'on reste enfermé dans des attentes dont on n'arrive pas à faire le deuil. Voilà, et ce sont les attentes souvent qui peuvent nous pousser en avant, c'est vrai, ça c'est le côté positif, mais c'est aussi ce qui malheureusement déprécie le réel, parce que le réel n'étant jamais à la hauteur de nos attentes, ou en tout cas rarement, cette déception, finalement c'était que ça, et c'est une espèce de vie rétrécie qu'on a l'impression de vivre. La seule manière d'en sortir, ou en tout cas une première chose que l'on peut faire par rapport à tout cela, c'est de... quand on a l'impression que la vie est mal foutue c'est de se demander si elle est réellement mal foutue en attendant elle est ce qu'elle est mais c'est probablement davantage d'interroger au regard de quoi je juge que la vie est mal foutue c'est-à-dire au regard de quelles attentes Je peux dire que comme elles ne sont pas remplies, ces attentes, elles ne sont pas rencontrées, ben oui, forcément, la vie est mal foutue. Et la question qu'on doit se poser ensuite, c'est, si j'ai des attentes vis-à-vis des gens, vis-à-vis de la vie, vis-à-vis de moi-même, etc., que valent ces attentes ?

  • Speaker #0

    Et comment lâcher ces attentes ? Ou comment faire le deuil ?

  • Speaker #1

    Il y a plusieurs voies possibles, évidemment. Donc ça, c'est un souci, évidemment. Il peut y avoir comme petit marche-pied, mais ça ne suffit pas à mon sens. Il peut y avoir la philosophie ou d'autres disciplines du même genre. Il n'y a pas que la philosophie qui parle de ces sujets-là, évidemment. Ou d'abord, on peut au moins essayer d'en prendre conscience, prendre conscience de ce qui nous agite. de ce qui nous traverse, de à partir de quoi nous vivons notre vie, si on n'en prend même pas conscience qu'on se contente de vivre. Ça rejoint le propos de tout à l'heure. On va traverser l'existence et puis on va mourir. Et si on a encore toute sa tête à ce moment-là, on se dira, c'est passé si vite et je n'ai pas compris ce que j'ai vécu. C'était donc que cela vivre. Donc, soit on traverse la vie sans se poser des questions. La philosophie peut être un des moyens qui parle à certains, qui ne parle pas à tous, mais un des moyens par lesquels on peut commencer à faire quoi. Comment c'est ? Ça, c'est la première étape, me semble-t-il. Essayer de savoir un peu qui on est. De ne pas traverser la vie comme un étranger, si vous voulez, et de mourir en ne sachant pas très bien à quoi on a joué, finalement. Et une fois qu'on connaît un peu ce qu'on est, en tout cas qu'on lève le coin de certains voiles, parce qu'on n'en finira jamais à se demander ce qu'on est, évidemment, mais une fois qu'on lève un peu le coin de certains voiles et qu'on voit, par exemple, pour revenir à notre propos, que c'est vrai que je suis traversé par des attentes. qui viennent de je ne sais pas trop où de mon éducation ma culture de mes expériences passées peut-être mais enfin après il y a toute une série d'attentes et ces attentes quand j'essaye de comprendre ce qu'elles sont je me rends compte qu'elles ne sont que dans ma tête et que la réalité n'en a que faire c'est-à-dire que ces attentes ça relève finalement de l'ordre enfin c'est de l'ordre de l'imaginaire et malheureusement les lois de l'univers n'ont que faire que j'imagine que le monde devrait être comme ceci ou devrait être autrement le monde il est comme il est donc quand je prends conscience que Mes attentes le plus souvent relèvent de l'ordre de l'imaginaire et que c'est à partir de là que je juge le monde et que bien souvent, malheureusement, ça fait apparaître le monde comme étant mal fait au regard de mes attentes. Donc voilà la question et je retrouve votre question, c'est d'abord j'en prends conscience et puis je me pose la question, c'est mais qu'est-ce que je peux faire ? Est-ce que je peux changer le monde comme il va ? il y a des petites choses qu'on peut changer, et il faut toujours changer tout ce qu'on peut changer dans le monde, évidemment. Mais par rapport à l'ensemble de l'existence et du monde en tant que tel, j'ai l'impression que je ne peux rien changer. Ce n'est pas qu'une impression, j'ai essayé une fois ou l'autre, et puis on se rend compte que ça n'empêche pas quand même les guerres, ça n'empêche pas le malheur, ça n'empêche pas les gens que j'aime de mourir, ça ne m'empêche pas moi de me tromper dans des relations, ou je ne sais pas quoi, ou de vivre des malheurs. Enfin bref, donc à un moment donné, c'est vrai que je me dis que si je ne peux pas changer le monde pour toute une série de choses... partout où je peux intervenir il faut le faire mais il y a bien des domaines par exemple je ne peux pas empêcher que je meure un jour je ne peux pas empêcher non plus que je vieillisse et que le temps passe et je peux danser sur ma tête je n'y arriverai jamais donc la question c'est si je ne peux pas garder l'instant fugace le figer est-ce que je ne devrais pas plutôt que d'essayer de le conserver et de vivre une vie de mort vivant, pour reprendre l'expression de tantôt, est-ce que je ne peux pas essayer de faire un petit effort pour me libérer des attentes à partir desquelles je déprécie le monde, ou à partir desquelles j'ai l'impression que le monde finalement c'est tellement rapide, c'est tellement malheureux, c'est tellement mal fait. Et sur les attentes qui m'animent, ça tout le monde peut le constater, c'est vrai que ça ne dépend que de moi. Encore faut-il que j'en prenne conscience, mais une fois que j'en prends conscience, peut-être que je peux commencer à faire un travail pour essayer de me libérer de ces attentes. Alors se libérer de ces attentes, ça veut dire non pas ne pas avoir d'attente, mais tout simplement apprendre à ne plus juger le monde à partir d'elle. Et quand on fait ce petit travail-là...

  • Speaker #0

    Ah oui, mais on fait comment alors ? Est-ce que c'est jouir de l'instant présent alors, qui nous permet de...

  • Speaker #1

    Vous rendez possible le fait qu'on rejouisse à nouveau de l'instant présent, quand on fait ce travail-là. Mais maintenant, comment on fait ce travail-là ? Alors, c'est pour en arriver à ça que je précise un peu les choses. Donc, la philosophie est un début. Mais malheureusement, nos attentes sont liées au viscéral, c'est-à-dire c'est souvent de l'ordre de... ou c'est en tout cas lié aux émotions.

  • Speaker #0

    C'est plus profond.

  • Speaker #1

    Donc c'est plus profond, donc la philosophie ne suffit pas. La philosophie, ce ne sont malheureusement que des mots, ce sont que des tentatives de dire les choses. Et comme le disait par exemple Spinoza, la raison ne peut rien contre les passions. Donc là, il ne faut pas être dupe, évidemment. La philosophie ou le travail de mise en mots ne suffit pas pour faire ce travail-là. Alors du coup... Comment les gens se débrouillent ? Comment vous et moi dans la vie de tous les jours on se débrouille ? C'est un peu décevant de dire ça, mais ce que l'on entend le plus, donc il n'y a pas que ça, mais ce que l'on entend le plus, c'est que c'est tout simplement à l'usure de l'expérience de la vie que beaucoup parmi nous, on corrige un peu les attentes qu'on avait au départ par rapport à la vie. Donc en d'autres termes, c'est terrible de dire ça, mais c'est quand on se casse la figure.

  • Speaker #0

    C'est l'expérience.

  • Speaker #1

    Donc c'est l'expérience de l'échec, c'est l'expérience de la déception éventuellement, de l'ennui dont on parlait tout à l'heure. Enfin voilà, c'est à l'usure du monde et pas à travers bien souvent des grandes théories que l'on se dit mais ça ne va pas, je ne suis pas bien. Et c'est parce que je ne suis pas bien qu'en général on se met en mouvement ou bien on est cassé évidemment. Mais dans la majorité des cas où on arrive à se relever et puis on ne veut pas rester dans un... un marasme insupportable, et donc on se demande comment je peux agir, et c'est dans ce mouvement-là où je ne me sens pas bien, qu'en réalité ce qui se joue par-delà ce que j'imagine, ce qui se joue c'est quoi ? C'est le fait que mes idéaux, mes attentes, ce que je rêve, etc., ça commence à être mis en question. Donc en d'autres termes, ce que je veux dire, c'est que pour beaucoup d'entre nous, et pour tout le monde, même pour les philosophes, Il y a pas mal d'attentes qui nous enferment, qui nous empêchent de vivre, qui sont remises en question simplement du fait de vivre, si vous voulez. Et de se confronter aux autres, de se confronter à la dureté du monde, de se confronter à... Et de constater, de vivre dans son corps, dans sa chair, le fait que le monde ne fonctionne pas comme moi je voudrais bien.

  • Speaker #0

    Donc ça, vous pouvez nous donner un exemple concret ?

  • Speaker #1

    L'exemple le plus simple, évidemment, qui est relativement général. c'est celui de vieillir. Il y a un moment où le fait d'être pris dans le temps, c'est ce qu'on appelle dans des beaux savants, on appelle ça la sénescence, le phénomène de vieillissement. On peut toujours en parler, et tant qu'on tout va bien, ce sont que des théories, effectivement. On peut faire des beaux discours sur le fait de vieillir, tout ce qu'on veut, et on brasse de l'air, quoi, si vous voulez, mais en même temps, on dit peut-être des choses intéressantes. Mais pour chacun d'entre nous, comment est-ce qu'effectivement le franc va tomber ? C'est-à-dire, comment est-ce que je vais intégrer dans ma vie le fait que je suis une personne vieillissante ? Tant que je peux croire que je suis jeune, que tout va bien. je laisse causer les autres. Alors, de nouveau, les autres disent peut-être des choses intéressantes, ça me fait réfléchir, mais vous comprenez, ce ne sont que des mots. Dans ma vie, en attendant, je vis comme si j'avais 25 ans, et même si j'en ai 50, tout va bien, la vie me sourit, j'ai toujours la santé, j'ai tout ce que vous voulez. Comment est-ce qu'on fait ? Les gens le racontent. Comment est-ce que tout d'un coup le franc tombe ? Je vais vous donner un exemple tout simple, et là c'est le réel qui nous rappelle à l'ordre. C'est par exemple le jour où on vous dit madame monsieur voilà vous avez un petit souci de santé je vais vous envoyer en gériatrie ah ben y a des patients qui racontent quand j'ai entendu ce mot-là je vais être en gériatrie là tout d'un coup c'est tout ce que je croyais être qui s'effondre l'image de moi-même et on me renvoie une réalité et c'est terrible c'est horrible on me renvoie une réalité qui est que ben oui c'est vrai que j'ai soixante-cinq ans Et c'est vrai que le temps est passé, enfin. Mais tant que je n'ai pas entendu ça, tant que je n'ai pas été confronté à la réalité, non pas d'une maladie, parce que quand on est jeune, on peut aussi être malade, mais que tout d'un coup, on me dit, voilà, vous, ce sera en gériatrie. Là, il y a quelque chose qui se joue. Enfin, pour certaines personnes, ce n'est pas une règle générale, mais c'est un événement dans l'expérience. Ce n'est pas moi qui fais un travail sur moi-même, etc. C'est tout d'un coup le réel qui me rappelle alors. Et alors, soit je suis blessé. Et de nouveau, pourquoi est-ce que je suis blessé ? C'est parce que dans ma tête, je suis toujours quelqu'un. Et à un moment donné, soit je m'ajuste, soit je reste convaincu que je suis jeune. Et donc, c'est dégueulasse de m'avoir dit ça comme ça. Et je serai en colère contre la paix. Donc, en fonction de l'attitude que l'on aura. et de la confrontation réelle, du regard que les autres portent sur nous, par exemple, dans le quotidien, c'est vrai que c'est dans cette vie-là réelle que tout d'un coup, on est mis en décalage, en porte-à-faux. Ça ne cadre pas avec comment on perçoit la vie. Et donc de deux choses. L'une, soit je dis aux autres maintenant vous vous taisez, ce que vous dites est scandaleux quand vous me dites que je dois aller en gériatrie ou bien alors je me dis ma représentation de moi-même doit peut-être changer, parce que c'est vrai que j'ai tel âge, c'est vrai que le temps est passé, c'est vrai que je ne peux pas faire marche arrière Je peux bien me teindre les cheveux ou faire des liftings ou je sais pas quoi pour essayer de garder l'apparence, mais en attendant j'ai l'âge que j'ai et c'est vrai que peut-être c'est plus facile, en tout cas j'ai prise là-dessus, d'essayer d'accepter ce que je suis. qui sera en phase avec ce que le monde par ailleurs me renvoie, que de continuer à jouer un jeu qui, à un moment donné, devient tellement en décalage que ça devient intenable. Donc s'il faut prendre une expérience générale, dans des choses que l'on entend, c'est ce genre de... Plus jeune. Donc ici, ce n'est même pas une personne de 65 ans, c'est une personne qui a une jeune dame, si on veut, en tout cas par rapport à mon âge, et elle me dit que j'ai été choqué. Et elle a vécu mal le jour où dans les transports en commun, il y a quelqu'un qui s'est levé et qui m'a dit Madame, si vous voulez vous asseoir et en désignant la place qu'il venait de libérer. Et ce qui a choqué cette jeune femme, c'est quoi ? C'est pas qu'on lui propose de s'asseoir, mais c'est qu'on lui ait dit Madame Donc vous voyez, c'est une bêtise, c'est deux fois rien, mais c'est rester dans sa tête comme étant quelque chose de… Mais voilà qu'on me parle comme une madame, et puis tout d'un coup, c'est vrai que j'ai 30 ans, je ne sais plus quel âge elle avait, mais en tout cas, elle était relativement jeune, et ça a été un choc. Et puis après, c'est vrai que je ne suis plus une étudiante, c'est vrai que je suis maman d'enfant. Et tout d'un coup, l'image, la réalité qui est la sienne, a pu se réconcilier avec la représentation qu'elle avait d'elle-même. Mais ça a demandé qu'elle sorte d'une espèce de... d'illusion, si vous voulez, de représentation non interrogée de soi, où j'ai l'impression que je suis toujours la même personne et que je suis toujours jeune. Tout d'un coup, il y a un petit événement.

  • Speaker #0

    Une petite chose qui fait que... On parlait du fait d'accepter, effectivement, de vieillir et que ça nous ramenait à plusieurs choses, à nos limites, à nos relations et aux sentiments d'injustice et à l'avenir. Est-ce que vous pourriez un petit peu développer ces trois aspects ?

  • Speaker #1

    Quel que soit le deuil que l'on a à faire, c'est vrai que ça bouleverse les vrais deuils. Avant de commencer, on pourrait peut-être d'abord donner une définition de ce qu'est le deuil, en tout cas une caractéristique du deuil. Le deuil concerne toutes les situations que nous vivons qui sont par définition donc irréversibles. Donc c'est ce qui permet de distinguer le deuil d'une crise par exemple. Donc tout n'est pas deuil évidemment. Donc par exemple, je peux passer un mauvais moment dans ma vie, et puis quand j'ai traversé ce mauvais moment, qui peut durer, mais enfin peu importe ici, une fois que j'en suis sorti, je reprends plus ou moins ma vie comme avant. Dans ce cas-là, vous n'avez pas vécu un deuil, vous avez vécu une crise. Quand on est dans un deuil, quand vous allez recommencer à vivre un peu, quand on sort du chagrin, de la tristesse, de la colère, enfin que voilà, on sort du mauvais moment qu'on a traversé à cause d'un deuil, vous n'allez plus. Retrouvez la vie d'avant. Vous ne recommencez pas à vivre comme avant. Donc vous êtes dans quelque chose qui est irréversible, qui vous empêche de pouvoir revenir en arrière.

  • Speaker #0

    C'est une question de rupture ? Il y a une rupture ?

  • Speaker #1

    Donc ça veut dire qu'il y a un avant et un après. Et donc il y a quelque chose de l'ordre d'une rupture, si vous voulez. Et dans ce cas-là, alors vous êtes dans un deuil. Donc le mot deuil est réservé à toutes ces expériences dans la vie où il y a un avant, il y a un après, et je ne suis plus le même qu'avant une fois que je remonte la pente et que je commence à revivre un peu. On a été transformé, si vous voulez.

  • Speaker #0

    Par rapport à la société dans laquelle on est aujourd'hui, qui est quand même une société où on est en transition avec le Covid il y a quelques années, puis la crise économique, les bouleversements sociaux, est-ce qu'on est dans un processus de deuil par rapport à une société d'avant, une société qui se transforme ? Ou bien on ne parle pas là d'un deuil ?

  • Speaker #1

    Là, on parlera plutôt d'une crise, parce que si vous regardez avec la crise Covid, c'est l'expression qu'on a consacrée finalement. Donc là, pour le coup, c'est tout à fait judicieux. Donc quand vous regardez la crise Covid, on a repris notre vie comme avant. Et sur toute une série de plans, c'est même pire qu'avant. Malheureusement. Les avions redécollent encore plus qu'avant. On aurait pu espérer, il y a des gens qui avaient espéré ça, je ne sais pas si vous vous souvenez, que ce soit effectivement un moment de rupture, ce qu'on appelle maintenant la crise Covid, pour pouvoir ouvrir un nouveau monde, un nouveau rapport éventuellement au travail, avec les problèmes d'environnement. Puisqu'on avait mis les compteurs à zéro, on avait arrêté le jeu économique, c'était l'occasion de se demander si on ne pouvait pas redémarrer un peu autrement. Et là, on aurait été dans un avant et un après. Ici, non, pas du tout. Donc, on essaie d'oublier le plus vite possible et on repart dans le monde. Et on retravaille comme avant et on retrouve tout ce qu'on a laissé avant. Enfin, voilà. Maintenant, petit détail pour des personnes individuelles. qui ont perdu par exemple un être cher pendant la crise Covid, pour des parents qui ont vu leur enfant en décrochage, je ne sais pas quoi, là, ce n'est pas tout à fait une crise. Là, ça devient plus un deuil. Il y a un avant et un après. Avant, mon père, ma mère ou je ne sais pas qui, j'étais toujours avec. Et puis, je pouvais les voir, je pouvais discuter avec eux. Et puis, ils sont morts à cause du virus ou je ne sais pas quoi. Peu importe, ils sont morts durant cette période-là. Et maintenant que la crise est terminée, ma vie n'est plus la même qu'avant. parce que j'ai perdu un être cher ou plusieurs êtres chers. Quand on discute dans le monde hospitalier avec des soignants qui ont perdu des collègues, Là, c'est clair que pour eux, ce n'est pas une crise. Il y a un avant et un après. Chaque jour où ils retournent à leur travail, c'est pour retrouver un lieu où il n'y a plus le collègue qui était censé encore être là. De manière sociétale, la crise Covid a bien été une crise et la société a repris la route. On est reparti pour faire tout et n'importe quoi. Mais au niveau individuel maintenant, il faut discuter avec les gens. Pour certains, ce n'est pas une crise. qu'il faut oublier. On n'en est pas sortis indemnes. Il y a des jeunes pour lesquels on sait bien qu'il y a eu un phénomène de décrochage. Il suffit de parler avec les psychiatres, les pédopsychiatres. Ça a été difficile et donc ce sont des familles qui sont touchées en plein cœur. Enfin bon, toujours est-il que. Donc quand on parle de deuil, ça c'est la première chose quand même qu'il faut rappeler. C'est que vous parlez uniquement des situations et il y en a une infinité dans notre vie où il y a un avant et un après. Et impossible de revenir en arrière. C'est toute la discussion qu'on a eue. précédemment le temps qui passe fait que la minute que vous vivez maintenant vous ne la revivrez plus jamais vous pouvez en avoir la mémoire mais vous ne pourrez pas faire marche arrière et la revivre enfin voilà donc déjà rien que d'être dans le temps Un être vieillissant, nous sommes condamnés à devoir en permanence, de manière irréversible, nous libérer de la minute écoulée pour accepter de vivre la suivante.

  • Speaker #0

    Donc la vie est un processus de deuil.

  • Speaker #1

    Alors de ce point de vue-là, ce n'est pas comme ça qu'on le dira, mais c'est ça l'idée. Si on est d'accord pour réserver le mot deuil à l'irréversibilité de l'existence qui nous condamne donc à lâcher ce qui est irréversiblement perdu, ça ne sert à rien de vouloir le maintenir à tout prix. Il est perdu, il est perdu. Ça veut dire, et c'est pour ça que les philosophes s'intéressent à la question, donc on dira dans le jargon des philosophes, l'essence même de l'existence, ce que c'est que de vivre, si on veut rester vivant dans la vie, c'est précisément, ce n'est pas que ça, mais pour rester vivant et pour pouvoir continuer à jouir de l'existence, c'est constamment de pouvoir nous libérer, donc lâcher, faire le deuil.

  • Speaker #0

    de tout ce que nous avons vécu, que ce soit des moments malheureux ou que ce soit des moments heureux. Peu importe, mais c'est en me libérant du passé, en en faisant un souvenir, et en arrêtant de vouloir que le passé dure, qu'on peut s'ouvrir à un avenir, aussi court soit-il. Donc vous pouvez avoir des personnes âgées, qui savent bien que statistiquement, elles n'en ont plus pour 50 ans à vivre, mais néanmoins, d'être dans ce mouvement-là, c'est ce qui va se traduire par, vous le disiez tout à l'heure très justement, par le fait qu'on va essayer de continuer à jouir de l'instant présent. Mais vous vous rendez bien compte que pour jouir de l'instant présent, si je suis enfermé dans mes souvenirs et que le bon vieux temps est le seul temps heureux de ma vie, je dilapide l'instant présent. Je perds l'instant présent pour en faire le moment nostalgique et donc souffreteux du regret du temps écoulé. Donc ça, ce n'est plus une vie.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce qu'on dit alors à quelqu'un qui est enfermé justement là-dedans ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qu'on lui dit, on essaye tout simplement, il me semble en tout cas, dans ce que l'on peut faire quand on accompagne des gens qui sont là-dedans, c'est d'abord d'essayer de les entendre, donc de les entendre dans ce regret, etc., dans la nostalgie, dans le souvenir des bons moments. Et puis après, alors, ce que l'on fait, en tout cas, moi je ne suis pas thérapeute, mais dans ce que l'on entend que les thérapeutes font, ou dans ce qu'on peut faire en philosophie, quand on est dans un entretien philosophique, c'est à un moment donné... de moins se concentrer, donc de moins écouter ce que la personne dit de son passé, là où elle fouille, là où elle se projette, donc on essaye de faire moins attention à ça que à la façon qu'elle a d'en parler. Donc par exemple, imaginons que mon conjoint soit décédé, voilà j'ai 65 ans, 70 ans, 80 ans, enfin peu importe, et je ne vis plus que dans le souvenir de ce bon vieux temps où j'étais avec la personne que j'aimais. Ce que l'on peut faire, c'est soit de parler pendant des heures et des heures du conjoint disparu, et du temps passé, de ce temps qui ne reviendra pas, etc. Ou bien alors, je peux essayer, quand j'accompagne quelqu'un, je peux essayer d'entendre comment est-ce qu'elle parle de ce bon vieux temps. Pour essayer de faire quoi ? Pour essayer tout simplement de la ramener à aujourd'hui, là maintenant. Et par exemple, on peut dire à quelqu'un, pendant que vous me parlez de votre maison, de votre métier quand vous travaillez, de tout ce que la personne regrette, de cette relation qui a été perdue éventuellement, de cette rupture que vous avez vécue, Je sens, je perçois que vous êtes triste ou Je perçois que vous êtes en colère ou Je perçois que… ce genre de choses. Quand vous faites ça, c'est tout bête. Vous sortez de l'écoute de ce qui est dit pour vous intéresser à comment la personne le dit. Et vous essayez de nommer, mettre des mots, toujours mettre des mots, essayer de nommer ce que la personne vit pendant qu'elle se remémore ce bon vieux temps où tout allait mieux, où tout était merveilleux. Et quand on fait ça donc, ce que l'on essaye de faire, c'est de la ramener. en accord dans l'instant présent qu'elle est en train de vivre, qui n'est donc pas très joyeux, si on est dans la nostalgie, le regret ou je ne sais pas quoi, mais au moins d'essayer de la sortir de cette fuite en avant dans les souvenirs, pour essayer donc de retrouver ce qui est encore vivant. Être malheureuse, c'est encore être vivant. Et puis à partir de là, alors en fonction de ce que la personne vous raconte, en fonction de ce qu'elle dit, des perches qu'elle tend, c'est d'essayer d'interroger pourquoi elle est malheureuse, pourquoi elle est en colère. quelle est la bonne raison ? C'est la question que j'ai tendance à poser. C'est quelle est la bonne raison qui fait que quand vous vous souvenez de tel moment, je perçois qu'il y a toujours un petit pincement au cœur. Et alors une fois qu'on fait ça, on retrouve quoi ? Ce dont on parlait tout à l'heure, ce qu'on retrouve alors, ce sont les attentes. Mais je pense qu'elle aurait dû toujours être là. Pourquoi est-ce qu'elle est partie avant moi ? Pourquoi est-ce que je suis ici maintenant ? Donc c'est d'interroger les attentes au regard desquelles la situation présente est insupportable, et à partir de là, de faire un travail sur les attentes. Donc ça c'est un truc possible, mais le problème évidemment dans ce dont nous parlons ici, c'est qu'il n'y a pas de recette.

  • Speaker #1

    Non, il n'y a pas de recette.

  • Speaker #0

    Mais c'est une manière de faire, c'est toujours de sortir des projections dans le passé bien souvent, ou dans le constat que le monde est mal fait, pour essayer de retrouver ce qui est vivant chez la personne, et qui est d'abord... quelque chose de l'ordre de la souffrance, puisqu'on se plaint, puisqu'on n'arrive pas à lâcher, etc. Et puis c'est de creuser cette souffrance-là. Et l'autre manière de faire, dont on parlait tout à l'heure, c'est de permettre à la personne d'aller jusqu'au bout de sa souffrance. Donc, ce n'est pas simplement de parler sur la souffrance pour dire, derrière votre souffrance, il y a des attentes et vous pourriez, etc. Tout ça, c'est des conseils qui n'ont aucun intérêt. Mais enfin, mettre des mots, ça peut être intéressant déjà, ça peut aider à prendre confiance. Et puis, c'est de permettre à la personne de continuer à ne pas lâcher l'affaire, à rester accrochée à ses attentes. pour le moment en tout cas, et puis de s'user, de s'user jusqu'au moment où avec les mots, avec l'attention qu'on a, etc., pour elle, peut-être qu'elle osera avoir un peu de bonheur dans l'instant présent. Par exemple, il y a des gens, je dis ça parce que je pense à une situation qui est... relativement habituel. Tout le monde ne vit pas ça. Mais il y a des gens qui vont, en étant dans ces moments de deuil-là, qui vont s'interdire d'être heureux parce qu'ils ont l'impression qu'en étant heureux maintenant, en riant, en partageant un bon moment, ils trahissent la mémoire, par exemple, d'un défunt. Et donc, il s'empêche littéralement. C'est faire tout ce travail pour essayer de retrouver l'instant présent, et puis là-dedans, de retrouver peut-être une forme de liberté, de pouvoir encore être heureux, même si j'ai perdu ceci, même si je ne ferai pas marche arrière, même si je ne pourrai pas retrouver mon passé. Mais c'est maintenant que je vis, et c'est maintenant que je dois essayer encore peut-être d'être heureux. Voilà, et donc c'est ça qu'on essaye de faire, bien évidemment.

  • Speaker #1

    Et par rapport à l'expérience de... Donc vous parlez dans votre livre de finitude, solitude et incertitude. Est-ce que vous pouvez expliquer en quelques mots ?

  • Speaker #0

    Oui. Donc quand on se demande, quand on a le luxe de pouvoir ne pas être confronté à un deuil. Donc on en a vécu, enfin j'en ai vécu comme tout le monde. Mais pour le moment, ça va bien. Une question qu'on peut se poser, quand on est en deuil, on s'en fout de ces questions-là, évidemment. Mais pourtant, c'est important. Mais voilà, c'est en général quand on va un peu mieux qu'on peut commencer à se poser ce genre de questions. Laquelle ? Qu'est-ce que les deuils révèlent de ce que je suis en tant qu'être humain ? Quand je perds tout ? ma vie bascule. Imaginons des deuils importants. Je perds mon emploi, je perds ma santé, je perds quelqu'un que j'aime, peu importe. Ma vie bascule et j'ai l'impression que tout devient absurde. La question qu'on va poser, c'est plutôt que de dire il n'y a plus rien, je suis foutu, autant se tirer une balle dans la tête. La question qu'on peut encore poser, que les psys aussi posent, donc une fois encore, les philosophes n'ont pas de monopole là-dessus, sur la question et sur la manière d'y répondre. Mais quand on se demande, mais qu'est-ce qui reste de moi quand je suis complètement anéanti ? quand j'ai été secoué par la vie. Et ce que l'on découvre, en tout cas, ce que les philosophes arrivent à dire sur cette question-là, donc ce n'est jamais qu'une partie de ce que nous sommes, on n'épuisera jamais le sujet, mais ce que l'on découvre, c'est que dans le fond, dans les deuils, et c'est vrai que c'est dur, c'est pas très sympathique de prime abord, et pourtant c'est tellement important. c'est qu'il y a trois caractéristiques de notre existence qui là tout d'un coup émergent, apparaissent si vous voulez, et pas simplement intellectuellement. Mais quand on vit un deuil, on le vit. C'est ça qui est terrible. Alors la première chose que l'on découvre, c'est quoi ? C'est que je suis quelqu'un qui est limité.

  • Speaker #1

    Donc on veut l'expérience de ses propres limites. Voilà.

  • Speaker #0

    Je n'ai pas pu empêcher le drame de se produire. Je n'ai pas pu retenir le passé. Je n'ai pas pu retenir la personne que je l'aimais. Et du coup, je ne suis pas tout puissant. En tout cas, je ne mène pas ma vie comme je le voudrais. Et là, ce que je découvre, et dans les deuils, c'est donc ce qui apparaît d'abord dans les tripes, avant que ça ne vienne au langage. Ce que l'on découvre, c'est que nous sommes quelqu'un qui est donc limité. Alors maintenant, vous voyez l'affaire. Si je ne supporte pas d'être quelqu'un qui est limité, les deuils, c'est horrible, parce que là, tout d'un coup, il n'y a plus de masque. Je me vois comme je suis. Je suis impuissant. Je pleure. Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. Je suis anéanti. Je fais l'expérience de mes limites. Si je n'aime pas ça, le fait d'être limité, Que je veux continuer à rester tout-puissant, vous comprenez l'affaire, on rejoint ce qu'on a déjà dit tout à l'heure, c'est-à-dire que plus je veux rester tout-puissant, plus je vais évidemment souffrir d'être ramené à mes limites. Et tous ceux qui me rappellent que je suis d'ailleurs limité, je ne les supporte pas ces gens-là. Enfin bref, je vais être en guerre totale. La seule chose que l'on peut faire quand on est confronté à ses limites, Alors on peut toujours travailler ses limites pour essayer de les reporter, mais il y a des limites aux limites. Il n'y a pas moyen de faire autrement. Et donc, dans les deuils, c'est ce qui apparaît. Eh bien, ce que je peux faire pour essayer de m'en sortir, c'est quoi ? C'est essayer tout simplement de me réconcilier avec le fait que je suis limité. D'accepter que je ne peux pas tout, que je ne peux pas tout pour les gens que j'aime, que je ne peux pas tout dans le monde du travail où je suis, où pourtant je travaille bien, ça n'empêche pas que je puisse être licencié, etc. Donc c'est d'accepter. Que je ne suis qu'un humain, qu'un homme, une femme, que je suis quelqu'un qui est limité, qui doit faire tout ce qu'il peut évidemment quand il agit, mais faire tout ce que je peux, ce n'est pas faire tout ce que j'aimerais bien.

  • Speaker #1

    Que je fais ma part.

  • Speaker #0

    Je dois faire ma part, mais c'est une part qui est limitée finalement, par rapport à tout ce que j'aimerais bien pouvoir faire. plus je suis à l'aise plus je me réconcilie avec le fait que je suis quelqu'un qui est limité moins je souffrirai d'y être confronté dans les deuils par exemple ou dans les aléas de la vie par contre plus je veux être tout-puissant Et mener ma vie comme je veux, comme je l'entends, etc. Chaque fois que la vie va me ramener à mes limites, c'est un supplice, c'est insupportable. Si je veux essayer de traverser les épreuves que la vie m'impose, vous avez là une direction à suivre. C'est de faire avec ses limites. Donc ce qui suppose une chose, quand je travaille avec des gens, parfois je pose cette question-là, c'est est-ce que vous êtes d'accord pour dire qu'en tant qu'être humain, qu'on le veuille ou pas, qu'on l'aime ou pas, on est quelqu'un qui est limité. Alors tout le monde, évidemment, oui, c'est vrai qu'on est limité, on le sait bien, etc. Maintenant, deuxième question, c'est celle-là qui est redoutable. Donc vous êtes d'accord pour dire qu'on est limité. Est-ce que vous pouvez, là, tout de suite, maintenant, sur la table, me dire cinq limites qui vous caractérisent, vous, comme être humain ? Et là, en général, j'ai un blanc, c'est-à-dire que les gens doivent réfléchir. Donc on sait qu'on est limité, mais on ne sait pas mes limites à moi. Ce n'est pas celle de mon voisin. On est tous différents. Est-ce que je me connais un petit peu, quand même, pour dire, Eh bien voilà, moi, je sais bien que là, ça ne va pas, que... Les gens ne savent pas. Et donc voilà qu'on retrouve le thème de tout à l'heure. La majorité d'entre nous... Nous traversons la vie et probablement, enfin non ça c'est sûr, nous mourrons, mais probablement sans savoir qui on est. Même concernant nos limites, c'est quand même terrible qu'il faille qu'on se casse la figure pour les connaître. Et encore le plus souvent, quand on ne comprend pas trop ce qu'on vit dans ces moments-là, on va passer son temps à essayer de fuir ça, parce qu'on ne supporte pas d'y avoir été confronté évidemment. Donc ici en philosophie, mais c'est comme ce qu'on fait aussi en psychothérapie. Quand vous avez des gens qui sont bouleversés par la vie, on va les aider à essayer de non pas fuir ce qui se révèle dans ces moments où les masques tombent. On va essayer au contraire de regarder ce qui reste de nous et puis on va essayer d'amener la personne à aimer ça. Pourquoi ? Mais c'est parce que c'est ce qu'on ne peut pas vous reprendre. C'est ce que vous êtes. Quand la vie vous reprend tout, voilà ce qui reste de vous. C'est l'ossature si vous voulez. Et donc si vous pouvez aimer ce que vous êtes en tant que limité, et puis après essayer de construire à partir de là, évidemment ne pas s'y réduire, mais si au moins vous pouvez aimer ce que la vie ne vous prendra jamais, les limites qui sont les vôtres, votre vie peut commencer à avancer, même quand vous traversez des moments qui vous y ramènent. Vous comprenez ? C'est enlever les couches. Voilà, et c'est ce qu'on appelle, exactement, tout à fait, c'est le pouvoir des deuils, c'est pour ça qu'on aime assez bien l'expérience du deuil, même si c'est désagréable le plus souvent, c'est parce que c'est une expérience qui nous dépouille. Là, tout d'un coup, c'est pas qu'une idée de philosophe, je vois bien que j'y arrive pas, une mise à nu, tout à fait. Et donc les philosophes contre nature vont, puisque la nature nous pousserait à essayer de fuir ça, donc de ne pas s'y confronter, ce que font les philosophes souvent c'est de dire, on va s'y arrêter. Et on va essayer d'abord de voir ce que c'est, est-ce qu'il y a quelque chose ou pas, est-ce qu'on peut mettre des mots là-dessus. Et pour reprendre votre question de tout à l'heure, c'est ce que l'on appelle effectivement la finitude. Donc nous sommes, bon c'est jamais qu'un mot ça, mais c'est pour essayer de dire. ce que nous sommes en tant qu'êtres humains. Nous ne sommes pas quelqu'un de tout puissant, nous sommes quelqu'un qui est fini. Et donc, il vaut mieux essayer d'aimer ce que nous sommes réellement plutôt que d'aimer un rêve de nous-mêmes qui n'existe que dans nos désirs. Donc, il faut essayer d'aimer cette finitude le plus possible.

  • Speaker #1

    Et donc, pour terminer, parce que je vois qu'il reste 2-3 minutes, et ça touche aussi à nos relations et aux sentiments d'injustice, est-ce que vous pourriez expliquer ça ?

  • Speaker #0

    de la bande, quoi, si vous voulez. Et c'est vrai que le désir de fusion est peut-être un peu fort, mais maintenant, pensez à des relations comme avec nos enfants ou avec nos amours. C'est vrai qu'avec nos amours, il y a l'idée de fusionner avec un être cher, évidemment, qu'on fasse un à deux, si vous voulez. Et concernant les enfants, ce n'est pas compliqué de percevoir. On aime bien tous les enfants du monde, mais nos enfants, on les a dans la peau. Il y a quelque chose, s'ils ne vont pas bien, je ne vais pas bien. Donc il y a quelque chose de fusionnel là aussi. Et ce que les deux nous rappellent. Donc là, on peut prendre l'exemple de la mort, pour le coup. Ce que la mort des gens que nous aimons nous rappelle, c'est qu'on a beau croire qu'on fusionne, on a beau même avoir l'impression réelle qu'on est proche, qu'on fait partie de la même histoire, de la même vie, etc. Ce que la mort nous rappelle, c'est pour ça que les philosophes méditent beaucoup la mort, c'est que l'autre ne nous appartient pas. Et que donc cette idée de fusion est une illusion. Et quand vous découvrez ça... à travers les trahisons, à travers les problèmes de communication, et puis à travers la mort de l'autre, qui est l'expérience la plus radicale, évidemment, parce que celle-là, elle était réversible. Quand vous découvrez ça, ce que vous découvrez c'est quoi ? C'est un drôle de paradoxe. C'est qu'à la fois je suis en relation avec les gens que j'aime, et même ceux que je n'aime pas d'ailleurs, donc on est en relation, et ces relations me modifient, elles me rendent heureuse ou bien elles me rendent malheureux, heureux ou malheureux, mais en attendant, même si ces relations sont bien réelles et ont un impact sur moi, ce qui est important de voir, c'est que je suis pourtant dans ces relations une solitude. C'est-à-dire que je ne rejoins jamais l'autre. Et ça, c'est ce que les deux nous apprennent.

  • Speaker #1

    Qu'on est seul.

  • Speaker #0

    Donc, on est en relation, mais au cœur des relations. Donc, c'est un paradoxe, parce qu'on dit deux trucs opposés. À la fois, je suis en relation et je suis nourri par ces relations. Et pourtant, en même temps... Je n'arriverai jamais à rejoindre la personne que j'aime. C'est curieux, il m'échappe toujours. Je n'ai que son corps, je n'ai que ses mots, mais je ne peux pas retrouver son vécu et partager son vécu. Et c'est là qu'il y a une solitude qui est donc une solitude indépassable. Et une fois encore que la mort vient consacrée, effectivement. On peut vivre à deux toute sa vie. La mort me rappelle qu'on n'a jamais été un à deux, on a toujours été deux et on est resté deux. Ça n'empêche pas qu'on a été en relation, mais c'est vrai, jamais je n'arriverai à rejoindre l'autre dans ce qu'il vit, là où il s'éprouve d'une façon ou d'une autre. Et alors pour l'autre thème, dans notre rapport à l'avenir, c'est vrai que là aussi il y a un désir qui est à l'œuvre, et qui est le désir qui est, par exemple, un désir qu'on pourrait traduire en termes d'attente légitime. Si je fais quelque chose de bien, il m'est dû que j'ai un merci, si vous voulez. Voilà, les attentes par rapport à... Si j'ai été gentil, il m'est dû que je sois récompensé, que j'ai une vieillesse heureuse, enfin voilà, ce genre de... Et ce qu'on découvre à travers l'histoire des uns et des autres, et à travers notre propre histoire, c'est que malheureusement, vous pouvez avoir été gentil, par exemple. le destin peut s'acharner sur vous et vous tomber dessus et vous mourrez avant même de pouvoir profiter de votre pension enfin bref il n'y a rien qui est dû à personne et là aussi c'est la même réflexion plus je veux vivre une vie dans laquelle tout m'est dû où elle est prévisible. Si je fais ça, forcément j'aurai ceci, l'injuste sera forcément puni, le juste sera forcément récompensé. Plus je veux vivre une vie dans laquelle je crois que tout est dû aux braves, aux gentils, etc., plus je vais aller de désillusion en désillusion.

  • Speaker #1

    Et plus je fais l'expérience du sentiment d'injustice.

  • Speaker #0

    Voilà, et c'est le sentiment d'injustice qui apparaît là. La vie est mal foutue. Enfin, moi j'ai tout bien fait. Et voilà que je dois mourir à 65 ans parce que j'ai un cancer. Et mon voisin qui est un salaud de première catégorie, qui a fait tous les mauvais coups possibles, jusqu'à trahir sa femme, enfin je ne sais pas quoi, ses enfants. Et lui, il a 85 ans, il a une santé, il fait encore du vélo. Enfin zut, il y a quelque chose d'injuste. Et bien, ce que ça nous apprend, c'est tout simplement que dans la vie, il n'y a rien qui est dû à personne. et ce qu'on doit donc essayer d'accepter le plus tôt possible, il ne faut pas attendre d'être vieux pour ça, c'est que la vie que nous vivons est une vie incertaine, incertitude de l'existence, et que c'est dans une vie qui ne nous doit rien qu'on doit essayer d'être heureux. Alors la chose positive, et on peut terminer avec ça si vous voulez, la chose positive c'est quoi ? C'est que si la vie ne me doit rien et que je veux quand même être heureux, ça veut dire au moins une chose, que je dois me bouger pour essayer d'être heureux. Et donc ça se traduit par une invitation. Vous voulez être heureux, n'attendez pas que la vie vous tombe dessus et vous donne le bonheur que vous attendez. Puisque la vie ne vous doit rien, et bien bougez-vous pour essayer d'être heureux. et donc nous sommes renvoyés à notre propre responsabilité.

  • Speaker #1

    Eh bien, un tout grand merci Jean-Michel Longnot pour votre participation aujourd'hui. Je me réjouis de vous écouter bientôt en conférence, puisque j'organise un cycle de conférences avec vous à partir du mois d'octobre. Donc octobre, novembre, décembre, vous serez avec nous à la Vénérie. On parlera du deuil et de l'expérience de nos limites. du deuil et quand le deuil touche à nos relations et deuil et sentiments d'injustice donc ces trois conférences un cycle de trois conférences à la veinerie vous trouverez toutes les informations sur mon site donc trois fois w sandrine corbiot point b e slash agenda donc sur la page agenda Je me réjouis de ces trois moments avec vous. Vous serez également au Matin Philo. Vous animerez un cycle de conférences sur Spinoza. Vous trouverez toutes les infos sur le site des Matins Philo. Et puis, si vous voulez aller plus loin, évidemment, il y a le livre Finitude, Solitude et Incertitude, Philosophie du deuil, qui a été publié aux éditions. Puff ?

  • Speaker #0

    Puff.

  • Speaker #1

    Puff, voilà. C'est Puff. Voilà, un tout grand merci en tout cas.

  • Speaker #0

    Avec plaisir.

  • Speaker #1

    Et moi, je vous donne rendez-vous au prochain épisode. Et si vous avez envie d'avoir plus d'infos sur mes actualités, n'hésitez pas à vous inscrire à ma newsletter. Donc, www.sandrinecorbio.be slash newsletter. Je vous souhaite une très bonne après-midi et à très bientôt. J'espère que ce podcast vous a aidé à se miner. Si vous avez aimé ce podcast, n'hésitez pas à le partager ou à le commenter. Et si vous voulez plus d'infos sur mes activités, n'hésitez pas à vous inscrire à ma newsletter. Je mettrai tous les liens sous ce poste. Ce podcast fait aussi partie d'une émission diffusée sur Radio Alma tous les deuxièmes mardi et dernier mardi du mois. J'en profite pour remercier David Martinez pour la réalisation de ce podcast. Pour rappel, je suis Sandrine Corbiot, j'adore faciliter les prises de conscience et le changement et je me réjouis de vous retrouver la prochaine fois. A bientôt !

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